Mis à jour le 22.05.2019
Les insectes hématophages des grottes d’Afrique centrale pourraient être des vecteurs de virus et de bactéries dont les chauves-souris sont les hôtes. Un inventaire des espèces de ce milieu ouvre la voie à une meilleure compréhension des cycles de transmission de ces agents infectieux.
Monde mystérieux s’il en est, la grotte reste un espace peu exploré par les entomologistes. Difficile d’accès, sa faune fait rarement l’objet d’attention, surtout en Afrique centrale. Pourtant, la spécificité des espèces de ce milieu – plus particulièrement la présence en très grande nombre de chauve-souris et d’insectes hématophages – en fait un écosystème propice à la circulation ou à la transmission d’agents infectieux1. Un inventaire inédit réalisé dans six grottes gabonaises révèle la dynamique de ces communautés d’insectes2. "Le précédent état des lieux avait été réalisé dans les années 1960. Nous avons travaillé pendant 12 mois pour mettre à jour ces données, explique l’entomologiste médical et premier auteur de l’étude Judicaël Obame-Nkoghe. Sur les 68 espèces de diptères hématophages (moustiques, culicoïdes et phlébotomes) récemment répertoriées, 45 n’avaient jusqu’alors jamais été signalées au Gabon. Ces informations sont essentielles alors que les grottes connaissent une forte anthropisation et qu’il existe un risque d’émergence des agents infectieux."

Exploration d'une grotte
© Olivier Testa
Les villageois se rendent nombreux dans les grottes pour pêcher dans les rivières souterraines ou chasser des rongeurs et des chauves-souris. Destination d’écotourisme, les grottes sont aussi visitées par les citadins. De nombreuses entreprises minières s’y intéressent et y réalisent des prospections. Autant de contacts qui se multiplient entre les hommes et ces insectes hématophages possibles vecteurs d’agents infectieux. "Certaines grottes hébergent des colonies de 100 000 à 200 000 chauve-souris, souligne l’entomologiste Christophe Paupy. Il est probable que ces chauves-souris cavernicoles, comme les chauves-souris de manière générale, soient des hôtes d'arbovirus3, tels que les Togaviridae (virus du chikungunya) et les Flaviviridae (virus de la dengue ou du Zika) responsables de syndromes fébriles chez l'homme. Au vu de la densité importante de chauves-souris vivant au contact d'insectes vecteurs, les grottes pourraient être le siège d'une circulation intense d'arbovirus. Certains d’entre eux pourraient être transférés à l'homme."
La transmission accidentelle de pathogènes à l’homme pourrait également se produire à l’extérieur des grottes. Seuls 3,8 % des moustiques et 36,3 % des phlébotomes répertoriés sont strictement inféodés à ce milieu et y restent confinés. La grande majorité des diptères a ainsi la possibilité d’entrer en contact avec les hommes. Certains d’entre eux - tels qu’Anopheles hamoni et Anopheles caroni chez les moustiques - se nourrissent à la fois à partir des chauves-souris, des rongeurs et des êtres humains.
Aujourd’hui, l’enjeu est de comparer à l’aide d’outils génétiques les insectes des milieux cavernicoles et ceux vivant à l’extérieur afin de déterminer s’ils font partie d’une même population. Dans ce cas, cela confirmerait les échanges permanents et les possibilités de transfert de pathogènes entre ces deux compartiments. "Cet inventaire est une première étape pour comprendre les cycles de transmission, indique Christophe Paupy. Surveiller ces écosystèmes à risque peut aider à la mise en place d’un processus préventif afin d’éviter l’émergence de virus ou d’autres d’agents infectieux".
Notes
1. Judicael Obame-Nkoghe J, Leroy EM, Paupy C. Diversity and role of cave-dwelling hematophagous insects in pathogen transmission in the Afrotropical region. Emerg Microbes Infect., 2017.
2. Judicaël Obame-Nkoghe, Nil Rahola, Diego Ayala, Patrick Yangari, Davy Jiolle, Xavier Allene, Mathieu Bourgarel, Gael Darren Maganga, Nicolas Berthet, Eric-Maurice Leroy & Christophe Paupy. Exploring the diversity of bloodsucking Diptera in caves of Central Africa. Scientific Reports (Nature Publisher Group), 2017.
3. Virus transmis par l'intermédiaire d’arthropodes vecteurs
Contacts : Judicaël Obame-Nkoghe / Christophe Paupy