Vue aérienne d'un delta avec de multiples chenaux irriguant les plaines inondables

Un des multiples visages que peuvent prendre les deltas, ici celui du fleuve Tana, au Kenya

© © IRD - Colin Jackson

Deltas africains : pour une gestion collaborative de paysages dynamiques

Mis à jour le 29.10.2021

Stéphanie Duvail, géographe dans l’UMR Paloc, s’intéresse aux deltas africains, ces paysages variés qui résultent d’un équilibre entre forces marines et forces fluviales. Avec ses collègues, Wanja Nyingi, ichtyologue au National Museums of Kenya, Dominique Hervé de l’UMR SENS et Olivier Hamerlynck, membre de la Commission de gestion des écosystèmes de l’UICN, et leurs partenaires en Afrique, elle a plaidé au Congrès mondial de la nature pour un modèle de gestion et de conservation adapté aux paysages deltaïques, socialement inclusif, respectueux de sa nature dynamique et de la connectivité entre le fleuve et l'océan, en soutien aux institutions locales.

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Quelle est la problématique posée par les deltas africains ? 

Stéphanie Duvail : À l’interface entre terre et mer, les deltas sont des paysages particulièrement vulnérables car soumis à la double influence de l’élévation du niveau des mers et d’une diminution de la quantité d’eau douce arrivant à la côte. À cela s’ajoute un contexte de reprise de la construction des barrages et de prélèvement d’eau pour des usages urbain et agricole. Bien sûr, ces impacts sont aggravés par le changement climatique.
Les deltas constituent en réalité des paysages variés : estuaire, marais à mangrove, plaine inondable, rizières…Bien que divers, ils ont en commun d’être des milieux à haute valeur de biodiversité et à forte valeur économique pour les populations qui y vivent et se partagent le territoire ainsi que la zone côtière plus vaste : agriculture, pêche, sylviculture, élevage, chasse et cueillette sont au rendez-vous pour celles et ceux sur place.

Au Mozambique, la zone autour de l'estuaire du delta de l’Incomati est menacée de salinisation et de dégradation environnementale.

© © IRD – Stéphanie Duvail

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Maintenir ou recréer des crues, appelées aussi débits environnementaux ou e-flows, dans les deltas est donc essentiel pour la biodiversité et les économies locales et dépend de décisions de partage de l’eau à l’échelle du bassin versant. Or, ce partage de l’eau sur un bassin versant n’est pas une question purement technique, elle est aussi éthique et politique. 
Il faut mettre en avant l’importance de générer ces débits environnementaux (et sociaux) pour maintenir la productivité des deltas. Nous voulons aussi insister sur les conditions dans lesquelles ce dialogue peut être organisé de manière juste et équitable.
 

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Quel est le lien avec la science de la durabilité ?

S. D. : Les scientifiques ont un rôle à jouer dans le partage des informations concernant les aspects sociaux, culturels, écologiques de l’eau et la façon dont les différents scénarios vont modeler les territoires.
Les dispositifs de recherche participative nous semblent donner des résultats très intéressants car ils permettent l’échange d’informations entre populations locales, techniciens, gestionnaires et scientifiques. Ces dispositifs, grâce à des rencontres régulières, créent des espaces de dialogue entre différentes formes de connaissances du fleuve. Ainsi, une connaissance intime des rythmes des estuaires permet aux paysans du delta du Tana, au Kenya, d’utiliser les marées d’équinoxe pour irriguer leurs champs de riz.
Prendre en compte ces différentes visions, et comprendre les logiques et stratégies des différentes parties prenantes, est une étape importante avant de développer des scénarios de gestion de l’eau.

Quelles solutions peuvent être mises en œuvre ?

S. D. :Le plus difficile n’est pas de réussir à mettre tous les utilisateurs autour de la table mais de tenir compte des asymétries d’information et de pouvoir qui sont très grandes : la compagnie d’électricité qui va gérer le barrage et le pêcheur dans la mangrove n’ont pas les mêmes informations ni le même pouvoir de décision. C’est pourquoi les débits environnementaux doivent être accompagnés de dispositifs législatifs qui protègent les utilisateurs les plus vulnérables. 

Visite de terrain au bord de l'Incomati avec les représentants du District de Marracuene (Mozambique). Une gestion intégrée de l’eau est nécessaire de l'eau dans l'estuaire de l'Incomati face à la problématique de salinisation, dégradation du delta.

© IRD - Stéphanie Duvail

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Il est aussi important que les initiatives respectent les institutions locales existantes. En effet, les règles traditionnelles de partage des territoires tiennent compte de la complexité et de la dynamique des deltas. Il nous parait donc essentiel que les systèmes de gouvernance des deltas s’appuient sur les institutions coutumières locales qui gèrent déjà de façon complexe et appropriée les spécificités de ces territoires aquatiques très particuliers.

GDRI-SUD DELTAS 

Le GDRI-Sud DELTAS (« Dynamiques Environnementales et sociales à Long Terme des deltas de l’ouest de l’Océan Indien et scénarios Associés ») vient consolider un réseau de recherche international sur les dynamiques socio-environnementales des deltas de l’océan indien occidental. Il s’appuie sur des partenariats de long terme de l’IRD dans la région et sur un consortium menant des recherches sur la période 2017-2019. Ce consortium WIoDER met en relation des chercheurs et étudiants africains (Kenya, Tanzanie, Madagascar, Mozambique) et européens (France, Pays-Bas, Royaume-Uni).


 

logo UICNDu 4 au 11 septembre 2021, les scientifiques de l’IRD participent au Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

 Retrouvez des éclairages sur les sujets qu’ils abordent.