Mis à jour le 20.07.2023
Au-delà des atteintes à l’environnement et aux populations locales, la déforestation de l’Amazonie a un impact global, en particulier sur le climat en Amérique du Sud. À l’aide de modèles météorologiques, des scientifiques de l’IRD et de l’Institut Pierre-Simon Laplace ont mis en évidence avec leurs collaborateurs argentins, péruviens et colombiens que la perte de couverture forestière dans le bassin amazonien contribue à retarder le début de la saison des pluies dans le sud de cette région. Ce qui favorise d’autant plus la dégradation de la forêt amazonienne et menace à terme le climat de tout le sous-continent sud-américain.
L’Amazonie se réduit comme peau de chagrin. Depuis les années 1970, c’est environ un million de km2 de forêts qui a disparu sous les coups des tronçonneuses et des bulldozers, soit près de deux fois la surface de la France métropolitaine. Cette déforestation a un impact considérable sur le « poumon vert » de la planète qui est non seulement le lieu de vie de nombreuses communautés autochtones mais aussi un havre de biodiversité et un puits de carboneRéservoir qui capte et stocke le carbone atmosphérique : forêts, océans, tourbières…. Ces attaques répétées sur la forêt amazonienne pourraient également déstabiliser le climat de toute la région comme le confirment de récents travaux réalisés dans le cadre du projet Amanecer coordonné par Jhan-Carlo Espinoza, hydroclimatologue IRD, à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE).
«La saison sèche dans le sud de l’Amazonie s’étend normalement de juin à septembre mais depuis les années 1970 et le déclenchement de la déforestation et des changements climatiques à grande échelle, celle-ci s’est allongée de plusieurs semaines, précise le spécialiste. Plusieurs études ont d’ores et déjà montré l’influence des changements à grande échelle de la circulation atmosphériqueLa circulation atmosphérique correspond aux mouvements des différentes masses d'air autour de la Terre., autrement dit, le changement climatique, sur l’allongement de la saison sèche mais jusqu’à présent la contribution de la déforestation à ce phénomène a été très peu documentée. »
La convection, processus nécessaire à la mousson

Avec la déforestation galopante de l’Amazonie, le Pérou connaitra-t-il toujours ces pluies diluviennes, comme ici sur le Rio Santiago ?
© © IRD - Patrice Baby
La forêt joue un rôle actif dans le climat, tant au niveau local que régional. Ainsi, « l’eau qui s’évapore des sols et des arbres par transpiration apporte de l’humidité à l’atmosphère, explique Jhan-Carlo Espinoza. Les forêts favorisent aussi la convection atmosphérique, un phénomène météorologique essentiel au déclenchement des orages et des moussons. » Or la forêt amazonienne a perdu près de 20 % de sa surface en 50 ans, de quoi modifier en profondeur les équilibres climatiques de la région. « Afin de déterminer l’impact de la déforestation sur la transition entre saison sèche et humide dans le sud de l’Amazonie, nous avons utilisé des simulations climatiques pour étudier au jour le jour la variation de la circulation atmosphérique dans cette zone jusqu’au déclenchement de la saison des pluies à partir de données météorologiques récoltées de 2001 à 2019 », explique Juan Pablo Sierra qui a effectué ce travail dans le cadre de sa thèse doctorale à l’IGE, à Grenoble. En se basant sur le modèle numérique Regional Earth System Model (RegIPSL) développé par l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), avec qui le projet Amanecer collabore depuis de nombreuses années pour étudier les cycles hydrologiques et le climat du bassin amazonien, ce travail a permis de caractériser les processus biophysiques sous-jacents à cette transition entre saison sèche et humide.
Moins d’arbres, moins de convection, plus de temps sec
Il s’avère, qu’avant le déclenchement de la saison des pluies, les sols couverts de forêts et ceux qui servent aux cultures ou à l’élevage ne contribuent pas de la même façon à la circulation atmosphérique.
La déforestation réduit la capacité de la forêt amazonienne à absorber le CO2. En conséquence, certaines zones du bassin amazonien sont devenues des sources de ce gaz à effet de serre.
© IRD - Michel Grimaldi
Alors que la couverture forestière favorise la convection atmosphérique profonde et l’apparition de temps plus humides, les parcelles déforestées sont associées à des temps plus secs et à une convection plus superficielle. « Ces différents types de temps entrent alors en compétition. Or, plus la forêt disparait, plus les types de temps humides associés au déclenchement de la saison des pluies sont rares et apparaissent tardivement », explique Jhan-Carlo Espinoza. D’un point de vue régional, « si les types de circulation atmosphérique plus secs restent en place, la saison sèche dure plus longtemps », poursuit Paola Arias, climatologue colombienne qui a participé au dernier rapport du GIEC, et à ces travaux.
La forêt amazonienne remplacée par la savane ?
« Il existe donc des mécanismes de rétroaction entre la déforestation et le retard de la saison des pluies dans le sud de l’Amazonie, conclut Jhan-Carlo Espinoza. Ce cercle vicieux se traduit par plus de sécheresse dans la région qui en retour augmente le risque d’incendies qui dégradent d’autant plus la forêt. À terme, un autre écosystème, de la savane par exemple, pourrait remplacer la forêt amazonienne. »

La culture intensive du soja est en grande partie responsable de la déforestation et de la dégradation des terres, comme ici à Santarém, au Brésil.
© IRD - Emilie Stoll
Mais les conséquences vont au-delà de l’Amazonie. Plusieurs travaux du projet Amanecer ont déjà démontré l’importance de la relation climatique entre les Andes tropicales et la forêt amazonienne mais cette nouvelle étude indique que tout le climat de l’Amérique du Sud pourrait être affecté. « Nos simulations montrent que la déforestation a un impact sur le transport d’humidité vers le sud du continent », confirme Juan Pablo Sierra. Par conséquent, « les sécheresses associées au phénomène de La NiñaPhénomène climatique ayant pour origine une anomalie thermique des eaux équatoriales de surface de l’océan Pacifique. Il se caractérise par une température anormalement basse des eaux et a des conséquences inverses à celles d’un événement El Niño. qui ont touché ces dernières années le bassin de la Plata recouvrant le Paraguay, l’Uruguay, le sud du Brésil et le nord de l’Argentine ont probablement été aggravées par la déforestation de la forêt amazonienne », estime Paola Arias. La destruction de l’Amazonie concerne donc tout le sous-continent mais pas seulement. « À l’image du changement climatique, la déforestation est un problème international », insiste la climatologue. Le moteur de la déforestation est en effet le développement économique de la région, notamment la culture du soja, l’élevage, le commerce du bois et l’exploitation minière. Or ces ressources, en particulier le soja et les minerais, sont exportés vers d’autres pays, notamment au Nord. Un constat à méditer lors du prochain sommet des pays amazoniens organisé en août prochain par le président brésilien Lula et auquel le président de la République française Emmanuel Macron a été convié.