En Inde, la moyenne nationale de 17,2% de naissance par césarienne cache des disparités entre les catégories sociales, mais aussi entre les régions.

© IRD - Marianne Donnat

Trop, et pas assez, de césariennes en Inde

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Mis à jour le 10.05.2019

L’Inde connaîtrait-elle l’épidémie de césariennes qui touche actuellement de nombreux pays dans le monde ? Grâce aux données issues de la dernière Enquête nationale sur la famille et la santé, des scientifiques de l’IRD ont pu dégager les principales tendances et différences qui se dessinent en la matière.

Proportions des césariennes dans les 640 districts de l’Inde. Les valeurs inférieures au seuil de 10-15% recommandé par l’OMS sont en rouge ; les valeurs supérieures en bleu.

© IRD - Christophe Z. Guilmoto, Alexandre Dumont

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Que savons-nous des accouchements par césarienne en Inde alors que le pays ne dispose toujours pas de statistiques hospitalières fiables ? Il semble d’autant plus difficile d’évaluer la situation sachant que de nombreuses naissances ont encore lieu à domicile et qu’il n’y a pas non plus de système national pour les suivre. Cependant, les données tirées de la dernière enquête nationale sur la famille et la santé, menée en 2015-2016, apportent de nombreuses informations sur les pratiques en matière d'accouchement à travers le pays. En examinant les données existantes, une étude réalisée par Christophe Guilmoto et Alexandre Dumont, tous deux chercheurs de l'IRD, a permis de tirer certains enseignements sur le sujet.

Plus qu’aux Pays-Bas

« Une première constatation concerne l'augmentation rapide du nombre d'accouchements pratiqués par césarienne depuis la dernière enquête réalisée en 2005-2006. Cette transformation est liée à la proportion croissante de femmes accouchant dans les hôpitaux », indique Christophe Guilmoto, démographe au Ceped. On estime que 17,2% des naissances en Inde ont été réalisées par césarienne entre 2010 et 2016. Ce taux est déjà supérieur au seuil de 10-15% recommandé par l'OMS, et supérieur aussi aux niveaux observés dans des pays plus riches tels que les Pays-Bas ou la Finlande…

Un deuxième enseignement de cette étude est que la moyenne nationale de 17,2% cache des disparités considérables entre les catégories sociales, mais aussi entre les régions. De nombreuses régions ne disposent ainsi toujours pas d’infrastructures hospitalières adaptées et les taux de césarienne dans des États tels que le Bihar ou le Madhya Pradesh sont inférieurs à 10%, niveau minimum recommandé par l'OMS. Et la situation est encore plus critique s’agissant de la fraction la plus précaire de la population dans laquelle seules 4,4% des naissances se font par césarienne, témoignant d’une inégalité extrême dans l'accès aux soins obstétriques. « Dans la même période, plus d'un tiers des naissances ont été réalisées par césarienne dans les classes les plus aisées et dans plusieurs États du sud de l'Inde, notamment Andhra Pradesh, Kerala et Telangana, avec même des taux supérieurs à 50% dans certains districts », souligne Alexandre Dumont, épidémiologiste dans la même unité. Ces taux élevés font ressortir le recours fréquent à des accouchements chirurgicaux lors de grossesses à faible risque, en particulier dans des établissements privés, malgré des complications potentielles propres à ces interventions, telles qu'une infection ou une hémorragie.

Double défi sanitaire

Dans l’ensemble, l’étude établit qu’il y a eu un déficit de césariennes s’élevant à 2,2 % des accouchements dans les régions les moins biens pourvues pour la période 2010-2016, tandis que l’excédent observé dans les populations plus prospères atteignait 7 %. Cette analyse met en évidence le double défi auquel sont confrontées les autorités sanitaires indiennes : il s’agit d'améliorer l'accès à des accouchements sécurisés dans de nombreux districts du nord du pays et parmi les pauvres, afin de réduire la mortalité maternelle et néonatale. Mais il faut aussi tempérer la surutilisation croissante des accouchements par césarienne dans des régions plus avancées du pays. Pour les chercheurs, les tendances actuelles et les progrès économiques de l’Inde suggèrent que la proportion de naissances par césarienne va continuer à augmenter à l’avenir, bien au-delà de niveaux médicalement justifiables. À moins que des efforts ne soient déployés pour freiner la surmédicalisation de l’accouchement…


Note :
1. Christophe Z. Guilmoto and Alexandre Dumont. “Trends, Regional Variations, and Socioeconomic Disparities in Cesarean Births in India, 2010-2016”, JAMA Network Open, 22 mars 2019

Contacts : Christophe Z. Guilmoto / Alexandre Dumont