Mis à jour le 03.07.2023
Le prélèvement et l’analyse d’une carotte de corail ont permis de reconstituer le pH et la température de l’eau du Pacifique Sud depuis plus de trois siècles. Ces données permettent de dater l’origine du changement climatique actuel et désignent la responsabilité des activités humaines.
Le corail s’avère être un précieux témoin du changement climatique. Comme la carte mémoire d’un instrument de mesure, il enregistre les événements affectant l’atmosphère et l’océan. « Pour la première fois, nous avons pu reconstituer le pH de l’eau de surface du Pacifique Sud sur une période de 332 ans, avec une grande résolution temporelle, indique Delphine Dissard, géochimiste et paléoclimatologue à l’IRD. Son évolution année après année témoigne sans ambiguïté de l’impact des activités anthropiques sur le carbone atmosphérique. »
Depuis quelques temps, l’acidification des océans mobilise l’attention des scientifiques. Elle constitue en effet un marqueur précis de l’augmentation de la teneur en CO2 de l’atmosphère. Par quel processus ? Le transit naturel du carbone du compartiment atmosphérique vers les eaux de surface. « Les deux compartiments, océan-atmosphère, doivent être à l’équilibre et se régulent l’un l’autre , précise Aline Tribollet, écologue des récifs coralliens à l’IRD. Environ un quart du CO2 émis est absorbé par l’océan. » Et comme c’est un acide, il contribue à abaisser le pH des premières couches de l’océan.
Une carotte de plus d’un mètre
Pour connaître l’évolution du pH de l’océan, les chercheurs ont prélevé une longue carotte dans une colonie corallienne massive au sud-ouest de Nouméa, en Nouvelle-CalédonieUn projet financé par le Labex IPSL (Institut Pierre Simon Laplace)1 . Ce corail, immergé à une quinzaine de mètres, pousse de trois millimètres par an en moyenne. Mais surtout son squelette conserve la trace de la composition de l’eau au moment où il s’est formé. « L’échantillon, de plus d’un mètre, que nous avons obtenu par forage en 2011 était suffisamment long, avant d’atteindre le socle rocheux, pour remonter jusqu’en 1689 », indique Aline Tribollet. La carotte, d’une douzaine de centimètres de diamètre, a été rapportée au laboratoire et découpée dans sa longueur. Des mesures de l’isotopieÉtude des isotopes, les formes d’un même élément chimique comportant un nombre différent de neutrons du bore ont alors été réalisées tout au long de la carotte, car la signature géochimique de cet élément dépend du pH de l’eau de mer. De la même manière, mais en analysant cette fois l’isotope 18O de l’oxygène, les scientifiques ont pu aussi reconstituer la température de l’eau à l’échelle annuelle au cours des trois derniers siècles.
L’Homme responsable
Sans surprise, le pH et la température de l’eau de mer connaissent des variations épisodiques naturelles, dès le début de la séquence étudiée, au XVIIe siècle. Elles correspondent à des perturbations connues du climat dans le Pacifique, comme El Niño et l’oscillation décennale du Pacifique (ODPVariation cyclique de la température de surface de la mer sur une période de plusieurs décennies). « Mais à partir du milieu du XIXe siècle, une augmentation progressive de l’acidité et de la température de l’eau de mer vient s’ajouter à ces phénomènes naturels, au point de finir par les surpasser en intensité, explique Delphine Dissard. Ce changement coïncide de façon très éloquente avec l’avènement de la révolution industrielle et l’explosion de l’usage des énergies fossiles.» Selon les données analysées sur la carotte, l’acidification et le réchauffement de cette partie du Pacifique se poursuivent ensuite progressivement, pour finir par s’accélérer dans les 30 dernières annéesBaisse du pH de 0,16 depuis le début du XIXe et une projection à l’échelle globale de -0,3 à -0,4 vers 21001.
Pour en avoir le cœur net, les scientifiques sont allés plus loin, en analysant cette fois les variations isotopiques du carbone le long de la carotte. « Le carbone issu de la combustion des énergies fossiles n’a pas la même signature isotopique que celui provenant de processus naturels , précise la spécialiste. Ce carbone diffuse ensuite dans l’océan et laisse son empreinte au sein du corail. » Là encore, les résultats sont sans appel. La prépondérance du carbone issu des activités anthropiques apparaît concomitamment à la baisse du pH et la montée des températures de l’océan. « Ces signatures couplées du carbone et du bore prouvent la responsabilité de l’Homme à la fois dans l’accumulation atmosphérique de gaz à effet de serre, mais aussi dans l’acidification de l’océan », conclut Delphine Dissard. Des recherches complémentaires, sur d’autres carottes de corail prélevées au niveau du Pacifique tropical, sont planifiées dans un futur proche, pour confirmer ces résultats et mieux caractériser l’impact des changements globaux dans cette zone de la planète.
Observez la technique de carottage du corail dans la vidéo « Le corail, une mémoire de climat », réalisée en 2000 lors de la campagne IRD Paleomarq, par Brigitte Surugue-Poher et Roland Bacon (production IRD/Océanopolis) :