Mis à jour le 30.01.2023
Communément appelée maladie du sommeil, la trypanosomiase humaine africaine (THA) sévit dans les régions isolées d’Afrique subsaharienne. Aujourd’hui moins d’un millier de patients sont diagnostiqués annuellement contre 40 000 en 1998 : l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) souhaite son élimination d’ici 2030. Deux nouveaux outils de lutte, l’un de traitement et l’autre de diagnostic, viennent de montrer leur efficacité en République démocratique du Congo et pourraient contribuer à supprimer cette maladie en Afrique.
Est-il possible d’éliminer totalement la trypanosomiase humaine africaine (THA) en République démocratique du Congo ? Deux études récentes, l’une, un essai thérapeutique, et une seconde, proposant un nouvel outil de diagnostic, poussent les scientifiques européens et africains (République Démocratique du Congo, Belgique, France Suisse) à répondre par l’affirmative. La première étude, menée par l’initiative Médicaments contre les maladies négligéesOrganisation de recherche indépendante, à but non lucratif, basée à Genève, ayant pour objectif le développement de médicaments sur les maladies tropicales négligées.1 (DNDi), a testé l’efficacité de la molécule acoziborole, un anti-parasitaire, chez les patients infectés par Trypanosoma brucei gambiense, le parasite responsable de la maladie. Ce médicament, administré par voie orale, à dose unique, soigne le stade précoce et le stade avancé de la maladie. Sur les 203 patients recrutés dans dix hôpitaux de la République démocratique du Congo et de Guinée, le taux de succès du traitement a été de 98,5 %, 18 mois après son administration. La seconde étude, menée en même temps que la première par des scientifiques congolais et européens, dont certains de l’IRD, a mis en lumière un nouveau marqueur biologique, permettant d’établir un diagnostic fiable de la maladie sans ponction lombaire.

© Xavier Vaheed-DNDi
L’étude du liquide céphalo-rachidien et du sang permet d’établir un diagnostic, comme ici à l’hôpital Masi Manimba en République démocratique du Congo.
Les patients doivent subir des ponctions lombaires après leur traitement pour vérifier l’absence de rechute.
© Crédit : IRD - Veerle Lejon
S’affranchir de la ponction
« Nous avons intégré les patients de l’essai thérapeutique – la première étude – pour prélever des échantillons de sang et de liquide céphalo-rachidien, où le parasite est présent, explique Veerle Lejon, directrice de recherche à l’IRD et experte en diagnostic parasitologique au sein de l’UMR Intertryp. Notre objectif était de trouver un marqueur biologique sanguin afin d’éviter de devoir réaliser des ponctions lombaires à plusieurs reprises auprès des personnes touchées. En effet, les patients doivent subir cet examen, le seul – jusqu’ici – permettant de déterminer une possible rechute après traitement par observation du parasite dans le liquide céphalo-rachidien. Or, la ponction lombaire est un examen invasif et douloureux et de nombreux patients refusent de revenir après avoir été traités. Il est alors impossible de savoir s’ils font des rechutes et de les soigner : ils constituent dans ce cas des réservoirs de la maladie ce qui peut ralentir l’élimination de l’épidémie. »
Les échantillons de sang et de liquide céphalo-rachidien de 97 patients congolais, recrutés pour l’étude de DNDi, ont donc été analysés avant et après le traitement à l’acoziborole. Pour déceler la présence du parasite, les scientifiques ont utilisé la méthode de rétrotranscription. Autrement dit, ils ont transcrit l’ARN Acide ribonucléique présent en ADNMacromolécule biologique présente dans presque toutes les cellules ainsi que chez de nombreux virus..

Ipos Ngay Lukusa, biologiste au sein de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) de Kinshasa explique les protocoles de prélèvement de sang et de liquide céphalorachidien aux techniciens du laboratoire de Centre de diagnostic et de traitement.
© Crédit : IRD - Veerle Lejon
L'ADN contient toute l'information génétique, appelée génome), afin que celui-ci soit détecté par PCRPolymerase chain reaction, ou « réaction en chaine par polymérase », une méthode de biologie moléculaire permettant d'obtenir un grand nombre de segments d'ADN identiques, à partir d'une séquence initiale.. Ils ont ainsi pu découvrir une molécule spécifique du trypanosome – ARN SL – présente chez 92 de ces patients. « La sensibilité de ce marqueur est très forte, à hauteur de 94,9 % dans le sang, souligne Ipos Ngay Lukusa, biologiste au sein de l’Institut national de recherche biomédicale de Kinshasa. 92 des 97 patients ont ainsi été diagnostiqués positifs. En comparaison, l’étude microscopique du sang et la lymphe n’a permis de révéler que 79,4 % de cas positifs. »
Rechercher l’ARN plutôt que l’ADN
Cet ARN a été retrouvé 12 mois et 18 mois après le traitement sur deux des 97 patients (un avait rechuté et l’autre s’est révélé être un faux positif). Ces résultats montrent à la fois l’efficacité du traitement à l’acoziborole mais également la fiabilité d’un marqueur ARN plutôt que provenant de l’ADN. « En effet, nous avions utilisé dans un premier temps un marqueur de l’ADN spécifique de Trypanosoma brucei gambiense, se rappelle Veerle Lejon. Mais l’ADN du parasite persiste dans le sang de la personne même si elle est guérie. Ainsi, jusqu’à 20 % des patients restaient positifs alors qu’ils n’étaient plus malades. L’ARN, au contraire, disparait rapidement du sang lorsque le parasite s’en va, c’est donc un marqueur bien plus fiable. Nous espérons améliorer la sensibilité de la détection de cette molécule ARN, même peu de temps après le traitement, afin de détecter plus rapidement les rechutes et diminuer les souffrances des patients. »

© Crédit : IRD - Veerle Lejon
Les soins sont prodigués dans des centres de diagnostic et de traitement (CDT) souvent appelés hypnoseries, lieux dédiés au traitement de la maladie du sommeil.
La combinaison du traitement à l’acoziborole et l’utilisation de cet outil diagnostic constituent pour les scientifiques européens et africains des solutions permettant d’avancer vers l’élimination de la maladie. « Le traitement est bien plus efficace qu’auparavant et l’utilisation d’un marqueur biologique permettra d’éviter les ponctions lombaires qui font fuir les patients, estime Ipos Ngay Lukusa. Le suivi en sera amélioré et permettra d’éviter de nouvelles contaminations. La prévalence de la maladie a déjà drastiquement diminué dans les zones où elle était endémique. Nous devons maintenir cet objectif d’élimination de la THA à 2030 en capitalisant sur ces nouveaux outils de traitement et de diagnostic. »