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Fossile hoabinhien, vieux de 8 000 ans, découvert sur le site de Pha Faen au Laos

© Viengkeo Souksavatdy

Asie du Sud-Est : l’origine du peuplement toujours mystérieux

Mis à jour le 24.02.2021

Des analyses génétiques relancent les investigations sur la Préhistoire de l’Asie du Sud-Est. Le séquençage complet et la comparaison des génomes de fossiles humains et de populations contemporaines de la région viennent éclairer le débat sur l’origine du peuplement préhistorique.

Qui sont les Hommes à l’origine du peuplement de l’Asie de Sud-Est ? Les occupants actuels de cette région, qui s’étend du Myanmar au Vietnam sur le continent et des Philippines à l’Indonésie pour la partie insulaire, sont-ils les descendants de peuples indigènes anciens, ou sont-ils issus de migrations intra-asiatiques plus récentes ? « La question turlupine les archéologues et les paléoanthropologues depuis plus de 30 ans , explique l’archéologue Jean-Christophe Galipaud de l’IRD. Elle revêt aussi une certaine sensibilité politique, lorsque des sentiments nationalistes s’en saisissent. Grâce aux derniers outils d’analyse ADN, nous tentons aujourd’hui d’y répondre. »

Hélas pour les connaissances préhistoriques, les fossiles humains sont rares en Asie du Sud-Est. La région, chaude et très humide, ne se prête pas à la conservation des ossements et moins encore de leur ADN. De fait, les fossiles les plus anciens d’Hommes modernes remontent à 63 000 ans pour la partie insulaire et plus de 70 000 ans sur le continent. Quant au premier groupe organisé, celui des HoabinhiensLe nom provient du lieu de la première découverte d’outils, la province de Hòa Bình, au nord-est du Vietnam., il apparait il y a 45 000 ans à Sumatra dans l’actuelle Indonésie et se répand ensuite dans toute la région. Il est identifié par ses outils de pierre, et les premiers ossements associés, découverts au Laos, remontent à 8 000 ans seulement. D’autres restes ont été exhumés, s’échelonnant entre 8 000 et 1 000 ans avant le présent, sans que l’on sache leurs liens éventuels avec les premiers arrivants et avec les Hoabinhiens. En parallèle, l’agriculture se développe dans la région il y a 5 000 à 6 000 ans.

Deux théories concurrentes…

« Une hypothèse attribue l’avènement de l’agriculture, puis le peuplement de la région, aux Hoabinhiens, qui seraient à la fois les héritiers directs de la vague migratoire initiale d’Hommes modernes et les ascendants naturels des occupants actuels  », indique le chercheur. Cette théorie suggère une émergence locale de techniques agricoles, indépendamment d’influences migratoires extérieures. La théorie alternative, dite à deux niveaux , suggère qu’il y a d’abord eu une vague de peuplement dont sont issus les Hoabinhiens, puis une seconde vague, arrivant de l’intérieur de l’Asie et amenant avec elle l’agriculture. Cette migration plus tardive serait venue de la vallée Yangzé, en Chine, où riz et millet avaient été domestiqués de longue date. Repoussés vers les marges de leurs anciens territoires par l’extension des emprises agricoles, les chasseurs-cueilleurs hoabinhiens ne pourraient dans ce cas être les aïeux des occupants actuels de l’Asie du Sud-Est.

Exhumation de fossiles humains sur le site de Nagsabaran (nord de l’île de Luçon, Philippines). Leur ADN est utilisé dans l’étude du peuplement de l’Asie du Sud-Est.

© Hsiao-chun Hung

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… et une troisième !

« Pour éclairer la question, nous avons établi pour la première fois le génome complet de 25 fossiles humains, découverts dans la région et datant de 8 000 ans à l’Âge du fer, c'est-à-dire 1 000 ans  », raconte le paléoanthropologue Fabrice Demeter, du Muséum d’histoire naturelle du Danemark, détaché au Muséum de Paris. Parmi les échantillons séquencés dans le laboratoire de pointe danois, se trouvaient notamment ceux de deux Hoabinhiens formellement identifiés, datant de 8 000 et 4 000 ans, venant respectivement du Laos et de Malaisie. Toutes ces données provenant d’individus issus de régions et de périodes différentes ont été comparées pour établir leurs éventuels liens de parenté. Puis elles ont été confrontées à celles des populations actuelles vivant dans les mêmes lieux.

« Nos résultats démentent les deux théories concurrentes , révèle le chercheur.En effet, selon la génétique, les populations contemporaines ne proviennent pas d’un seul groupe ancien – indigène ou issu d’une migration plus récente – ni même de deux, mais de quatre grandes populations ancestrales fossiles !  ». Si les Hoabinhien et les agriculteurs du Yangzé ont bien transmis des gènes aux habitants actuels de l’Asie du Sud-Est, ils ne sont pas les seuls. Deux autres populations anciennes ont contribué à ce peuplement. Les scientifiques s’attachent d’ores et déjà à les identifier !

 

  • Fabrice Demeter, Eco-anthropologie (CNRD/MNHN/Université Paris 7)

    Jean-Christophe Galipaud, PALOC (IRD/MNHN)

  • McColl H., Racimo F., Vinner L., Demeter F., Gakuhari T., Moreno-Mayar JV., van Driem G., Gram Wilken U., Seguin-Orlando A., de la Fuente Castro C., Wasef S., Shoocongdej R., Souksavatdy V., Sayavongkhamdy T., Saidin MV., Allentoft ME., Sato T., Malaspinas AS., Aghakhanian FA., Korneliussen T., Prohaska A., Margaryan A., de Barros Damgaard P., Kaewsutthi S., Lertrit P., Nguyen TMH., Hung HC., Minh Tran T., Nghia Truong H., Nguyen GH., Shahidan S., Wiradnyana K., Matsumae H., Shigehara N., Yoneda M., Ishida H., Masuyama T., Yamada Y., Tajima A., Shibata H., Toyoda A., Hanihara T., Nakagome S., Deviese T., Bacon AM., Duringer P., Ponche JL., Shackelford L., Patole-Edoumba E., Nguyen AT., Bellina-Pryce B., Galipaud JC., Kinaston R., Buckley H., Pottier C., Rasmussen S., Higham T., Foley RA., Lahr MM., Orlando L., Sikora M., Phipps ME., Oota H., Higham C., Lambert DM., Willerslev E., The prehistoric peopling of Southeast Asia, Science, 6 juin 2018 ; doi : 10.1126/science.aat3628