Pour hérisser ses épines, le poisson porc-épic ou Diodon hystrix (Linnaeus, 1758) se gonfle en avalant de l’eau. Son corps contient une toxine puissante et mortelle : la tétrodotoxine.

© IRD – Jean-François Dejouannet

Dans les filets, les invisibles de la pêche

Mis à jour le 08.06.2023

Qui n’a pas en tête les images d’un dauphin ou d’une tortue marine emprisonnée dans un filet de pêche ? Les prises accessoires – ces poissons, mammifères marins, reptiles et oiseaux capturés accidentellement dans les filets ou par des hameçons – sont les victimes collatérales de la pêche. Un dessinateur scientifique et deux écologues marins de l’IRD et du MNHN mettent en lumière ces espèces de l’océan tropical dans l’ouvrage Dans les filets, co-édité par IRD Éditions et MkF éditions. Après un rappel de l’histoire des pêches, une centaine d’aquarelles, accompagnées de fiches informatives des espèces illustrées, invite à une superbe plongée dans le monde des invisibles.

 

Au début des années 2010, Jean-François Dejouannet, dessinateur scientifique à l’IRD, débute une série d’aquarelles de poissons et de mammifères marins capturés lors de campagnes de pêches aux thons dans l’océan tropical. Ces peintures doivent illustrer un guide à destination des pêcheurs et des observateurs embarqués à bord des bateaux pour récolter des données sur les captures. Devant la beauté de ces aquarelles, Bernard Séret, ichtyologue au Museum national d’Histoire naturelle aujourd’hui à la retraite et Pascal Bach, écologue des pêches IRD, proposent à Jean-François Dejouannet d’utiliser ses peintures pour élaborer un livre à destination du grand public.

 

Le poisson-lune ou Mola mola (Linnaeus, 1758) est capturé occasionnellement par les pêches industrielles et artisanales, et souvent rejeté à l’eau.

© IRD – Jean-François Dejouannet

Bloc de texte

Dans les filets voit ainsi le jour fin 2022 avec le soutien et les conseils éditoriaux des éditions IRD et MkF. L’ouvrage propose aux lecteurs de découvrir les « invisibles » de la pêche du thon tropical, les prises accessoires, ces espèces qui sont capturées accidentellement par des pêcheurs. Les captures peuvent avoir lieu sur des senneurs, des navires conçus pour la pêche à la senne, un immense filet de 2000 mètres de long et 200 mètres de hauteur encerclant les bancs de poissons, ou des palangriers, des navires utilisant les palangres, des lignes sur lesquelles sont fixés plusieurs centaines d’hameçons. Les pêcheurs utilisent également des cannes ou des filets maillants dérivants, des filets avec des lièges en surface qui pendent verticalement avec des plombs assurant leur verticalité et pouvant s’étaler de 2,5 à 10 kilomètres avec une hauteur de 10 à 14 mètres.

 

« Les consommateurs ne voient pas ces espèces qui ne sont pas commercialisées, explique Pascal Bach, écologue des pêches à l’IRD au sein de l’UMR MARBEC. Elles sont gardées à bord pour être consommées par l’équipage ou alors elles sont rejetées si elles sont protégées par des mesures de protection ou sans valeur gustative. » Si le grand public a des images de dauphin ou de tortues marines en tête, les victimes des pêches thonières sont multiples. Le livre propose d’en découvrir une centaine d’espèces, des requins et des raies – regroupés dans la classe des élasmobranches –, aux poissons osseux – de la classe des actinoptérygiens –, en passant par les mammifères marins.

Chaque espèce a fait l’objet d’un dessin et d’une peinture minutieuse par Jean-François Dejouannet : « Pour chaque dessin, je me renseigne à partir de la documentation scientifique et de l’iconographie disponible car les couleurs rendues doivent être représentatives de l’espèce et s’abstraire des variations individuelles, précise le dessinateur. Je me suis inspiré des aquarelles de Pierre Opic, dessinateur ayant travaillé à l’ORSTOM (ex-IRD), qui m’a enseigné sa façon d’appliquer les couleurs. C’est un travail de longue haleine : par exemple, la mise en couleur d’un requin me demande cinq jours de travail au minimum, après échanges avec les scientifiques. »

 

Exergue

« Nous avons choisi de vous présenter cinq espèces, représentatives de la richesse de la biodiversité des océans tropicaux, car très différentes par leurs formes et leurs tailles. »  Pascal Bach et Jean-François Dejouannet

 


Requin-renard pélagique, Alopias pelagicus

 

© IRD – Jean-François Dejouannet

« Les pêcheurs ont peur de ce requin car il se sert de sa queue comme d’une arme, explique Pascal Bach. Il l’utilise en effet pour assommer les poissons qu’il mange. C’est une espèce considérée en danger par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) du fait de ses traits de vie particulier : il atteint sa maturité sexuelle à sept ans et ses portées sont très réduites, deux embryons par individu. » Le requin-renard pélagique vit naturellement en profondeur et est pêché par les engins exploitant les profondeurs comme les senneurs et les palangriers. « J’ai voulu donner du luisant à sa peau et mettre en valeur le dégradé de couleurs, il a une peau très soyeuse », souligne Jean-François Dejouannet.

 

© IRD – Jean-François Dejouannet

Bloc de texte

Aigle de mer-léopard, Aetobatus narinari et Aetobatus ocellatus

La dénomination aigle de mer-léopard recouvre deux espèces vivant près des côtes. Elles se nourrissent sur le fond, utilisant leur museau en forme de rostre pour fouler les sédiments et déloger leurs proies. Aetobatus narinari vit dans l’Atlantique et est considérée en danger par l’UICN, Aetobatus ocellatus vit quant à elle dans le Pacifique et est considérée comme vulnérable. 497 tonnes de ces deux espèces ont été pêchées accidentellement en 2019, selon les statistiques de la FAO, principalement par des filets maillants et des spécimens sont capturés vivants pour des présentations en aquarium.

 

© Jean-François Dejouannet

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Voilier de l’Atlantique, Istiophorus albicans

Ce poisson imposant – il peut mesurer jusqu’à trois mètres – chasse dans les bancs de poissons fourragesNom donné aux petits poissons qui servent de nourriture aux poissons carnassiers. et assomme les sardines ou les anchois avec son rostre. Lors de pêche sportive, il est rejeté à l’eau vivant, en no-killPratique de pêche consistant à rejeter le poisson vivant à l’eau.. Vivant en zone épipélagique, jusqu’à 200 mètres de profondeur, il est également victime des pêches industrielles et artisanales.

 

© Jean-François Dejouannet

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Platax rond, Platax orbicularis

Cette espèce côtière n’est jamais pêchée seule car le platax rond s’associe aux dispositifs de concentration de poissons dérivants (DCP) et aux bancs de thon. Ce sont donc les senneurs tropicaux qui en capturent le plus. Il n’est pas commercialisé mais il est élevé en aquaculture pour les aquariophiles. « J’ai voulu donner de la transparence à sa nageoire pectorale et mettre en valeur ses dégradés de couleurs », indique Jean-François Dejouannet.

 

© Jean-François Dejouannet

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Orphie plate, Ablennes hians

« C’est une espèce côtière qui est capturée dans des filets maillants côtiers, explique Pascal Bach. Elle peut être toxique dans des habitats dégradés. » L’orphie plate peut en effet manger des poissons qui auront consommé des algues toxiques : les toxines s’accumulent dans la chair à travers la chaine alimentaire et peuvent provoquer chez les humains, la ciguatera, une intoxication alimentaire. Très rapide, elle est capable de pointes de vitesse à 60 kilomètres/heure et d’effectuer des bonds hors de l’eau de plus d'un mètre pour échapper à ses prédateurs que sont le barracuda ou les oiseaux marins. L’orphie plate constitue une prise accessoire occasionnelle des pêches industrielles et artisanales.

 


 

Couverture Dans les filets

  Dans les filets

  De Bernard Séret, Pascal Bach, Jean-François Dejouannet
  Préface de Guillaume Lecointre
  IRD Éditions/MkF éditions
  Collection : Beaux-livres / Avril 2023