Tente en moustiquaire blanche montée en brousse, abritant deux scientifiques en tenue de sécurité bactériologique et virale, travaillant sur des échantillons.

L’investigation de terrain en zone d’épidémie sur des échantillons biologiques nécessite des précautions comparables à celles d’un laboratoire de haute sécurité.

© IRD - Jean-Jacques Lemasson

Épidémie de Marburg : la recherche-intervention en première ligne

Mis à jour le 15.11.2023

Face aux flambées épidémiques qui émergent à l’interface entre l’humanité et le monde sauvage, les scientifiques ont développé un savoir-faire spécifique pour lancer des recherches sur le terrain répondant à l’urgence de la situation. Les spécialistes de l’IRD et leurs partenaires camerounais viennent ainsi d’engager des travaux multidisciplinaires pour comprendre et contenir un épisode de maladie à virus de Marburg particulièrement létal parti de Guinée équatoriale. Explications avec Ahidjo Ayouba, virologue IRD, qui a coordonné le projet MARCAM, véritable défi scientifique et logistique.

Alors que les spectres du Covid et d’Ébola s’éloignent enfin, une nouvelle alerte épidémiologique lancée par le ministère équatoguinéen de la Santé le 8 février dernier a de quoi effrayer : une fièvre hémorragique inconnue sévit dans le nord du pays, où elle a déjà fait plusieurs victimes. « Le 23 février, la première flambée de la maladie à virus Marburg dans le pays est confirmée », raconte Ahidjo Ayouba, virologue dans l’unité de recherche TRANSVHIMI. Le foyer épidémique touche une région proche du Cameroun et la plupart des victimes et des cas contacts identifiés proviennent d’un district situé à la frontière des deux pays.

La chauve-souris Rousettus aegyptiacus, réservoir présumé du virus de Marburg, est présente dans toute la région de l’épidémie et s’affranchit des frontières.

© Flikr - Martin GRIMM

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« Compte tenu des brassages de populations entre les deux voisins, de la présence dans toute la région de l’animal réservoir le plus probable du virus – une chauve-souris frugivoreRousettus aegyptiacus 1 – , nous estimons que le risque de circulation du virus Marburg dans la région camerounaise frontalière de la Guinée équatoriale est sérieux », indique le spécialiste. Pour y faire face, les scientifiques montent de toutes pièces un projet, baptisé MARCAM pour « Marburg au Cameroun », dont l’objectif est de suivre l’éventuelle apparition de cas suspects d’infection côté camerounais, autant chez les humains que dans la faune sauvage. Une lutte qui s’inscrit clairement dans l’atteinte de l’Objectif de développement durable 3 lié à la santéODD3 : Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge sont des conditions essentielles au développement durable.1.

Les scientifiques de l’IRD et du Centre de recherche sur les maladies émergentes et ré-émergentes au Cameroun (CREMER), qui mènent des travaux pour identifier le réservoir du virus Ébola – un virus proche de celui de la maladie de Marburg – dans la région depuis des années se sont naturellement portés en première ligne face à cette nouvelle épidémie, en partenariat avec plusieurs institutions et organismes : CREMER, antenne ANRS | MIE, OMS, université de Yaoundé 1, Plateforme OneHealth du Cameroun, ministères camerounais de la Santé, de la Recherche, de l'Environnement et de la Faune, de l'Élevage, de l'Intérieur.

Investigations One Health

 

La recherche-intervention en zone d’épidémie – souvent à l’interface entre populations humaines et faune sauvage – se déroule dans des régions difficiles d’accès et nécessite une logistique matérielle bien rodée.

© IRD - Pierre Bécquart

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En un temps record, ils mettent sur pied un projet d’investigation dans la région frontalière entre Cameroun et Guinée équatoriale, afin d’étudier la circulation du virus Marburg dans la faune sauvage et les populations. Plusieurs missions sur le terrain mobiliseront des chercheurs et chercheuses en sciences sociales, écologie, sciences vétérinaires, virologie et médecine clinique dans une approche One HealthConcept selon lequel santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont étroitement liées et doivent être abordées comme un ensemble, à l’échelle locale, nationale et globale.
 

Les investigations auprès des populations exposées, par des examens biologiques, des enquêtes épidémiologiques et des entretiens pour connaitre les habitudes et les contacts avec la faune sauvage, sont à la base de la recherche en zone d’épidémie.

© IRD - Pierre Bécquart

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« Il s’agit tout à la fois de rechercher des cas suspects et suivre les cas contacts, de capturer les chauves-souris considérées comme réservoir pour établir leur distribution dans la région, de mettre en évidence le virus chez ces animaux, de documenter les comportements à risque (manipulation, commercialisation et consommation de la viande de chauves-souris) et de sensibiliser les populations des zones à risque sur le caractère zoonotique Maladie transmise à l’humain par un animalde la maladie de Marburg », explique Charles Kouanfack, épidémiologiste hospitalo-universitaire et coordonnateur technique et scientifique du CREMER. Cet organisme camerounais mène des recherches sur les infections zoonotiques depuis plus de deux décennies et a identifié les sous-groupes M, O et P du virus VIH-1.

Expertise diplomatique et logistique

 

Le suivi de la présence d’anticorps spécifiques dans les populations des zones d’épidémie permet de connaitre la circulation du virus.

© IRD - Eric Leroy

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Au-delà même des compétences scientifiques, le montage au débotté d’une telle opération de recherche-intervention nécessite des savoir-faire techniques et une solide connaissance du fonctionnement des institutions nationales et internationales. « La première gageure, et qui n’est pas des moindres, est de trouver des ressources financières pouvant être mises à disposition rapidement, dans un système de recherche régi par des budgets annuels », reconnait Ahidjo Ayouba. À ce titre, l’intervention MARCAM a bénéficié des fonds d’urgence de l’IRD et de l'ANRS | Maladies infectieuses émergentes (ANRS | MIE).

Les dangers en zone d’épidémie émergente ou ré-émergente nécessitent de disposer de personnels formés aux précautions sanitaires individuelles et collectives.

© IRD - Bertin Pambo

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Il faut aussi mobiliser les autorités administratives centrales du pays concerné, ministère par ministère, les autorités locales (au niveau des provinces, départements et districts), mais aussi les autorités traditionnelles, lesquelles restent souvent puissantes en Afrique. « Ces démarches sont lourdes, mais restent essentielles pour l’acceptabilité et l’impact des recherches », estime le scientifique.
Avant d’engager les travaux, il est également impératif de rédiger un protocole de recherche pour demander la clairance éthiqueAutorisation d’entamer des recherches accoordée par un comité d’éthique, attestant que les travaux se feront dans le respect de l’intérêt, la volonté et la dignité des sujets de l’étude dans les délais les plus brefs. C’est un élément incontournable pour la recherche impliquant la personne humaine, même en cas de crise sanitaire aiguë et même si les études comptent très peu d’intervention invasives.

Capacités opérationnelles

Pour identifier les réservoirs des maladies zoonotiques, les scientifiques récupèrent des déjections d’animaux sauvages, les capturent ou prennent des échantillons sur le gibier chassé par les habitants.

© IRD - BCI Communication

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Mais en plus, pour engager une telle recherche-intervention il faut disposer de ressources humaines formées, volontaires et mobilisables pour des missions en terrain d’émergence épidémique. « C’est aussi un point important de pouvoir compter sur des personnels ayant une expertise et qui n’ont pas de crainte à sortir de leur zone de confort scientifique, face à des événements souvent inédits, voire risqués », confie-t-il.
 

Au fil des recherches sur les maladies émergentes, les capacités scientifiques et technologiques de certains laboratoires africains se sont renforcées et permettent d’identifier les agents pathogènes dans la région même où sévissent les épidémies.

© IRD - Alain Tendero

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Enfin, dans ce type d’investigation scientifique d’urgence, il est nécessaire d’avoir accès à des plateforme technologique (installations fonctionnelles, équipement high-tech, personnel formé), pour l’identification et la caractérisation rapide de pathogènes. Des structures scientifiques de pointe qui sont encore trop souvent l’apanage de quelques pays développés. « Mais ici, les travaux sur le VIH et Ébola menés avec nos partenaires camerounais, ont permis de développer des capacités humaines et technologiques de qualité, dans la région même où s’est déclarée l’épidémie de maladie à virus de Marburg. Et nous disposons d’une certaine expérience logistique et institutionnelle des recherches de terrains en zone d’épidémie, acquises au fil des dernières flambées qu’a connu le continent », conclut Ahidjo Ayouba.


 

    Les flambées épidémiques meurtrières, qui se multiplient depuis deux décennies en Afrique tropicale, mettent à rude épreuve systèmes sanitaires et sociétés.

    © IRD - Bertin Pambo

    Bloc de texte

    87,5 % de mortalité

    L’épidémie équato-guinéenne est finalement déclarée terminée le 8 juin 2023, après 42 jours sans nouveau cas. Elle aura tué 12 des 17 personnes avec un diagnostic confirmé ainsi que les 23 personnes identifiées comme cas probables* – soit un taux de létalité de 87,5 %. Un taux comparable à celui des 17 précédents épisodes, trois en Europe (dont un accident de laboratoire et deux cas importés avec des singes venus d’Ouganda), un aux États-Unis d’Amérique (cas importé) et 13 en Afrique subsaharienne. Un rapprochement dans le temps entre les flambées épidémiques semble se manifester au cours des dernières années. « Nous ne savons pas encore s’il s’agit d’un changement de dynamique du virus, d’une augmentation des capacités de détection, d’autres facteurs comme le changement climatique, l’anthropisation des forêts, ou bien tous ces facteurs combinés », estime le le virologue Ahidjo Ayouba.


    * En plus de ces cas confirmés ou probables, 1 451 contacts de cas ont été identifiés et suivis.

    Filet à larges mailles tendu dans la brousse verdoyante, ressemblant à un filet de badminton.

    © IRD - Pierre Bécquart

    L’investigation sur les maladies zoonotiques émergentes passe par le piégeage des chauves-souris, lesquelles sont souvent réservoir de filovirus pathogènes.

    La recherche-intervention étudie les anomaux réservoirs du virus pathogène. Pour Marburg comme pour Ébola il s’agirait d’une chauve-souris frugivore.

    © IRD - Alain Tendero

    Bloc de texte

    MARCAM sur le terrain

    Neuf mois après le début de l’épidémie équatoguinéene, le projet MARCAM est toujours sur la brèche. Une première mission sur le terrain a déjà eu lieu, permettant d’initier tous les items prévus dans les objectifs de l’étude :
    - investigation auprès des populations (enquête par questionnaires sur les pathologies et sur l’exposition à la faune sauvage, notamment aux chauves-souris, et prélèvements sanguins)
    - investigation sur la faune et capture de chauves-souris
    - phénologie de plantes (détermination des espèces végétales présentes dans l’environnement)
    Enfin, les analyses de laboratoire sont en cours (recherche du virus dans les prélèvements de chauves-souris, sérologie pour rechercher les anticorps contre le virus Marburg chez les personnes prélevées).