La forêt tropicale humide d’Afrique centrale, proche de Belinga, au nord-est du Gabon, une des régions ciblées par l’étude.

© IRD - Thomas Couvreur

Changements climatiques : à chaque espèce végétale, sa réponse

Mis à jour le 26.02.2021

La forêt tropicale humide abrite une biodiversité inégalée. Cependant, elle est souvent considérée comme un tout à l’évolution uniforme. Une étude de l’impact des changements climatiques passés sur des espèces végétales démontre que, dans un même environnement, celles-ci ont réagi différemment. Cela devrait conduire à envisager différemment la protection des forêts tropicales humides.

Les espèces végétales d’une même zone géographique réagissent-elles de la même manière aux changements climatiques ? Une équipe de l’IRD a ciblé cette question à propos de la forêt tropicale humide d’Afrique centrale. Couvrant une partie du Cameroun, du Gabon, de la République du Congo et de la République Démocratique du Congo, elle représente la seconde plus grande forêt tropicale humide du monde. « Une hypothèse partagée par le plus grand nombre suppose que dans une région de forêt tropicale humide soumise à un même événement climatique, les espèces végétales répondent et donc évoluent sur le plan génétique de façon identique. Elle est connue sous le nom de l’hypothèse des forêts-refuges », indique Andrew J Helmstetter. Membre du FRB-CESABCentre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, il travaille à la compréhension des origines de la biodiversité avec des méthodes génomiques. Pour son post-doctorat à l’IRD, le scientifique, épaulé par des collègues de l’IRD et de l’Université de Yaoundé I (Cameroun), a démontré que ce scénario de l’évolution uniforme n’avait pas eu lieu lors de précédents bouleversements climatiques en Afrique centrale, comme lors du dernier maximum glacier il y a 21 000 ans.

Séquençage de masse

Pour parvenir à ce constat, les biologistes se sont concentrés sur sept espèces – trois arbres et une liane de la famille des annonacées et trois palmiers – d’une même aire géographique.

Fruits de l’arbre Annickia affinis (annonacées), une des espèces ciblées par l’étude

© IRD - Thomas Couvreur

Bloc de texte

« Nous avons réalisé le séquençage d’une centaine de marqueurs nucléaires de près de 100 individus de chaque espèce, soit 700 individus au total. C’est un échantillonnage d’une taille inégalée ! », précise le biologiste. En utilisant des techniques de reconstruction phylogénétiqueReconstruction des relations de parenté, de datation moléculaire et de génétique des populations, les scientifiques sont parvenus à retracer l’évolution temporelle des espèces, notamment durant les changements climatiques survenus pendant le Pléistocène (ère comprise entre 2,5 millions d’année et 11 000 ans avant le présent). 

Chacune sa façon de réagir

De plus, grâce à des modèles statistiques, ils ont pu associer les données environnementales (climat, nature des sols, stabilité de l’habitat, distribution passée des espèces) qui expliquaient mieux la distribution de la diversité génétique actuelle. 

Anonidium mannii, une des annonacées étudiées, est une espèce d'arbre à grandes fleurs.

© IRD - Thomas Couvreur

Bloc de texte

« Le résultat le plus important de cette étude est que nous avons démontré que les différentes espèces d’un même endroit ont réagi différemment, ou individuellement, tant d’un point de vue temporel qu’environnemental à un même changement climatique passé. Celui-ci a influencé la diversité génétique de manière variable selon les espèces », révèle Andrew J Helmstetter. Ces résultats suggèrent donc que l’hypothèse des forêts-refuges dans les forêts tropicales d'Afrique centrale n’est probablement pas réaliste.
Ces travaux réalisés dans le cadre d’un Programme Jeunes Chercheuses Jeunes Chercheurs de l’Agence nationale de la recherche (ANR) porté par Thomas Couvreur (IRD), confirme que la forêt tropicale humide n’est pas une entité qui réagit uniformément au changement climatique du passé, donc certainement pas non plus à celui du présent ou ceux à venir. Le Professeur Bonaventure Sonké, de l’Université de Yaoundé I au Cameroun conclut : « Ces travaux indiquent bien que nous sommes loin de pouvoir prédire le devenir des forêts tropicales africaines et donc de mettre en place des stratégies de conservation des forêts tropicales humides, notamment celle d’Afrique centrale. »

sous-bois de végétaux verts, type palmiers

© IRD - Thomas Couvreur

Sous-bois de forêt tropicale humide au Gabon, dans la région de Lalara, dominée par deux palmiers : Podococcus barteri et Scleropserma manni, deux espèces incluses dans cette étude

La forêt-refuge


Face aux fluctuations climatiques du Pléistocène, comment les forêts tropicales humides d’Afrique centrale ont-elles répondu ? Deux hypothèses ont été proposées. Celle de la forêt-refuge considère que les forêts tropicales humides se sont contractées, resserrées sur elles-mêmes de manière significative dans des refuges forestiers distincts. L’autre hypothèse propose que les forêts ont persisté de manière plus diffuse, en tant que forêt tropicale de plaine ouverte avec une diminution de la densité et de la hauteur de la canopée. Dans la première hypothèse, les refuges sont définis comme des zones géographiques qui fonctionnent sur des échelles de temps évolutives, permettant aux populations viables d'une espèce de persister pendant les fluctuations. Les espèces se resserrent dans des refuges pendant les périodes défavorables et se développent ensuite à partir de celles-ci lorsque le climat s'améliore. Une interprétation stricte de l'hypothèse de la forêt-refuge implique que toutes les espèces ont réagi de la même manière, sur le plan de l'évolution, aux évènements climatiques communs du Pléistocène, indépendamment de leurs traits de vie.