Mis à jour le 20.02.2019
Les travaux de démographes révèlent l’importance de la surmortalité liée à la discrimination sexuelle à l’égard des fillettes dans certaines régions de l’Inde. Ils montrent un pays divisé géographiquement autour du phénomène et distinguent les principaux facteurs socioculturels associés.
Le poids de la discrimination sexuelle postnatale à l’égard des petites filles vient d’être mis en évidence dans certaines régions indiennes par une équipe internationale 1. « Pour la première fois en Inde, nous avons quantifié à l’échelle locale l'excès de décès de femmes , explique la démographe Nandita Saikia 2. Nos travaux montrent une surmortalité significative chez les fillettes de 0 à 5 ans ». Le phénomène coûterait la vie à 239 000 d’entre elles chaque année, essentiellement dans les grands États de la plaine du Gange, au nord du pays.
Mortalité attendue et mortalité réelle
Pour caractériser cette surmortalité infantile féminine, dans un pays sans état-civil, les scientifiques ont mis sur pieds une méthodologie sophistiquée en deux étapes. Ils ont d’abord évalué la mortalité des garçons et filles, en s’appuyant sur le recensement de 2011. Des questions posées aux femmes dans ce cadre, sur leur nombre d’enfants, la proportion de survivants et leur sexe, permettent de s’en faire une idée assez précise. Ils ont ensuite estimé la mortalité attendue pour chaque sexe, en comparant la situation indienne à celle de 46 pays ayant des conditions équivalentes de développement et de dynamique démographique. Plus fragiles biologiquement, les petits garçons connaissent une surmortalité naturelle, établie presque partout. « La comparaison entre les mortalités attendue et constatée en Inde révèle un surcroit de 1,85 % en défaveur des petites filles , indique Christophe Guilmoto, démographe à l'IRD. Ce déséquilibre est directement imputable à la discrimination sexuelle qui les vise ». Une discrimination qui peut prendre la forme d’un déficit de soins à l’égard des fillettes – retard vaccinal, recours moindre ou tardif au médecin en cas de maladie, voire insuffisance de la ration alimentaire.

L'accès à l'éducation scolaire est un des paramètres pour apprécier la préférence accordée - ou non - aux garçons
© Pixhere
Grâce à la finesse de l’échelle choisie, les scientifiques, qui ont examiné les données statistiques des 640 districts du pays, vont plus loin. « Nous avons pu dégager de précieux enseignements sur la structuration spatiale et sur les principaux facteurs associés à cette discrimination , raconte le chercheur. Sans surprise, les zones les plus affectées correspondent aux régions où les systèmes familiaux sont les moins égalitaires. En outre, nous avons décelé une corrélation marquée à l’échelle locale entre le phénomène et le retard de développement économique, la préférence pour les garçons 3 ou la forte fécondité ». Si les deux premiers facteurs semblent concourir logiquement aux mécanismes socioculturels aboutissant à cette discrimination, la fécondité élevée interroge davantage. Pour expliquer son lien avec la maltraitance des fillettes, les chercheurs émettent l’hypothèse qu’elle intervient là où les populations ne peuvent pas contrôler le sexe de leur progéniture en amont. Les couples multiplient alors le nombre de naissances jusqu’à obtenir un garçon, auquel ils accorderont plus d’attention et de soins qu’à ses sœurs…
« Étant la quatrième fille de mes parents, qui voulaient un fils sous la pression de la société, ces résultats résonnent singulièrement avec mon histoire personnelle, révèle Nandita Saikia, démographe à l’Université JNU à New Delhi.Mais j'ai eu la chance de naître en Assam, dans le nord-est de l'Inde, une région où le statut des femmes est relativement acceptable, et je n'ai pas été discriminée pour l’accès à la nourriture, aux soins ou à l'éducation. Si des progrès indéniables ont été réalisés dans certaines régions, dont la mienne, l'Inde a encore un très long chemin à parcourir pour atteindre l'égalité des sexes. Nos travaux peuvent contribuer à une prise de conscience en ce sens ».
Notes :
1. Christophe Z Guilmoto, Nandita Saikia, Vandana Tamrakar, Jayanta Kumar Bora, Excess under-5 female mortality across India: a spatial analysis using 2011 census data, The Lancet, Volume 6, No. 6, e650–e658, June 2018
2. Center for the Study of Regional Development, School of Social Science, SSS III
Jawaharlal Nehru University, New Delhi
3. Évaluée notamment sur la base de la différence de l’éducation scolaire accordée aux garçons et aux filles.
Contacts : christophe.guilmoto@ird.fr / saikia@iiasa.ac.at