Mis à jour le 18.02.2019
Au Mozambique, comme partout ailleurs, la protection de la biodiversité est un enjeu de gouvernance. Mais dans ce pays où la conservation est récente, la gestion des parcs nationaux offre à l’État un outil de légitimité retrouvée, dans un contexte de partenariats avec des institutions internationales.
« L’Afrique australe a été une zone novatrice dans la mise en place d’aires protégées, notamment dans les pays anglophones comme l’Afrique du Sud, rappelle le géographe Estienne Rodary. A contrario, les États lusophones de la région, tel le Mozambique, se sont peu engagés en ce sens. Ils n’ont introduit les normes internationales de conservation de la nature que ces vingt dernières années, sous l’influence de leurs voisins. » Plongé dans la guerre civile un an après son indépendance, de 1976 à 1992, le Mozambique n’a pas les moyens de s’intéresser aux politiques de préservation de l’environnement 1. Durant le conflit, les aires protégées mises en place lors de la période coloniale sont laissées à l’abandon. La fuite des gestionnaires des parcs empêche une réelle protection de la faune et de la flore sauvage du pays.
À la fin de la guerre, le Mozambique est touché par une politique régionale de décentralisation de la conservation de la nature. « Jusqu’aux années 1970, les États coloniaux puis indépendants avaient imposé des politiques autoritaires et centralisées de conservation de la nature d’où les populations étaient exclues, poursuit le chercheur. Cela change, au début des années 1980, où des pays comme le Zimbabwe impliquent ces communautés en partageant avec elles les retombées économiques du tourisme et les prises de décision politiques. Le Mozambique suit cet exemple à partir de 1994. » Mais les revenus générés par ces politiques de participation ne constituent pas des moyens de subsistance suffisants pour les populations et les conditions biologiques ne s’améliorent pas ; en réaction, les écologues décident de remettre la gestion de la biodiversité au cœur de leur action. Au début des années 2000, les pays d’Afrique australe reviennent à des politiques plus autoritaires et développent des parcs transfrontaliers en partenariat avec des institutions internationales privées.

Le financement du Parc international du Limpopo provient de fonds nationaux et internationaux
© IRD - Estienne Rodary
Le parc transfrontalier du Grand Limpopo incarne ce changement. Créé en 2002 et financé, entre autres, par la Peace Parks Foundation, il couvre une superficie de 3,5 millions d’hectares, englobant le parc national du Kruger en Afrique du Sud, le parc national Gonarezhou au Zimbabwe et le parc national du Limpopo au Mozambique. Les acteurs politiques se concentrent sur la conservation de la biodiversité et l’accès du parc au tourisme international. « Les modes de vie des populations sont transformés au profit des touristes étrangers, souligne Estienne Rodary. Ces espaces enclavés au sein du pays sont déconnectés de la nature telle qu’elle peut être vécue par les Mozambicains. Cela entraîne des transformations de la gouvernance et même de la souveraineté de ces espaces. Par exemple, dans le parc de Gorongosa, des prisons à destination des braconniers ont été créées à l’initiative de l’institution privée gérant cet espace. »
Néanmoins, l’État mozambicain renforce son implication dans la gestion de ses aires protégées, en parallèle des institutions privées. Les partenariats avec la Peace Parks Foundation ou la Fondation Robert Carr lui permettent de s’inscrire à nouveau dans ces territoires où ses moyens d’actions étaient limités. Les agents des parcs se reconnaissent à la fois en tant que salariés des fondations privées mais également de l’État. « À travers ces partenariats, les autorités ont retrouvé leur légitimité dans la préservation de la nature de leur pays. Ces différentes gouvernances ont des impacts sociaux que nous devons investiguer en termes scientifique », conclut le géographe.
Note :
1. Rozenn N. Diallo et Estienne Rodary, The transnational hybridisation of Mozambican nature, African Studies , vol. 76, n° 2, 2017, pp. 188-204.
Contact : estienne.rodary@ird.fr