Mis à jour le 13.05.2019
Au Sénégal, en dehors de Dakar, près de deux tiers des enfants infectés par le VIH sont en situation d'échec thérapeutique, échec qui fait le lit des résistances aux traitements. Bien que des solutions existent, elles sont difficiles à mettre à en œuvre à l’échelle du pays.
Dans les pays en développement, la prise en charge des personnes infectées par le virus d'immunodéficience humaine, le VIH, reste difficile. C'est tout particulièrement le cas pour les enfants vivant en zone rurale où le suivi médical et l'accès aux traitements sont limités. Afin d'établir un état des lieux de leur situation au Sénégal, le Ministère de la santé sénégalais et l’IRD ont mis en place en 2015 un partenariat, sous l’égide du Conseil national de lutte contre le sida. Il en a découlé l'enquête EnPRISE(1) - Enfant Prise en charge. « Grâce à la collaboration des équipes médicales des 72 centres de prise en charge répartis sur le territoire, 666 enfants ont participé à l'étude », précise Gabrièle Laborde-Balen, anthropologue de la santé à Dakar.

Kits de prélèvements et papier filtre pour quantifier la charge virale sont prêts à partir pour les différents sites de l’étude.
© IRD/Gabriele Laborde-Balen
Une charge virale trop élevée…
Ces enfants suivaient une thérapie composée de plusieurs antirétroviraux (ARV), des médicaments qui bloquent la multiplication du virus dans l'organisme. Pourtant, les analyses des prélèvements sanguins recueillis pendant l'étude ont montré que près des deux tiers des participants (64 %) avaient une charge virale élevée, c'est-à-dire qu'ils présentent un nombre trop important de virus VIH dans leur sang. « C'est une proportion d'échec thérapeutique très élevée mais comparable à celles observées dans les autres pays d’Afrique de l'Ouest », constate Gabrièle Laborde-Balen.
Pour ces enfants qui ne répondent pas aux traitements, des analyses ont été réalisées pour mettre en évidence d'éventuelles résistances du virus aux médicaments prescrits et, le cas échéant, proposer d'autres types d'ARV. Résultats : 86,5 % d'entre eux présentent des résistances à au moins un des composants de leur traitement. Et près d’un tiers (32,7 %) sont résistants à tous les antirétroviraux qui leur sont administrés.
… aux causes multiples
« Plusieurs facteurs sont associés à ces cas d'échecs », poursuit Philippe Msellati, épidémiologiste à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Ainsi les enfants dont le suivi médical n'est pas réalisé par un spécialiste suffisamment formé ont un risque accru de présenter une charge virale élevée. « Dans les centres médicaux ruraux, les médecins généralistes manquent d'expérience pour le suivi pédiatrique du VIH », explique l'épidémiologiste. Mais le facteur le plus important reste l'interruption prolongée du traitement. Et dans ce cas-là, la pauvreté est très souvent en cause. « Les familles n'ont pas toujours les ressources pour payer les transports jusqu'aux structures médicales où sont distribués les ARV, précise Gabrièle Laborde-Balen. De plus, les enfants en situation de malnutrition éprouvent des difficultés à prendre ces traitements souvent amers et parfois formulés pour des adultes. »

Pour le 2ème volet de l’enquête, les dosages de charge virale s’effectuent à partir d’un prélèvement de sang et non par la technique du papier filtre.
© IRD/Gabriele Laborde-Balen
Ce premier bilan auprès des enfants traités pour le VIH en dehors de la capitale sénégalaise a contribué à la définition de plusieurs interventions de santé publique pour améliorer la prise en charge : renforcement de compétence des professionnels aux spécificités du VIH pédiatrique, accompagnement des équipes médicales par un comité technique de suivi, soutien de l’activité des laboratoires. D’autres interventions ont été identifiées pour aider les familles pauvres à couvrir les coûts de transports ou encore faciliter l'accès aux ARV pédiatriques. Mais la mise en œuvre de ces mesures se heurtent à diverses difficultés. Un nouveau volet de l'étude, baptisé EnPRISE2, est ainsi actuellement en cours, il a pour objectif de développer des actions complémentaires pour proposer des solutions adaptées, en particulier dans le domaine social. En caractérisant régulièrement la charge virale des enfants, il devrait notamment permettre de diminuer le nombre d’enfants en situation d’échec thérapeutique en zone rurale.
EnPRISE est coordonnée par le pédiatre Abdoul-Magib Cissé du Centre hospitalier de Mbour, Philippe Msellati, épidémiologiste basé à Abidjan en Côte d'Ivoire, Gabrièle Laborde-Balen, anthropologue de la santé à Dakar et Bernard Taverne, médecin anthropologue basé à Dakar.
Notes :
1. Abdoul-Magib Cissé, Gabrièle Laborde-Balen, Khady Kébé-Fall, Aboubacry Dramé, Halimatou Diop, Karim Diop, FatouNiasse-Traore, Mohamed Coulibaly, Ndeye-Ngone Have, Nicole Vidal, Safiatou Thiam, Abdoulaye S. Wade, Martine Peeters, Bernard Taverne, Philippe Msellati, Coumba Touré-Kane. High level of treatment failure and drug resistance to first-line antiretroviral therapies among HIV-infected children receiving decentralized care in Senegal, BMC Pediatrics, 5 février 2019 ; doi 10.1186/s12887-019-1420-z
Contacts :
Abdoul-Magib Cissé /Gabrièle Laborde-Balen/Bernard Taverne/Philippe Msellati