Mis à jour le 22.05.2023
Lors de la pandémie de Covid-19, le confinement très strict imposé en Inde a rendu les conditions de vie très difficiles. Interdictions de se déplacer, de travailler… les Indiens ont dû faire appel à la solidarité familiale et communautaire pour survivre. Avec pour conséquence de réactiver des systèmes anciens de protection et de dépendance.
Le 24 mars 2020, le Premier ministre indien Narendra Modi impose un confinement très strict à son pays d’1,4 milliard d’habitants. Les frontières sont fermées, les déplacements interdits et les Indiens restent cloitrés chez eux. Les migrants saisonniers travaillant en ville reviennent dans leur région d’origine, ce qui génère un exode massif vers les campagnes. Durant plusieurs mois, jusqu’à la fin de l’automne 2020, les habitants des zones rurales ont dû subsister sans revenus et sans pouvoir travailler alors que le prix des denrées alimentaires augmentait du fait de la perturbation des réseaux de transport.
Rationnement alimentaire
Comment ont-ils réussi à survivre dans de telles conditions ? « Les habitants de la région du Tamil Nadu où nous avons effectué nos recherchesDans le cadre de la deuxième vague de l’enquête NEEMSIS 2020-2021 (Networks, Employment, dEbt, Mobilities and Skills in India Survey) https://neemsis.hypotheses.org/ 1, au sud-est de l’Inde, ont d’abord mobilisé l’entraide familiale durant ce confinement, répond Jalil Nordman, économiste IRD au sein de l’UMR LEDa-DIAL. Seuls 25 % des ménages ont eu accès à suffisamment de nourriture pendant le confinement et une grande majorité, 76 % des personnes interrogées, a revu à la baisse la qualité des aliments consommés. Les plus basses castes, les dalit, anciennement appelés « intouchables », se sont tournés vers le système de distribution de l’État. Des rations gratuites de produits de base, comme le riz, les lentilles, l'huile de cuisson et le sucre, ont été distribuées à tous les détenteurs de cartes de rationnement de l'État. »
Mais cela n’a pas suffi pour les dalit qui ont dû faire appel à leurs employeurs, majoritairement de caste supérieure, pour obtenir des crédits ou travailler. Ils ont alors multiplié les emplois et les emprunts, ce qui a accru leur dépendance aux membres de castes supérieures. Le confinement a ainsi renforcé les dépendances inter-castes en même temps qu’il renforçait des mécanismes d’homophilieTendance d'un individu à fréquenter ses semblables, c'est-à-dire d'autres individus partageant des caractéristiques socioéconomiques. à l’intérieur des castes.
Obligations asymétriques
« Au Tamil Nadu, une région très dynamique avec des infrastructures industrielles et de transports importantes, les membres des hautes castes ont quitté les campagnes pour les villes ces dix dernières années et ont vendu leurs terres aux membres des castes intermédiaires, rappelle le chercheur. Ces derniers sont devenus “dominants” en zone rurale et, lors du confinement, ils se sont entraidés pour se soutenir face à la crise. De leur côté, les dalit n’avaient pas d’autres choix que de faire appel à eux et réactiver les anciennes formes de patronage de caste, basé sur des obligations mutuelles asymétriques, combinant protection de la part des castes dominantes et soumission de la part des basses castes. »
Ces mécanismes sociaux sont récurrents en cas de crise. Ainsi, lorsqu’en novembre 2016, le gouvernement indien décide de démonétiser Retirer une monnaie de la circulation. les deux plus gros billets en circulation, le pays plonge dans le chaos pendant plusieurs mois. Les Indiens ne disposent alors plus d’argent liquide pour subvenir aux besoins quotidiens et doivent faire appel à la solidarité intracommunautaire pour survivre. Les membres des plus basses castes, qui ne bénéficiaient pas de réseaux interpersonnels efficaces et diversifiés, ont accru leur dépendance vis-à-vis de leur employeur, et donc des membres des castes supérieures.
« Lors de la démonétisation, le gouvernement souhaitait diminuer les échanges et transactions informels et, lors du confinement, l’objectif était que les Indiens s’isolent. On a pu constater que l’inverse s’est produit lors de ces deux crises. Les mécanismes de dépendance professionnelle et financière ont été réactivés et ont joué à plein », conclut Jalil Nordman.