Mis à jour le 20.10.2023
Les scientifiques de l’IRD et leurs partenaires sénégalais explorent les associations fructueuses qui existent entre les légumineuses et certaines bactéries du sol. Ils viennent de mettre au jour un mécanisme méconnu qui pourrait ouvrir de nouvelles voies pour éviter l’usage d’engrais chimiques dans la culture de ces plantes.
De façon surprenante, dans la nature, vices et vertus empruntent parfois les mêmes voies… Les travaux de spécialistes des plantes révèlent ainsi qu’un système qui permet aux bactéries pathogènes d’infecter animaux et végétaux sert aussi à guider de fructueuses symbioses. « Nous explorons les mécanismes qui permettent aux légumineuses de s’associer avec les bactéries rhizobiumsBactéries capables de s’associer en symbiose avec les légumineuses, pour bénéficier de leur capacité à transformer l’azote atmosphérique en une forme assimilable par les plantes, leur permettant ainsi de pouvoir pousser dans des sols pauvres », indique Éric Giraud, microbiologiste IRD à l’unité PHIM (Plant Health Institute of Montpellier). L’enjeu est de taille car les légumineuses cultivées, au premier plan desquelles on trouve le soja et le niébé, représentent la première source de protéine dans l’alimentation des populations du Sud. Un enjeu qui rejoint l'ODD 2 - Faim "zéro".
Interaction positive
Pour pousser, les plantes ont besoin d’azote mais elles ne sont pas capables d’utiliser celui qui est présent en quantité inépuisable dans l’atmosphère. En effet, la molécule de diazote – dont est composé l’air pour 79 % – possède une triple liaison que ni les animaux ni les végétaux ne peuvent briser. Aussi, ces derniers sont réduits à capter des formes plus facilement assimilablesAmmonium, urée, matière organique en décomposition1 présentes dans les sols. Mais les légumineuses sont parvenues à s’affranchir de cette contrainte : au fil de leur évolution, elles ont développé une interaction positive avec des bactéries du sol, les rhizobiums, qui parviennent à transformer l’azote de l’air en ammonium assimilable par les plantes. En retour, les légumineuses fournissent à leurs microscopiques associés des nutriments issus de la photosynthèse. Cet échange profitable aux deux parties se déroule dans un organe développé spécifiquement sur les racines des légumineuses en présence des bactéries, le nodule symbiotique. « Cette symbiose permet aux légumineuses de pousser dans des sols pauvres en azote, précise le spécialiste. Sa mise en place fait appel à un dialogue moléculaire complexe entre les deux organismes : des molécules signalAppelées facteur Nod1 émises par la bactérie dans le sol sont reconnues par la plante et provoque le développement des nodules racinaires. »
Infection profitable
Mais il existe aussi une manière plus directe, pour les rhizobiums, d’établir le contact avec les légumineuses. « Nous avons montré qu’en l’absence de molécules signal, ces bactéries peuvent utiliser un système que l’on pensait réservé aux bactéries pathogènes, indique le scientifique. Il s’agit d’une nano-seringue (appelée T3SS) permettant au micro-organisme d’injecter des protéines directement dans les cellules de leur hôte. » Ces protéines injectées, appelées effecteurs, qui affaiblissent le système immunitaire des organismes infectés dans le cas de bactéries pathogènes, servent de messager pour déclencher le programme de formation des nodules racinaires chez les légumineuses.
« Nous avons testé près de 200 souches différentes de rhizobium sur une légumineuse sauvage qui ne reconnait pas les molécules signalAeschynomene, largement utilisée comme plante fourragère en Afrique sahélienne 1, explique la doctorante Alicia Camuel, dont la thèse porte sur ces travaux. Et nous sommes parvenus à établir que ce mécanisme d’injection de protéines dans les cellules de la plante est bien plus fréquent qu’on ne l’imaginait : il pourrait intervenir dans 30 % des symbioses. » Mais en plus, les scientifiques ont montré qu’il existe plusieurs protéines effectrices différentes susceptibles de déclencher la nodulation après avoir été injectées dans la légumineuse.
Affinités fertiles
L’agriculture utilise déjà largement les rhizobiums – et leurs molécules signal – pour fertiliser les légumineuses : des millions d’hectares de soja sont ainsi cultivés aux États-Unis et au Brésil en inoculant des bactéries aux champs ou aux graines semées. « La mise en évidence de ce mécanisme méconnu chez de nombreux rhizobiums ouvre des perspectives pour améliorer ces techniques de fertilisation sans engrais chimiques, estime Fatou Gueye, microbiologiste spécialiste des symbioses fixatrices d’azote et chargée de programme régional en Afrique de l’Ouest pour l’organisation canadienne de coopération Carrefour international. La grande diversité des souches de bactéries permet d’envisager de sélectionner et produire des inoculums toujours plus efficaces et adaptés aux différentes légumineuses et conditions environnementales. » Ainsi, ce qui à ce stade parait être de la recherche fondamentale pourrait à terme trouver des applications concrètes en matière de sécurité alimentaire et de préservation des sols et de la biodiversité.