Agricultrices du réseau brésilien d’agroécologie féministe RAMA (Rede Agroecológica de Mulheres Agricultoras).

© RAMA

8 mars 2023, questions de genre à l’IRD

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Mis à jour le 08.03.2023

À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2023, IRD le Mag’ met à l’honneur plusieurs travaux de recherche prenant en compte le genre et les inégalités.

 

Affiche de sensibilisation pour l'inscription des jeunes filles à l'école, au Bénin.

© IRD - Jean-Pierre Guenguant

À Cotonou, parité à l’école ne signifie pas égalité

Bloc de texte

En Afrique, les enfants des classes les plus pauvres accèdent peu à l’école, et les filles sont nettement moins nombreuses que les garçons à pouvoir en bénéficier. Ces inégalités scolaires ont largement été documentées depuis les années 1970, et mettent en avant plusieurs facteurs pour expliquer l’absence de parité tant du côté de l’offre (nombre d’établissements, de personnels insuffisant…) que du côté de la demande scolaire (normes sociales et culturelles qui favorisent la scolarisation des garçons au détriment des filles vouées aux tâches domestiques voire aux mariages précoces). 

« Des changements importants se sont produits ces vingt dernières années, avec l’élévation du taux de scolarisation », soulignent Bénédicte Gastineau et Agnès Adjamagbo, démographes IRD au Laboratoire Population Environnement Développement (LPED). Ainsi, à Cotonou, au Bénin, en 2012, la quasi-totalité des enfants passe par l’école primaire et nombreux sont ceux qui vont au bout du cycle. La parité a aussi progressé : 50,5 % des élèves sont des filles. « Mais la parité dans les effectifs ne signifie pas pour autant qu’il n’y aurait plus de différences ou de discriminations entre les sexes dans les systèmes scolaires », notent les chercheuses. 

Grâce à une série d’entretiens menées auprès de 24 instituteurs (4 femmes et 20 hommes), et au suivi de sessions de cours par des sociologues et démographes, entre mars et mai 2012, Bénédicte Gastineau et Agnès Adjamagbo montrent comment l’entrée en classe, le placement des enfants sur les bancs, les interactions entre élèves et enseignants, la distribution des tâches sont régis par les représentations que les instituteurs se font des qualités et attributions des filles versus des garçons.

« Notre analyse fine de la vie de classes de deux écoles primaires de Cotonou a montré combien les modalités de transmission des connaissances et des savoirs s’inspirent et en même temps ravivent les représentations sociales des rôles attendus des hommes et des femmes dans la société. De ce point de vue, l’école à Cotonou ne représente pas un point de rupture, mais au contraire de maintien des normes de genre en vigueur. Enfin, la surreprésentation des hommes dans le corps enseignant influe très probablement sur les modèles de genre que l’école transmet aux enfants », concluent les autrices. Ces résultats interrogent sur le rôle de l’école dans la politique nationale de promotion du genre au Bénin et plus largement sur le bilan des politiques d'empowerment et des stratégies de mainstreaming prônées par les organisations internationales. 

  • Le quotidien des élèves et des enseignants à l'école primaire à Cotonou. Expressions implicites et explicites du système de genre. In Éducation et Sociétés, dir. Marie-France Lange ; à paraître

  • Julie Coquart - IRD

Les agricultrices commercialisent leur production, comme ici à l’occasion de la rencontre « Agroécologie et Féminisme » organisée par l’ONG féministe SOF dans la ville de Registro, dans l’état de São Paulo.

© Archive SOF

Le « care », une valeur centrale dans les économies solidaires brésiliennes

Bloc de texte

Au cours des années 1990, l’agroécologie et l’économie solidaire ont émergé comme deux mouvements sociaux importants au Brésil. Ces initiatives constituent une critique en actes des dégâts sociaux et écologiques provoqués par les dictatures militaires et les politiques néolibérales qu’a connues le pays. Quelle est la place du care dans ces économies solidaires ? 

Le « care » est défini ainsi par Joan Tronto et Berenice Fischer, deux professeures de sciences politiques et féministes américaines : « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde”, en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie ».
Isabelle Hillenkamp, socio-économiste IRD au Centre d'études en sciences sociales sur les mondes africains, américains, asiatiques (Cessma) et Beatriz Schwenck, doctorante IRD en sociologie à l’université de Campinas (Brésil) et à l’université de Paris-Cité (France), répondent en adoptant une approche de genre et féministe. Elles présentent ainsi une analyse socio-économique de deux initiatives locales féminines dans l’État de São Paulo.

L’AMESOL (Associação de Mulheres da Economia Solidária – « Association des femmes de l'économie solidaire ») trouve son origine dans le groupe de travail des femmes du Forum d’économie solidaire de l’État de São Paulo, qui a commencé à se réunir en 2007, accompagnant le groupe de femmes organisé au niveau national. Sa création a visé à doter les femmes d’un « instrument d’organisation », devant permettre la reconnaissance de leur travail et de leur place dans le mouvement d’économie solidaire. Constituée en 2013, l’AMESOL regroupe environ 50 femmes qui partagent des espaces de commercialisation, de formation et de mobilisation politique.

Le RAMA (Rede Agroecológica de Mulheres Agricultoras – « Réseau agroécologique des agricultrices ») est un réseau local de femmes agricultrices engagées dans l’agroécologie. Il réunit environ 70 femmes d’une dizaine de communautés rurales de la municipalité de Barra do Turvo, dans la région du Vale do Ribeira (État de São Paulo). « Ce réseau a été créé grâce au soutien d’une ONG féministe, la SOF (Sempreviva Organização Feminista – « Organisation féministe Sempreviva ») agissant initialement (2015-2017) comme exécutrice d’une politique fédérale d’assistance technique aux femmes dans l’agroécologie », précise Isabelle Hillenkamp.

La valorisation du care occupe une place centrale dans l’AMESOL et le RAMA. Elle apparaît dans le type de produits proposés, qui visent à « prendre soin des gens », que ce soit par une grande variété de plantes alimentaires et médicinales dans le RAMA ou par des recettes « saines » ou des cosmétiques naturels dans l’AMESOL. « Le care est également présent comme approche socio-environnementale, structurante dans les pratiques agroécologiques du RAMA (par exemple la diversité de cultures, qui vise la qualité de l’alimentation autant que le maintien de la biodiversité), mais aussi dans l’AMESOL, qui utilise divers matériaux recyclés) », précisent les autrices. L’AMESOL et le RAMA ont donc en commun d’avoir institué les pratiques de care de manière transversale dans leurs activités, leurs relations internes, avec les consommateurs et leur environnement.
Ces exemples illustrent la manière dont la formation d’une alliance entre des organisations locales de femmes et des organisations féministes agissant à l’échelle locale à nationale permet de faire évoluer la reconnaissance politique du rôle des femmes et du travail domestique et de « care ».

  • Isabelle Hillenkamp et Beatriz Schwenck, « Travail de care dans les économies solidaires brésiliennes : une contribution féministe au renouvellement des critiques en acte », RECMA, dossier L’ESS en Amérique latine : Variétés des critiques en actes et espaces d’autonomie, 2023/1 (N° 367), pages 82 à 98 ; https://doi.org/10.3917/recma.367.0086

  • Julie Coquart - IRD