Mis à jour le 20.05.2019
Pour la première fois, les scientifiques ont utilisé l’analyse des médias sociaux pour étudier la dynamique d’une épidémie de Chikungunya. Le résultat établit les tenants comportementaux de l’épidémie martiniquaise de 2014 et éclaire les mécanismes de propagation de cette pathologie émergente.
Selon une étude originale, examinant les discussions sur les réseaux sociaux, le comportement humain aurait joué un rôle déterminant dans la propagation de l’épidémie de Chikungunya de 2014 en Martinique. Cette assertion fait partie des conclusions d’un article scientifique récemment publié dans la revue Scientific Reports (1) par des scientifiques de l’IRD et leurs partenaires (2). "Nous avons mené une analyse épidémiologique, écologique et digitale de l’événement, explique la socio-écologue Béatrice Gaillard, co-auteur de ce travail. Nous nous sommes appuyés pour cela sur les observations d’un réseau de médecins sentinelles sur toute l’île, sur des relevés entomologiques mais aussi sur une analyse lexicale des messages publiés localement sur Twitter à propos de l’épidémie pour pouvoir estimer le comportement des populations." Introduit en décembre 2013, le virus chikungunya, transmis dans cette région par le moustiqueAedes aegypti, s’est répandu dans toute l’île, entrainant plus 72 500 infections dont 51 décès sur 400 000 habitants.

Les gites où se développent les larves d’Aedes aegypti sont variés
© IRD / D. Fontenille
"La dynamique spatio-temporelle des principales infections endémiques (3), comme les maladies de l’enfance ou les affections à transmission vectorielle, est un domaine déjà bien documenté, explique Benjamin Roche, spécialiste de l’écologie des maladies infectieuses émergentes. Mais sur les infections émergentes, comme le chikungunya, il y a très peu d’étude pour guider l’action en santé publique. En l’occurrence, les étapes initiales de la propagation, déterminantes pour adapter une stratégie sanitaire et une réponse efficaces, restent mal connues." Compte tenu de son insularité et de sa superficie relativement modeste (4), la Martinique se prête bien à l’étude des facteurs de propagation spatio-temporelle, les introductions se produisent à proximité de la plus grande ville via le port et l’aéroport. De fait, la diffusion de la maladie s’est révélée suivre un schéma en deux ondes successives le long des axes de communication terrestre, depuis Fort-de-France, l’épicentre de l’épidémie, vers le reste de l’île. "Cela suggère que ce sont les individus se déplaçant sur les routes qui vont infecter les moustiques de plus en plus loin de la capitale, créant les foyers épidémiques locaux", indique le chercheur.

Logo Twitter
Mais surtout l’analyse des "tweets" émis à cette époque permet pour la première fois de quantifier l’impact du comportement humain dans les étapes initiales de l’épidémie. "En comptant les messages initiaux, les reprises, les réponses et les "likes", plus de 2 000 messages été examinés lexicalement, explique Béatrice Gaillard. Intégrés dans des modèles mathématiques, ils révèlent que la prise en compte des comportements humains exprimés dans ces messages est nécessaire pour expliquer la courbe de progression de l’épidémie. Ils ont également montré comment les discours évoluaient dans le temps, en fonction des proportions prises par l’événement, des campagnes de communication orchestrées par les autorités ou même de rumeurs." Le lien avéré entre perception de la maladie et des mesures sanitaires sur les réseaux sociaux et évolution du nombre de cas ouvre des perspectives concrètes pour améliorer la réponse aux épidémies émergentes. Il s’agira à l’avenir de mieux intégrer les aspects comportementaux dans la prise en charge des premières étapes de l’événement épidémique.
Notes
1. Roche B., Gaillard B., Léger L., Moutenda R., Sochacki1 T., Cazelles B., Ledrans M., Blateau A., Fontenille D., Etienne M., Simard F., Salathé M., Yébakima A., An ecological and digital epidemiology analysis on the role of human behavior on the 2014 Chikungunya outbreak in Martinique, Scientific Reports , 2017.
2. Service de Démoustication/Lutte antivectorielle de Martinique, CNRS, CIRE Antilles-Guyane et Ecole Polytechnique Fédérale Lausanne
3. Maladie habituellement présente dans une population
Contacts : beatrice.gaillard@ird.fr, benjamin.roche@ird.fr