Mis à jour le 11.07.2019
Le bassin de l’Amazone étant difficile d’accès, l’état de ses nappes phréatiques restait quasi inconnu. Mais le mystère est levé grâce à une évaluation mise au point par une équipe internationale liée à plusieurs unités de l’IRD et menée par des chercheurs du LEGOS. Un résultat d’autant plus intéressant que l’accès à cette eau douce est un enjeu majeur pour les populations.
Les réserves d’eaux souterraines (ou nappes phréatiques) du bassin de l’Amazone sont peu évaluées car l’opération nécessite d’effectuer des mesures continues sur place, dans des zones quasi inaccessibles. Grâce à une approche multi-satellite, une équipe franco-brésilienne vient de contourner cet écueil 1 .
Les chercheurs sont partis du fait que la totalité des stocks d’eaux terrestres est constituée des eaux souterraines, auxquelles s’ajoutent les eaux de surface — lacs, plaines fluviales, canaux, etc. — et l’humidité des sols.« Or, les mesures satellites de la mission GRACE [pour Gravity Recovery and Climate Experiment?Missions spatiales de la NASA et de l'agence spatiale allemande ], récemment analysées, nous donnent la totalité des réserves terrestres. Dans le bassin de l’Amazone, les eaux de surface sont également mesurées par satellite. Enfin, des modèles numériques permettent d’estimer l’humidité renfermée dans les sols, explique Fabrice Papa, spécialiste de l’étude du cycle de l’eau et du climat grâce aux observations spatiales, au LEGOS. Par une simple soustraction, nous avons donc pu en déduire la part des eaux souterraines et ses variations mensuelles, de janvier 2003 à septembre 2010. »
Un déficit au long cours
L’évaluation, indirecte, a conduit les chercheurs à faire plusieurs constats. Leur approche montre ainsi une baisse dans les nappes phréatiques en 2005 qui pourrait être la signature de la sécheresse de cette année-là. En outre, ce déficit reste visible jusqu’à la fin de leurs observations, en 2010, au niveau de l’aquifère?Formation géologique contenant de façon temporaire ou permanente de l'eau d’Alter do Chão, situé au centre du bassin de l’Amazone. « De fait, on ne sait pas en combien de temps les réserves se reconstituent », complète Frédéric Frappart, également du LEGOS. Toutefois, cette observation permettrait de mieux cerner les liens, faussement évidents, entre eaux de surface et souterraines : quand il y a peu de pluie, il y a moins d’eau en surface, ce qui impacterait la quantité d’eau en profondeur. Autrement dit, l’eau en surface viendrait alimenter les nappes phréatiques.
Autre résultat, sur l’ensemble du bassin de l’Amazone, les eaux souterraines contribuent en moyenne à hauteur de 20 à 35 % à la variation de la totalité du stock d’eaux terrestres. Mais cette participation diffère d’une zone à l’autre. Elle monte jusqu’à 70 % dans les bassins de Solimões, Xingu et Tapajos, qui sont des bassins versants peu inondés. Tandis qu’elle est plus faible dans les autres zones. Or, le stock total d’eaux terrestres d’une zone donnée dépend des précipitations que cette zone reçoit d’une part, et de l’eau qu’elle perd par évaporation et ruissellement d’autre part. Donc, dans les zones peu inondables, c’est-à-dire là où les eaux de surface varient peu, comme au niveau des bassins cités, les nappes phréatiques seraient la principale origine de variabilité de la totalité du stock d’eaux terrestres.

Quantifier, et accéder à l'eau douce souterraine, un enjeu pour la population.
© Daniel Moreira - CPRM
Décalage temporel
Enfin, dernier constat, la variation du réservoir d’eaux de surface est synchrone avec celle du stock total, mais pas avec celle du réservoir des eaux souterraines, qui est décalée parfois de plusieurs mois. Les chercheurs ignorent encore pourquoi et suggèrent d’approfondir la question afin d’éclairer les échanges entre eaux profondes et de surface, tels les suintements ou les infiltrations qui expliqueraient ce décalage dans le temps.
Cette évaluation indirecte des nappes phréatiques est une première mondiale dont l’intérêt va au-delà de l’Amazone. « Une grande partie de l’eau douce utilisée pour les activités humaines provient de ces réservoirs souterrains et l’accès à cette eau est un enjeu mondial, indique Fabrice Papa. Or, notre méthode est applicable globalement. Il faudrait maintenant faire cette évaluation dans le monde entier, et notamment en Inde et au Sahel où les nappes phréatiques sont régulièrement affectées par la sècheresse et fortement influencées par la pression anthropique. »
Notes :
1. F. Frappart, F. Papa, A. Güntner, J. Tomasella, J. Pfeffer, G. Ramillien, T. Emilio, J. Schietti, L. Seoane, J. da Silva Carvalho, D. Medeiros Moreira, M.-P. Bonnet, F. Seyler, The spatio-temporal variability of groundwater storage in the Amazon River Basin , Advances in Water Resources , 14 décembre 2018
Contacts : Frédéric Frappart /Fabrice Papa