Mis à jour le 03.12.2020
Si la pandémie se poursuit, le risque que d’autres animaux se trouvent infectés par le Sars-Cov-2 augmentera, multipliant les possibilités de mutation du virus et la probabilité que les animaux participent un jour à la propagation du virus. La lutte contre le coronavirus passe donc par une approche intégrant la dimension animale.
L'approche "Une seule santé" fait l'objet d'une alliance tripartite entre l'OMS, la FAO et l'OIE.
© OMS-FAO-OIE
« En contexte épidémique, les chats et chiens doivent être considérés comme des êtres humains », affirme Eric Leroy, chercheur IRD spécialiste des maladies virales émergentes dans l’unité MIVEGEC. Loin d’être une provocation, l’expression renvoie à la nécessité d’appliquer une stratégie « Une seule santé » à la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Plus connue sous son appellation anglo-saxonne « One Health », cette approche stipule que santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont étroitement liées et doivent être abordées comme un ensemble.
Pour étayer son propos, Eric Leroy, membre de l’Académie nationale de Médecine et de l’Académie vétérinaire de France, s’appuie sur plusieurs éléments. En premier lieu, l’analyse des cas de contamination de quatre animaux de compagnie (deux chats, deux chiens) dont les propriétaires étaient atteints de Covid-19 ainsi que celle de quatre tigres et trois lions d’un zoo. « Si les animaux n’ont pas tous développé des symptômes, l’analyse par PCRMéthode de biologie moléculaire d’amplification d’un ADN ou ARN afin d’en mesurer la quantité a démontré la présence de virus chez tous, à des doses faibles sauf pour l’un d’eux », souligne le chercheur. Le fait que les propriétaires des animaux domestiques soient atteints de Covid-19 plaide en la faveur d’une contamination dans le sens homme vers animal.
Des coronavirus proches génétiquement
À ce tableau s’ajoute ce que l’on sait des voies de contamination du Sars-Cov-2, le coronavirus responsable du Covid-19 : il se transmet principalement par les gouttelettes respiratoires – ou postillons – mais également lorsqu’on porte la main à la bouche après avoir touché des surfaces souillées. « En plus d’habiter ensemble, le fait de lécher et d'embrasser constitue un facteur de risque supplémentaire facilitant la transmission du virus entre les personnes malades et leurs animaux de compagnie », conclut Eric Leroy.
Si la transmission de l’être humain aux animaux semble acquise, d’autres paramètres concourent à privilégier l’approche One Health. Aux premiers rangs desquels figure la forte proximité génétique entre les coronavirus qui infectent les êtres humains et ceux infectant les carnivores. Sars-CoV-2 appartient en effet à un grand ensemble de virus, la famille des Coronaviridae, qui se subdivise en deux sous-familles. L’une d’elle, les Orthocoronavirinés, se divise en quatre genresSubdivision des sous-familles dans la classification du vivant distincts : Alphacoronavirus (alpha-CoV), Betacoronavirus (beta-CoV), Gammacoronavirus (gamma-CoV) and Deltacoronavirus (delta-CoV). « À ce jour, précise le spécialiste des virus, sept coronavirus sont connus pour infecter les êtres humains : ils appartiennent soit au genre alpha-CoV soit au genre beta-CoV. Tout comme les coronavirus connus pour infecter spécifiquement les chats et les chiens. »

Le pangolin javanais, menacé d'extinction, est suspecté de jouer un rôle dans la pandémie Covid-19.
© Von Piekfrosch, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1788311
Un potentiel évolutif fort
Une autre caractéristique de Sars-CoV-2 en fait un virus susceptible de sauter la barrière d’espèce : la faible spécificité de sa protéine Spike, celle qui s’attache à un récepteur exposé par les cellules humaines et permet au virus de pénétrer à l’intérieur. Ainsi, elle peut potentiellement s’accrocher au récepteur équivalent chez une autre espèce, à l’image d’une clé passe-partout qui pourrait ouvrir des portes dont les serrures suivent des modèles proches. À cette faible spécificité de la protéine S, et donc sa forte capacité d’effraction, il faut relier le fort potentiel zoonotique des coronavirus que l’on retrouve chez plusieurs espèces : Sars-Cov, à l’origine des flambées de Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) chez l’être humain en 2003, est passé par la civette masquée (Paguma larvata), la chauve-souris du genre Rhinolophus et le chien viverrin (Nyctereutes procyonoides), Sars-CoV-2, probablement par la chauve-souris du genre Rhinolophus, le pangolin malais (Manis javanica), et donc le chien et le chat comme il a été décrit plus haut.
De fait, d’autres paramètres facilitent ce saut de la barrière d’espèce, telle la taille du génome du virus. « Ce qu’on appelle mutation dans le champ de l’évolution, ce sont en réalité des erreurs qui se produisent lors de la réplication du matériel génétique, développe Eric Leroy. Or, plus le génome est grand, plus cela augmente la probabilité qu’il se produise des erreurs. »
De plus, les coronavirus présentent une grande capacité à s’échanger des fragments de génome, un phénomène appelé recombinaison. « C’est un peu comme si en croisant une autre personne, on intervertissait nos bras droits », illustre le chercheur. Si un animal est infecté par deux coronavirus différents, ils vont ainsi pouvoir s’échanger une partie de leur génome, et former de nouvelles versions du virus.
Pour couronner le tout, la molécule chargée de multiplier le virus, l’ARN polymérase, n’a pas une très forte fidélitéCapacité de l’enzyme à insérer le bon nucléotide au bon endroit pendant la réplication de l’ARN, ce qui augmente la probabilité de générer des mutations.
Distanciation physique pour tous
C’est donc l’accumulation de ces caractéristiques, qui procure au Sars-Cov-2 un fort potentiel évolutif et donc la possibilité de franchir la barrière d’espèce plus facilement que les autres virus. « Si l’épidémie se poursuit, les contacts de personnes infectées avec les animaux vont mécaniquement se multiplier, alerte Eric Leroy. De nouvelles infections des animaux domestiques vont immanquablement survenir avec un risque non négligeable de voir le virus évoluer lors des passages à l’animal. Toutefois, le risque que les animaux de compagnie participent à la propagation de l’épidémie et celui selon lequel ils peuvent devenir à leur tour infectieux n’est aujourd’hui pas démontré. »
Par principe de précaution, il faut donc appliquer une stratégie One Health, qui intègre la dimension animale. Comment cela se traduit-il ? « En cas de contamination d’une personne dans un foyer, on doit donc considérer les animaux de compagnie comme des êtres humains, et appliquer les mêmes principes sanitaires et de distanciation physique », conclut le spécialiste.