Updated 04.12.2019
Mourir d’un cancer ou du diabète dans les pays du Sud n’est plus si rare. Dans ces régions, les maladies non transmissibles provoquent aujourd’hui plus de décès que les pathologies infectieuses. En cause, de nouveaux modes de vie, plus urbains et plus industrialisés, et des régimes alimentaires qui évoluent. Pour autant, les populations doivent aussi faire face à l’émergence ou au retour de certaines maladies infectieuses. En parallèle de ces transitions, le domaine de la santé est investi par des patients experts, et médiateurs, de leur maladie. Les chercheurs de l’IRD et leurs partenaires prennent la mesure de ces évolutions pour les accompagner au mieux.

Au Népal, la pollution atmosphérique asphyxie Katmandou et ses habitants.
© IRD - CNRS - Thibaut Vergoz, PRESHINE 2017
L’épidémie de maladies chroniques
Habiter une ville polluée, fumer, avoir très peu d'activité physique et manger une nourriture industrialisée : telles sont les spécificités de la « vie moderne », qui sont désormais courantes en Amérique latine, en Asie ou en Afrique. Dans ces régions, les maladies chroniques non transmissibles (MNT) comme les maladies cardio-vasculaires, le diabète ou les cancers ont pris le pas sur les maladies infectieuses. Ainsi, sur les 15 millions de décès annuels prématurés décès touchant des personnes entre 30 à 69 ans liés à des MNT dans le monde, plus de 85 % ont lieu dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Un constat alarmant
« Cette transition épidémiologique va de pair avec l’émergence d’une classe sociale moyenne dans ces régions du monde, indique André Garcia, médecin épidémiologiste et directeur de l’UMR MERIT. Désormais, les populations urbaines, y compris les plus pauvres, vivent dans des espaces très pollués, pratiquent peu d’exercice et ont changé leurs habitudes alimentaires : pour elles, avoir accès à ce mode de vie est un signe de développement. Mais cela a un impact négatif sur leur santé. »

Les maladies non transmissibles constituent les principales causes de décès dans les pays où les populations accèdent à des revenus plus élevés.
© OMS
À Cotonou, la plus grande ville du Bénin, les pathologies respiratoires (asthme, bronchiolite) progressent chez les enfants depuis une dizaine d’années. En cause, les gaz d’échappement des voitures, les fumées industrielles mais aussi celles du bois de chauffe et du charbon utilisés par les habitants pour la cuisson et l’éclairage. « Même les tout-petits, les nourrissons de moins de trois mois, sont touchés, s’alarme Maroufou Jules Alao, pédiatre au CHU de la Mère et de l’Enfant-Lagune de Cotonou. Nous ne rencontrions pas ce type de cas il y a quelques années. Par ailleurs, de plus en plus d’enfants sont obèses. Nous avons constaté que la moitié des enfants de cadres habitant Cotonou présentaient un surpoids. Les autorités ne peuvent pas rester insensibles devant ce constat. »
Mieux vaut prévenir que guérir
Extrêmement rapide, cette « épidémie » de MNT pose des difficultés aux pouvoirs publics qui ne savent pas comment la contrer. Auparavant mobilisés par la lutte contre les maladies infectieuses, et soutenus en ce sens par les bailleurs et les programmes de recherche internationaux, les professionnels de santé doivent maintenant être formés à la prise en charge de ces maladies. « Les systèmes de santé ne sont pas à même de traiter ces maladies chroniques, poursuit André Garcia. Les traitements sont chers et peu disponibles. De plus, les personnes socialement défavorisées sont les plus atteintes et meurent plus prématurément des suites de MNT. En cause, un accès restreint aux soins et à l’information. Ainsi, le premier axe d’action consiste à développer des campagnes de prévention, par exemple dans les établissements scolaires. »

Enquête sanitaire à Cotonou sur la prise en charge et le suivi de l’hypertension artérielle, une MNT, dans le cadre du Projet GlobalMed
© IRD - Rita Saudegbee
En parallèle de ces actions, priorité doit être donnée à la surveillance et au suivi des facteurs de risques comportementaux et métaboliquesElément augmentant la probabilité de développer une maladie ou de souffrir d'un traumatisme. L’Organisation mondiale pour la Santé (OMS) préconise également le suivi des conséquences de ces risques (morbidité et mortalité spécifiques à une maladie) et des réponses du système de santé des pays. Relever ces données permettra de mieux prendre en compte les maladies non transmissibles et, ainsi, de mieux les prévenir.
« Actuellement, nous collectons des informations en suivant des enfants sur plusieurs années, principalement à Cotonou, poursuit Maroufou Jules Alao. Par la suite, nous aimerions recueillir ces données également en milieu rural afin d’établir un état des lieux général de la situation. L’objectif est d’émettre des recommandations que les populations pourront suivre. C’est pour cela qu’il est de notre devoir d’alerter les pouvoirs publics sur l’urgence d’agir. »

Marché alimentaire aux Philippines
© IRD - Jean Loirat
Les dangers de la transition nutritionnelle
Être obèse dans un pays du Sud ? Il y a peu, cette situation paraissait inconcevable. Aujourd’hui, les deux tiers des individus en surpoids dans le monde vivent en Asie, en Amérique latine et en Afrique. Cette évolution a d’abord touché les pays à revenus intermédiaires et les milieux urbains. Elle concerne désormais les pays les moins avancés et se propage en milieu rural.
En cause, un environnement obésogène, dont une alimentation nocive. « Les habitants de ces pays consomment de grandes quantités d’aliments gras, sucrés et salés qui proviennent en majorité de l’industrie, précise Pierre Traissac. Ils pratiquent peu d’activité physique au quotidien, que ce soit au travail, dans leurs déplacements ou lors de leurs loisirs. Aussi, ils dorment moins, ce qui augmente également le risque d’obésité. »
Ce processus appelé transition nutritionnelle correspond à la modification progressive des modes de vie et notamment des régimes alimentaires avec une nette augmentation de la consommation de matières grasses d’origine animale et d’aliments transformés. Si cette phase a débuté il y a plusieurs générations en Occident, elle s’est opérée en quelques décennies dans les pays du Sud. En lien avec la transition démographique, elle génère une forte augmentation de l’obésité et des maladies chroniques associées telles que le diabète, l’hypertension et les maladies cardio-vasculaires. Les populations de ces pays en souffrent doublement : elles ont souvent connu, elles-mêmes ou leurs ascendants, des situations de carence durant leur enfance. L'expression de leur patrimoine génétique est ainsi davantage adaptée à un état de sous-nutrition, ce qui favoriserait le développement de l’obésité.
Des environnements alimentaires à risque

À Madagascar, comme dans de nombreux pays du Sud, l’alimentation de rue est un moyen facile et peu coûteux de se nourrir.
© IRD - Hardi - Thibaut Vergoz
L’environnement alimentaire de ces individus est, en outre, nocif. Ils se restaurent de plus en plus souvent hors de leur domicile, dans des snacks ou des fast food où l’alimentation est de qualité nutritionnelle médiocre. Même à la maison, les aliments transformés, riches en acides gras transCatégorie de constituants de la matière grasse provenant notamment de l’hydrogénation partielle des huiles végétales qui favorisent le risque cardiovasculaire, sont devenus légion, tandis que boissons sucrées et sodas sont régulièrement consommés. Quant aux fruits et légumes, plus chers car souvent destinés à l’exportation, ils sont délaissés alors qu'ils protègent contre ces maladies.
Face à la transition nutritionnelle, les groupes sociaux sont inégaux. Les femmes sont ainsi davantage touchées, notamment dans certaines régions. « En Tunisie, elles ont trois fois plus de risque que les hommes de devenir obèses, explique Jalila El Ati, cheffe de Service "Études et Planification" à l'Institut national de nutrition et de technologie alimentaire de Tunisie. Elles sont prédisposées à augmenter leur masse grasse à travers les grossesses et l’allaitement, pourtant ce différentiel d’obésité n’existe pas dans les pays européens. Aujourd’hui, seules les femmes les plus éduquées, avec une activité professionnelle, ne présentent pas de différence de poids avec les hommes en raison d'une égalité accrue au sein du foyer mais aussi dans l’espace public. »
De manière générale, si l’obésité a touché en premier lieu les classes sociales les plus riches, elle concerne aujourd’hui les plus démunis. Si la transition nutritionnelle dans cette région devait suivre le schéma de celle en Occident, l’obésité resterait élevée dans ces populations défavorisées dans le futur, ajoutant aux inégalités existantes.
Une double charge de malnutrition

L’insécurité alimentaire peut conduite à de nombreuses formes de malnutrition, dont la dénutrition mais aussi l’obésité. Cette « double charge » peut se retrouver à l’échelle d’un foyer.
© FAO
Les carences continuent en effet à exister. Dans de nombreux foyers, des adultes obèses cohabitent avec des enfants en retard de croissance : il s’agit de la double charge de malnutrition. Des individus eux-mêmes, souvent des femmes, peuvent être obèses et carencés en fer. La faute à une alimentation de mauvaise qualité, souvent industrielle, très calorique mais pauvre en vitamines et minéraux.
Comment prévenir ces différentes formes de malnutrition ? « L’environnement détermine le comportement des gens, estime Pierre Traissac. Par exemple, si les fruits et les légumes sont trop chers, les messages de prévention ne fonctionneront pas. Les États tentent d’agir à travers des incitations auprès des acteurs agro-alimentaires. Mais leur tâche est ardue car ils doivent faire face à des entreprises dont les bénéfices proviennent de la vente d’aliments nocifs pour la santé. »

Questionnaire de fréquence de consommation alimentaire dans le cadre d'une enquête réalisée pour un projet sur la transition alimentaire et nutritionnelle dans les pays du Sud et du Maghreb.
© Jalila El Ati
La Tunisie a ainsi lancé un plan national de prévention de lutte contre l’obésité appuyé sur des projets de recherche menés avec l’IRD. À Bizerte par exemple, dans le nord du pays, les boulangers ont été incités à diminuer de 40 % la quantité de sel dans leur pain. En contrepartie de leurs efforts, l’État a mis en place un affichage promotionnel valorisant ces boulangers auprès des consommateurs. Les pouvoirs publics ont également demandé aux industriels d’utiliser des ingrédients naturels non transformés (farine, œufs, son de blé) et de la confiture sans sucre ajouté pour fabriquer les biscuits destinés aux enfants. Ici aussi, c’est un étiquetage spécifique « Bon pour la santé » apposé sur ces produits qui a motivé les entreprises. Jalila El Ati poursuit : « Nous souhaitons élargir ces expérimentations à d’autres acteurs économiques. Je suis plutôt optimiste : certains industriels sont enthousiastes et souhaitent s’engager. Mais notre objectif sera par la suite d’inscrire dans la législation des taux réglementaires de sucre, de sel et d’acides gras trans dans les aliments industriels. Au-delà des incitations, la réglementation est une étape essentielle pour agir concrètement. »
En Éthiopie, pallier les carences avec l’injera
Les Éthiopiens connaissent déjà la transition nutritionnelle. Mais ils sont encore très souvent carencés, notamment en folate, car ils mangent peu de légumes. Cette carence est dangereuse lors de la formation du fœtus pendant les trois premiers mois de grossesse : elle provoque une malformation du système neuronal et peut conduire à un retard mental. Pour y remédier, la JEAI AnemiNut (Voies alimentaires de lutte contre les ANEMIes NUTritionnelles) a cultivé des microorganismes qui favorisent la fermentation et produisent des folates. « Ces bactéries lactiques peuvent être ajoutées lors de la fabrication de l’injera, une galette en farine de tef - une céréale originaire de la région -, qui constitue le plat quotidien des Éthiopiens, explique la microbiologiste à l’IRD Christèle Humblot (UMR Nutripass). La fermentation par ces bactéries favorise la production de folates dans l’injera, ce qui permettrait de couvrir 30 % des apports journaliers. » Après des essais concluants en laboratoire, les scientifiques souhaitent produire ces ferments en grande quantité. Les Éthiopiens pourront les utiliser quotidiennement dans la fabrication de l’injera et ainsi, diminuer les risques de carences.

Le moustique Aedes aegypti est le vecteur principal de la dengue, du virus Zika, du chikungunya et de la fièvre jaune.
© IRD - Patrick Landmann, Vectopôle
Maladies infectieuses : le défi de la prévention
« Éviter de tomber malade, c’est encore la meilleure façon de se soigner ! » Si cette affirmation semble logique, elle constitue un nouveau paradigme de la lutte contre les maladies infectieuses. « Nous devons sortir d’une approche basée majoritairement sur le diagnostic et le traitement qui laisse un coup d’avance aux pathogènes, explique Frédéric Simard. Le directeur de l’unité MIVEGEC étudie le comportement des vecteurs (moustiques, tiques, punaises…) de maladies infectieuses. C’est pourquoi, avec ses équipes, il « court après les pathogènes » selon ses mots depuis des années. « Aujourd’hui, il existe peu de vaccins et de traitements efficaces et disponibles pour traiter les maladies infectieuses. Alors pour prévenir les épidémies, nous devons déterminer d’où provient la menace, étudier les pathogènes avant qu’ils n’attaquent l’homme, identifier les canaux de transmission, les comportements à risque et les conditions qui favorisent l’émergence et la diffusion de ces maladies chez l’être humain. Nous devons être capables d’anticiper la lutte contre les pathogènes et leur transmission par une gestion éclairée des socio-écosystèmes dans lesquels ils évoluent. »

Affiche de prévention de la Croix-Rouge brésilienne contre les épidémies de Zika, dengue et chikungunya.
© IRD – Daina Rechner
Cette évolution s’inscrit dans un contexte d’émergence de nouvelles maladies infectieuses. À travers les opérations de déforestation, les hommes sont de plus en plus en contact avec les animaux sauvages, réservoirs de virus. Les vecteurs, eux, sont devenus résistants aux insecticides et se sont adaptés aux habitudes des hommes. Les moustiques Anopheles par exemple, s’installent dans les villes alors qu’ils ne supportaient pas la pollution. Ils piquent désormais la journée, à l’extérieur des maisons : les moustiquaires imprégnées d’insecticide deviennent moins utiles dans ce cas. Enfin, la mondialisation des transports a favorisé la circulation des insectes, tel que l’Aedes albopictus, le moustique tigre, vecteur de Zika, du chikungunya et de la dengue. Originaire d’Asie, il a colonisé l’ensemble des continents en une trentaine d’années.
Surveillance locale
Dans un premier temps, la lutte contre les maladies infectieuses s’inscrit dans la prévention. « Au Burkina Faso, la transmission des arbovirus fait l’objet d’une veille sanitaire à travers la surveillance entomologiquepar le laboratoire de Reference des Maladies Hemorragiques au Centre Muraz et le Laboratoire d’entomologie médicale de l’IRSS à Bobo-Dioulasso1, explique Roch Dabiré, entomologiste médical et directeur régional de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) à Bobo-Dioulasso. Nous étudions la dynamique des populations de moustiques dans les villes les plus touchées par la dengue, notamment Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, mais aussi la résistance des Aedes aegypti, vecteurs potentiels, aux insecticides. Nous relevons régulièrement des pièges qui leur sont destinés afin d’évaluer leur présence. Ainsi, nous pouvons tirer la sonnette d’alarme quand leur population augmente, en amont des épidémies. » Les scientifiques surveillent aussi particulièrement les régions comprises entre la Côte d’Ivoire et Ouagadougou, en suivant la ligne ferroviaire : dans leur ligne de mire, le moustique-tigre (Aedes albopictus) qui sévit dans le pays voisin.

Réalisation de tests permettant de diagnostiquer la forme viscérale de la leishmaniose, la plus sévère, qui affecte 500 000 personnes dans le monde chaque année.
© IRD - Anne-Laure Banuls
Second axe d’action, la lutte contre la filariose lymphatiqueDue à une infection par des vers filaires, elle est caractérisée par un gonflement des membres, ce qui lui vaut son surnom d’éléphantiasis à travers le Programme National Maladies Tropicales Négligées : la maladie reste en effet endémique du sud-ouest à l’est du Burkina Faso. Ce programme met l’accent sur la communication et la prévention par le traitement massif par l’ivermectineMédicament utilisé pour lutter contre plusieurs parasitoses afin d’éviter la persistance du parasite.
Ce système de surveillance a aussi mis en lumière des cas d’infection d’Onchocerca volvolus, parasite de l’onchocercoseTransmises par des moucherons, elle entraine démangeaisons, atteintes oculaires et épilepsie dans la région des Cascades à la frontière avec la Côte d’Ivoire, alors qu’elle a quasiment disparu du pays. « Les personnes infectées sont pour la plupart des déplacés en provenance de la Côte d’Ivoire, continue Roch Dabiré. L’IRSS surveille particulièrement les régions frontalières avec ce pays dont le système de santé a été désorganisé pendant la guerre civile de 2002-2012. Le plan d’action pour l’élimination de cette maladie que nous avons mis en place de façon très localisée continuera jusqu’à la disparition de la maladie que nous espérons pour 2025. »
Une prévention pluridisciplinaire et multisectorielle
Aujourd’hui, les scientifiques ont pour objectif d’élaborer des systèmes de prévention transdisciplinaires et multisectoriels. Ces derniers doivent être transfrontaliers et intégrer les acteurs de l’espace public (urbanisme, transports) et privés (import/export, voyagistes…) qui favorisent la diffusion des pathogènes et de leurs vecteurs à travers leurs activités, en particuliers pour la dengue. En l’absence de vaccin pour la plupart de ces maladies, à l’exception de la fièvre jaune, la lutte antivectorielle constitue un maillon important de prévention. La recherche et l’utilisation de technologies innovantes adaptées à chaque contexte auront un réel impact sur la lutte contre les maladies infectieuses.

Consultation avec le médiateur au sein du Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée (CERFIG - IRD - Inserm).
© IRD - Alain Tendero, PostEboGui 2018
Ces patients experts
Comment un patient peut-il s’impliquer dans son parcours de soin ? Le faire évoluer en fonction de ses besoins, de ses attentes ? Au Sud, cette participation est rare car les relations entre patients et médecins sont souvent de type paternaliste. Ces derniers disposent d’une forte autorité et prennent rarement le temps d’expliquer leur diagnostic. En face d’eux, les malades ne questionnent pas l’avis médical car ils connaissent généralement peu les pathologies et les traitements. Il leur est, en outre, souvent difficile d’accéder aux soins.
Pourtant, l’émergence d’associations mondiales de patients atteints du virus d’immunodéficience humaine (VIH) s’impliquant dans leur parcours de soins a permis à certains malades africains de faire évoluer leur rapport aux professionnels de santé. « Il y a une vingtaine d’années, des personnes vivant avec le VIH au Sénégal se sont regroupées dans des associations au sein desquelles ils s’entraident, discutent de leur maladie, de leur traitement et portent des revendications collectives », explique Bernard Taverne, anthropologue à l’IRD et directeur adjoint de l’UMR TransVIHMI. Certains d’entre eux sont devenus des patients experts : ils ont acquis de réelles connaissances médicales et peuvent discuter d’égal à égal avec les médecins. Ils sont devenus médiateurs associatifs et accompagnent les autres malades, sur le plan aussi bien social que médical. »
Un accompagnement psycho-social
Ces médiateurs jouent le rôle d’interface entre les patients et les médecins. Ils introduisent les malades au sein des structures de soin et de recherche, leur expliquent les prescriptions. Une grande majorité d’entre eux sont d’anciens malades qui souhaitent aider des personnes souvent démunies face à la complexité des traitements. C’est le cas de FatoumataLe prénom a été modifié afin de préserver l’anonymat de la médiatrice. 1 : sa maladie a été diagnostiquée en 2002 et elle accompagne depuis une quinzaine d’années des malades au sein du Centre de Recherche et de Formation à la prise en charge du VIH (CRCF) du CHU de Fann de Dakar : «J’étais malade lorsque je suis arrivée au CRCF, précise-t-elle. J’ai été accueillie et j’ai été accompagnée par des médiatrices qui m’ont expliqué les soins. Depuis, je souhaite moi aussi aider les personnes malades à leur arrivée au CHU. Nous souhaitons qu’elles soient autonomes, qu’elles comprennent et s’impliquent dans le processus médical. »

© IRD – Bernard Taverne
Le Centre régional de Recherche et de formation à la prise en charge clinique de Fann (CRCF) à Dakar dispense des médicaments antirétroviraux.
L’accompagnement est en premier lieu pratique et psychologique. Le patient est guidé dans la structure médicale et des aides lui sont proposées lorsqu’elles sont disponibles - repas communautaires, prise en charge du transport - afin de le soulager financièrement. Les médiateurs ont pour objectif de redonner confiance aux malades et de défendre leurs droits. « Nous avons de très bonnes relations avec les chercheurs et les médecins, continue la médiatrice. Nous accompagnons les patients lors des consultations et nous essayons de leur donner toutes les informations disponibles sur les soins proposés. »
Indispensables mais précaires
D’abord bénévoles, les médiateurs se sont professionnalisés au fur et à mesure. Ils sont aujourd’hui environ 150 au Sénégal mais leur statut demeure cependant précaire. Tantôt soumis à des contrats courts souvent intermittents, tantôt bénévoles indemnisés, leur engagement est avant tout personnel. Ils sont devenus indispensables aussi bien pour les patients que pour les professionnels de santé et les chercheurs. « Les médiateurs peuvent être les porte-paroles des résultats de la recherche sur le VIH vers la population, estime Bernard Taverne. Ils nous apportent le point de vue des patients et peuvent jouer le rôle de lanceurs d’alerte en cas de dysfonctionnements du système de santé. Leur rôle est aujourd’hui reconnu par les autorités dans le domaine de la lutte contre le VIH mais pas dans les autres domaines. Il reste encore beaucoup de chemin à faire pour que la relation entre patients et professionnels de santé s’améliore dans les autres champs de la santé. »