Mis à jour le 20.02.2019
L’interruption volontaire de grossesse est tout à la fois l’enjeu de débats idéologiques et de politiques sanitaires. La démographe Agnès Guillaume, co-auteur avec Clémentine Rossier d’une vaste revue sur le sujet, apporte des éléments de compréhension sur l’accès, le droit et les pratiques de l’avortement dans le monde de nos jours.
Agnès Guillaume : Dans la plupart des pays, le droit en la matière évolue peu. Par exemple, en 1996, trois pays africains sur 53 autorisaient l’avortement à la demande des femmes. 22 ans plus tard, ils ne sont que six. C’est faible au plan quantitatif. Mais des évolutions se font à la marge sur ce continent, comme en Amérique latine : des pays peu libéraux élargissent les conditions d’accès en permettant le recours à l’avortement en cas de viol, de malformation du fœtus, ou en passant d’une autorisation uniquement pour sauver la vie de la femme?Ce qui fait consensus à peu près partout. à une autorisation pour préserver sa santé.
À l’échelle du monde, il y a des mouvements inverses selon les cas, et il parait difficile de distinguer une tendance globale. Ainsi, en Amérique latine, plusieurs pays ont progressé vers l’accès à l’avortement tandis que d’autres régressaient. Mais au-delà du droit formel, se pose la question de l’accès réel. Dans certains pays, l’avortement est possible en cas de viol mais il requiert tant d’autorisations que c’est un droit plus théorique que concret.
Existe-t-il en la matière un clivage entre pays ?
A. G.: La situation est bien différente entre les pays développés et les pays en développement. Les lois sont beaucoup plus permissives dans les premiers. Ainsi, 70 % des pays développés autorisent l’interruption de grossesse à la demande de la femme, alors que c’est seulement le cas dans 16 % des pays en développement, et dans 4 % des pays les moins développés. Cela signifie concrètement que 80 % des femmes en âge de se reproduire y ont accès dans les pays développés, sans autre limite que le respect des délais légaux, et seulement 6 % dans les pays les moins avancés. L’accès à ce droit est donc très inégal selon les régions. Et à cause de ces restrictions d’accès, les femmes qui y recourent s’exposent à des sanctions pénales et à des risques pour leur santé.
Mais paradoxalement, l’avortement est souvent plus fréquent dans les pays où il n’est pas autorisé. En effet, les programmes de santé reproductive y sont généralement moins développés et l’accès à la contraception plus limité, ce qui entraine plus de grossesses non désirées. Ainsi, en Amérique latine l’incidence de l’avortement – légal ou illégal – atteint 44 pour 1000 femmes par an, en Afrique, 34 et en Europe de l’ouest où il est presque partout autorisé, seulement 16.
En quoi l’avortement médicamenteux? Par la prise de misoprostol et /ou de mifepristone selon les pays et la situation légale constitue-t-il une révolution ?

Manifestation en faveur de l’accès à l’IVG en Argentine, en 2018. Adoptée dans un premier temps par les députés, la légalisation de l'avortement a finalement été bloquée par les sénateurs argentins.
© Protoplama K- CC Flickr
A. G.: Cette pratique a vraiment changé la donne, autant dans les pays où l’interruption de grossesse est autorisée que dans ceux où elle ne l’est pas. Elle remplace les techniques invasives ou les méthodes traditionnelles à risque utilisées jusqu’alors. Elle permet en effet de se dispenser d’un plateau médical sophistiqué, d’éviter l’hospitalisation et d’alléger d’éventuelles réticences des personnels de santé car elle est moins impliquante que les techniques chirurgicales. C’est maintenant la principale méthode dans les pays où il est légal. Mais surtout, dans les situations où l’accès légal à l’avortement est restreint, cette méthode, en particulier avec l’utilisation du misoprostol à la place des techniques artisanales, permet aux femmes de recourir à l’avortement à moindre risque. Ainsi il contribue fortement à limiter la morbidité et la mortalité associées aux interruptions de grossesse clandestines. De ce fait, sa mise à disposition partout dans le monde et les conseils d’usage sont au centre de l’action de multiples ONG.
Notes :
* Guillaume A. & Rossier C., L’avortement dans le monde. État des lieux des législations, mesures, tendances et conséquences, Population , n°2 2018.
Contact : agnes.guillaume@ird.fr