Mis à jour le 18.02.2022
Les travaux de scientifiques français et singapouriens révèlent la surprenante influence du virus de la dengue sur le comportement des moustiques qui transmettent cette maladie aux humains. Ces résultats éclairent des mécanismes épidémiologiques méconnus et pourraient permettre d’affiner les stratégies de lutte contre les épisodes épidémiques.

Transmis par le moustique Aedes aegypti, la dengue provoque 400 000 infections et 25 000 morts annuelles.
© IRD - Michel Dukhan
Certains virus font des prodiges pour s’imposer… Celui de la dengue – prononcez « dingue » – n’hésite pas à perturber les agissements de son vecteur pour favoriser sa transmission. « Les spécialistes des maladies tropicales s’interrogeaient de longue date pour savoir si le virus de la dengue modifiait le comportement de piqûre du moustique qui l’inocule aux humains et si cela jouait sur la transmission, explique Julien Pompon, entomologiste moléculaire à MIVEGEC. Et nous sommes parvenus à établir l’un et l’autre, grâce à des expériences mobilisant l’expertise de plusieurs disciplines scientifiques ».
Arbovirose redoutée

Virus de la dengue. Modélisation réalisée à partir de données de la structure macromoléculaire virale fournies par la Protein Data Bank.
© Adobe Stock - Kateryna_Kon
400 millions d’infections chaque années, 100 millions de malades symptomatiques, souvent affectés sévèrement, et 25 000 morts, la dengue est une arbovirose redoutée. Son virus est transmis d’un hôte infecté vers un sujet sain par la piqûre de la femelle du moustique Aedes aegypti. Hématophage, celle-ci émet de la salive, contenant le virus, pour inhiber la douleur de la piqûre et fluidifier le sang et, ce faisant, infecte les cellules de la peau. Le virus se diffuse ensuite dans tout l’organisme. Si le mécanisme de transmission est connu, la violence des épisodes épidémiques, qui touchent souvent tous les occupants d’une maison et s’étend dans un quartier comme une trainée de poudre, questionne sur le comportement de piqûre d’Aedes aegypti.
Vidéo haute résolution

Le virus de la dengue altère l'habileté d'Aedes aegyti à prélever son repas de sang, l'incitant à multiplier les piqûres infectantes.
© IRD - Jean-Paul Hervy
« Afin d’y voir clair, nous avons enregistré en vidéo haute résolution plusieurs épisodes confrontant un moustique enfermé dans une petite cage, en train de piquer une souris, raconte le scientifique. Des analyses statistiques poussées des enregistrements ont montré que les moustiques porteurs du virus sont trois fois plus prompts à attaquer leur proie que les moustiques sains. Mais aussi qu’ils sont moins adroits : Ils doivent infliger de multiples piqûres pour parvenir à prélever du sang », indique Adam Claridge-Chang, comportementaliste à la Duke-NUS School de Singapour. Ainsi, le virus a bel et bien une influence sur Aedes aegypti, une double influence même : en augmentant l’occurrence des piqûres, elle pourrait accroitre la transmission de la dengue chez les humains…
Boom du taux de reproduction

Le comportement alimentaire d'Aedes aegypti, vecteur de la dengue, est manipulé par le virus de la maladie.
© IRD - Nil Rahola
Pour vérifier si cette manipulation du comportement alimentaire du vecteur augmente effectivement la circulation de la maladie, les scientifiques ont imaginé une autre expérience. « Nous avons exposé cette fois des souris naturellement sensibles à l’infection au virus de la dengue (NDLR : toutes ne le sont pas), à l’appétit de moustiques contaminés », explique Ashley Saint- John, immunologiste à la Duke-NUS School. Les chercheurs ont ainsi pu établir que les brèves piqûres que font les moustiques infectés pour chercher du sang sont suffisantes pour transmettre la dengue. « Logiquement, un plus grand nombre de piqûres – lié à l’attraction accrue pour l’hôte et à la moindre efficacité des piqûres – augmente la transmission de la maladie », affirme Julien Pompon.

Les travaux sur l'influence du virus sur le comportement du moustique pourraient servir à améliorer la lutte antivectorielle.
© IRD - Vincent Robert
En utilisant un modèle mathématique, les scientifiques ont calculé l’impact de ces changements de comportement sur le taux de reproduction, le R0 : « Il est triplé par l’influence du virus sur le moustique », révèle Benjamin Roche, expert en épidémiologie à MIVEGEC. « Cela suggère que le virus a évolué pour pirater le moustique afin d’optimiser sa transmission entre différents hôtes humains », estime Julien Pompon.
Ces résultats, obtenus sur une des quatre souches du virus, devront être confirmés pour les autres. Mais d’ores et déjà, ils peuvent inspirer les modèles de veille épidémique qui guident l’intervention anti-vectorielle des services sanitaires.