Les coraux se nourrissent, entre autres, grâce à des micro-algues symbiotiques, les zooxanthelles, qui leur permettent de réaliser la photosynthèse.

© IRD - Fanny Houlbrèque

Comment mesurer l’adaptation de la stratégie alimentaire des coraux ?

Mis à jour le 16.07.2021

La revue scientifique Science Advances a publié en 2020 une approche méthodologique nouvelle décrivant la stratégie alimentaire des coraux. Trois chercheurs de l’IRD viennent d’y apporter un commentaire technique afin qu’elle prenne davantage en compte les changements environnementaux à fine échelle. Cette réflexion permet de mieux comprendre l’adaptation des coraux face au réchauffement des températures de l’océan. 

Polypes de coraux en train de se nourrir sur des larves de crustacés.

© CSM - Éric Tambutté

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Les coraux peuvent-ils réchapper au changement climatique ? Leur stratégie d’alimentation semble être une clé de leur survie. Les bâtisseurs de récifs adaptent en effet leur façon de se nourrir à leur environnement. Grâce à une symbiose avec des micro-algues, les zooxanthelles, ils peuvent obtenir de l’énergie par photosynthèse : ils sont dans ce cas autotrophes. Mais ils peuvent également capter eux-mêmes du plancton ou de la matière organique exogènequi provient de l’extérieur: ils sont alors hétérotrophes.  

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Une nouvelle méthode d’analyse

C’est cette capacité qui intéresse fortement les scientifiques. En période de stress, du fait du réchauffement de l’eau, les coraux « blanchissent » : ils expulsent leurs algues symbiotiques, perdent leurs couleurs. En l’absence de ces précieuses alliées, leur capacité à surmonter cette situation dépend donc de leur aptitude à se nourrir de façon hétérotrophe.

Déterminer le degré d’hétérotrophie de chaque espèce de corail devient alors un enjeu majeur de leur préservation. Dans une étude récemment publiée dans Science Advances, des chercheurs d’universités chinoises et brésiliennes proposent de déterminer ce degré grâce à l’analyse des isotopes stables du carbone et de l’azote présents dans les coraux. Ces rapports isotopiquesAnalyse du rapport de la quantité de deux formes – ou isotopes – d’un même élément chimique résultent en effet directement de leur stratégie alimentaire. « Le corail est composée de deux parties : l’animal et le symbionte, les zooxanthelles, avec qui il échange des nutriments, explique Martin Thibault, post-doctorant au sein de l’UMR Entropie. Comparer les rapports isotopiques du carbone et de l’azote de ces deux fractions du corail permet d’estimer son mode d’alimentation. En effet, lorsqu’il est majoritairement hétérotrophe, les signatures isotopiques du corail proprement dit et du symbionte sont distinctes car celle de la partie animale se rapproche de celles de ses proies. »

 

© IRD – Fanny Houlbrèque

Lorsque les conditions environnementales deviennent mauvaises, les coraux expulsent les micro-algues et blanchissent.

Cette évaluation statistique in situ, peu coûteuse et moins contraignante que les expérimentations ex situEn dehors du milieu naturel classiques offre un outil inédit aux scientifiques et élargit leur possibilité de recherche. Elle est déjà reprise dans de nombreux travaux et sera fréquemment utilisée dans les années à venir. Trois chercheurs de l’IRD proposent d’en éliminer certains biais à travers un commentaire technique. « L’article original simplifie à outrance la stratégie alimentaire des coraux, indique Fanny Houlbrèque, spécialiste de la physiologie des coraux tropicaux. Un corail symbiotique n’est par exemple jamais totalement autotrophe ou hétérotrophe car il utilise ses symbiontes pour bénéficier le plus possible de l’énergie de son environnement. Ces coraux sont mixotrophesCapable d’être autotrophe et hétérotrophe et se distinguent par leur capacité à être plus ou moins hétérotrophes en fonction des conditions environnementales. » 

 

Polype blanchi après l’expulsion de zooxanthelles.

© IRD – Fanny Houlbrèque

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Dans leur commentaire technique, les scientifiques suggèrent ainsi d’évaluer la signature isotopique des coraux à l’échelle spatiotemporelle la plus fine possible. Ils évaluent dans un deuxième temps le risque de considérer comme homogènes des colonies aux stratégies différentes dans le cadre d’études à large échelle. Enfin, ils proposent une alternative, réplicable et comparable, à la méthode de comparaison des niches trophiques de l’hôte et du symbionte.

Des coraux plastiques

« Nos études en cours montrent que la stratégie alimentaire des coraux peut varier à l’échelle d’une dizaine de mètres. Cette plasticité trophiqueCapacité à modifier sa stratégie alimentaire contribue à la résistance et à la résilience des coraux aux stress environnementaux et doit donc être considérée. Nos simulations et propositions permettront d’intégrer cette notion à de futures études », ajoute Martin Thibault.

 

© IRD – R. Rodolfo-Metalpa.

La stratégie alimentaire des coraux peut être différente même au sein d’une zone de quelques mètres carrés.

Prochain objectif des trois spécialistes : mettre en lumière, grâce à cette nouvelle méthodologie améliorée, la plasticité des coraux vivant à proximité d’îlots du Parc naturel de la mer de Corail, éloignés des pressions anthropiques et hébergeant des colonies d’oiseaux marins qui produisent d’importantes quantités de guanoExcréments d’oiseaux marins. Les bâtisseurs de récifs bénéficient en effet de l’apport en azote issu de ces déjections dans des eaux pauvres en nutriments. La cohabitation avec les oiseaux marins pourrait donc favoriser la plasticité trophique des coraux et ainsi contribuer à leur capacité de résistance aux changements climatiques.

 

Secrets de santé des coraux de Nouvelle-Calédonie

Une vidéo réalisée par Jean-Michel Boré - IRD, octobre 2020