Mis à jour le 17.02.2022
Cédric Chesnais, médecin et épidémiologiste à l’unité TransVIHMI de l’IRD, est en guerre contre la loase, une maladie parasitaire très répandue dans les régions forestières d’Afrique centrale. Cette affection, jusqu’ici considérée comme bénigne, ne fait à ce titre pas partie de la liste des maladies tropicales négligées de l’OMS. Mais en réalité ses complications pourraient altérer significativement l’espérance de vie des populations exposées. Son ambitieux projet de recherche épidémiologiqueProjet MorLo (Morbidity due to Loiasis: population-wide evaluation and identification of pathogenic mechanisms) sur cinq ans, soutenu à hauteur de 1,5 millions d’euros.1, visant à évaluer l’impact de ce parasite sur la santé des personnes infectées au Cameroun, a reçu un soutien financier de 1,5 millions d’euros par le Conseil européen de la recherche - European Research Council (ERC), via les ERC Starting Grants 2020.

Le médecin et épidémiologiste Cédric Chesnais voit ses recherches sur la loase financées par l'European Research Council.
© DR
« Très tôt dans mon parcours, les maladies tropicales m’ont intéressé, explique Cédric Chesnais, peut-être par goût du voyage ou par attirance pour des pathologies un peu extraordinaires comparées au paysage clinique hexagonal. Toujours est-il que dès le début de mes études de médecine, j’ai saisi toutes les occasions pour apprendre et soigner dans les régions du Sud. » À ce titre, il part successivement travailler en Asie, au début de son cursus, puis en Guyane et à Mayotte pour des formations complémentaires en médecine tropicale au moment de l’internat. De fait, avant même d’être scientifique, il suit un parcours de clinicien, exerçant comme médecin généraliste en cabinet à Montpellier et dans les départements d’outre-mer. « Je souhaitais alors m’investir dans l’humanitaire, raconte-t-il. Et les ONG auxquelles je me suis adressé m’ont incité à compléter ma formation en santé publique pour répondre à leurs besoins en médecins coordonnateurs sur le terrain. » Qu’à cela ne tienne, il redevient étudiant, entreprend un troisième cycle à l’université puis à l’école Pasteur-CNAMMastère spécialisé en santé publique, délivrée par l'Institut Pasteur et le Conservatoire national des arts et métiers, en partenariat avec l’École des hautes études en santé publique.1, avant de faire une thèse sur les filarioses Maladies parasitaires dues à des vers filairesavec l’IRD, arrivant donc un peu sur le tard dans la recherche.
Sur la piste des cas disparus
Dans le cadre de son travail doctoral, il découvre sur le terrain la pression permanente de la loaseProvoquée par le ver Loa loa transmis par un taon forestier sur les populations rurales d’Afrique centrale : « Tout le monde se plaint de souffrir régulièrement des symptômes caractéristiques de cette maladie, démangeaisons, ver dans l’œil, douleurs articulaires… », note-t-il.

Environnement forestier d’Afrique centrale, où 100 millions de personnes sont potentiellement exposées à la loase.
© IRD - Cédric Chesnais
Il tente alors de retrouver les nombreux cas cliniques de loase examinés par son directeur de thèse vingt-cinq ans plus tôt au Cameroun, et s’aperçoit qu’ils sont presque tous morts… Ainsi, cette maladie n’est peut-être pas aussi anodine que l’on croit. En effet, jusqu’ici on tient cette affection, qui ne laisse apparemment pas de séquelles, pour bénigne. Ses manifestations connues – œdèmes articulaires, atteintes dermatologiques et surtout le spectaculaire passage de vers adultes à travers la conjonctive de l’œil des patients – sont considérées comme des problèmes de confort. Il n’existe d’ailleurs pas de traitements disponibles dans les régions endémiquesLes traitements pour éliminer la charge parasitaire sont délicats à administrer, n'ont d'intérêt que pour des patients qui ne seront pas immédiatement réinfectés - donc vivant habituellement hors de la zone d'endémie - et ne sont mis en œuvre que dans les services de maladies tropicales de pays du Nord.1, où pourtant 90 % de la population est infestée par des vers adultes – les filaires - et environ 25 % par des larves – les microfilaires - dont la concentration peut aller de 10 000 à plus de 300 000 individus par millilitre de sang !
Intrigué autant que mobilisé, Cédric Chesnais va s’employer à découvrir si la présence de ces parasites dans l’organisme et leur quantité peuvent être à l’origine de complications…

Les microfilaires de Loa loa, ici vues au microscope, peuvent infester l’organisme des patients dans des concentrations pouvant dépasser 300 000 individus par millilitre de sang.
© Charles D. Mackenzie
Vaste étude clinique
« La question est de savoir si l’existence de filaires dans les tissus ou de microfilaires dans le sang est associée à d’autres affections, et si l’importance quantitative de l’infestation est susceptible d’en augmenter la fréquence ou la gravité », explique le spécialiste. Il met donc au point un protocole d’étude pour explorer la santé de 5 000 personnes dans les régions forestières du Cameroun. La recherche s'appuiera à la fois sur des consultations médicales, avec des interrogatoires de santé pour déceler l'existence de pathologies, sur des échographies cardiaques, rénales et spléniquesAu niveau de la rate, sur des examens biologiques pour détecter d'éventuels problèmes métaboliques ou hématologiques. Le tout associé bien sûr à un dépistage et une quantification de l’infestation aux filaires et microfilaires responsables de la loase.

Les bas-fonds marécageux de zone forestière, en Afrique centrale, constituent le site privilégié de ponte et de développement des larves de taons vecteurs de la loase.
© IRD- Sébastien Pion
Dans un second site d’étude, en République du Congo, une autre étude comparera la survenue de pathologies aiguës infectieuses (paludisme sévère ou pneumonie sévère notamment) comme emboliques (cardiaque, pulmonaire ou cérébrale) en fonction du statut parasitaire des patients, pour évaluer l’influence de la charge parasitaire sur l’incidence de ces complications.
« L’objectif in fine est de faire reconnaitre cette maladie comme problème de santé publique, et de la voir intégrer la liste des maladies tropicales négligées définies par l’Organisation mondiale de la santé. Cela aura pour effet de susciter des recherches sur des traitements adaptés et des recommandations pour la prévention et la prise en charge des complications associées, indique-t-il. Car 15 à 20 millions de personnes sont porteuses du parasite dans la vaste région d’endémie de la maladie, et plus de 100 millions pourraient être exposées. »
Soutenir des projets ambitieux
Le Conseil européen de la recherche finance l'excellence scientifique à la frontière des connaissances. L'objectif des bourses Starting Grants est de permettre à des jeunes scientifiques de constituer leur équipe de recherche autour d'un thème original, avec un financement de 1,5 millions d'euros sur cinq ans. Ces subventions de démarrage totalisent 677 millions d’euros en 2020.