Mis à jour le 29.07.2020
Les événements El Niño de 2015 et de 2016, annoncés par des signes précurseurs comparables, ont eu des amplitudes très divergentes. Leur modélisation met en lumière l’importance de vents de haute fréquence imprévisibles. La capacité de prédiction du phénomène s’en trouve donc fortement limitée.
Le hasard se joue parfois de la science. Son influence aurait ainsi démenti les prévisions sur la survenue d’un El Niño majeur en 2015, qui devait finalement se produire en 2016… « Nous avons redécouvert à cette occasion l’importance d’événements stochastiques, conditionnant l’ampleur du phénomène climatique », indique l’océanographe-climatologue Matthieu Lengaigne. Il est co-auteur d’une récente publication illustrant cette surprenante découverte. Le phénomène El Niño correspond à une anomalie épisodique affectant le climat du Pacifique et des régions alentours. En temps normal, une grande masse d’eau chaude reste concentrée dans la partie ouest de l’océan et sur la région indonésienne. Elle est maintenue dans cette position par les alizés, des vents soufflant régulièrement d’est en ouest à la hauteur des tropiques.
Sécheresse à l’ouest, inondations à l’est

La sécheresse causée par les grands événements El Niño dans le Pacifique occidental provoque des incendies de forêt dévastateurs.
© IRD / G. Michon
Les années où survient El Niño, cet équilibre est rompu. Les alizés faiblissent et l’eau chaude gagne le centre de l’océan, voire sa bordure est. S’en suivent différentes conséquences peu favorables aux activités anthropiques, notamment un déplacement des précipitations saisonnières vers l’est, laissant l’Asie et l’Océanie dans la sécheresse et submergeant l’Amérique du sud sous des pluies diluviennes. De même, l’arrivée de cette masse d’eaux chaudes sur les côtes perturbe le mécanisme habituel de remonté de nutriments du fond vers la surface. Cet appauvrissement du milieu affecte l’abondance des communautés marines et pénalise lourdement l’activité de pêche, cruciale dans les pays côtiers. Les scientifiques ont analysé et modélisé les mécanismes à l’œuvre lors de la survenue d’El Niño. Ils ont appris à en déceler les signes avant-coureurs un an à l’avance.
Anomalie historique attendue
« Tous les voyants étaient au rouge pour l’imminence d’un phénomène majeur en 2015, explique le spécialiste. Tout laissait à penser qu’il se produirait un Niño d’une ampleur exceptionnelle, comparable à ceux de 1982 et de 1997 ». Logiquement, les scientifiques ont alerté la communauté internationale. Tout le monde a alors à l’esprit l’impact dévastateur des El Niño historiques, entrainant sécheresses, mauvaises récoltes et feux de forêts à l’ouest du bassin, et inondations et déclin des ressources halieutiques à l’est.
Mais contrairement aux prévisions des scientifiques, l’année 2015 n’est pas marquée par un phénomène d’ampleur, loin s’en faut... Echaudés par cette avanie, les spécialistes osent à peine évoquer la probabilité d’un fort El Niño l’année suivante, en 2016, malgré l’évidence de signes précurseurs comparables à ceux de 2015. Et comme pour les narguer, le phénomène prend effectivement des proportions historiques en 2016Un événement parmi les plus forts enregistrés. « A l’évidence, nos recherches n’intégraient pas tous les facteurs concourant à l’ampleur de l’anomalie », reconnaît le chercheur.
Penser le hasard
Reprenant leurs travaux, les scientifiques ont mis en évidence le rôle de vents de haute fréquenceSoufflant pendant de brèves périodes comparé à la régularité des alizés allant de l’océan Indien vers le Pacifique. Poussant la masse d’eau chaude vers le centre et l’est du bassin, ils sont susceptibles de renforcer les effets d’un El Niño naissant et, le cas échéant d’un faire un événement majeur. Ils n’ont pas soufflé en 2015, expliquant la modération du phénomène. En 2016 par contre, ils en ont multiplié l’impact. Pour confirmer cette hypothèse, les chercheurs ont modélisé les conditions prévalant au début de chacune de ces périodes et ont ajouté l’action de vents d’ouest de différentes intensités. Le résultat est sans appel, ceux-ci sont bel et bien capables selon leur force de minimiser ou de multiplier l’amplitude de l’anomalie El Niño. « Mais surtout l’incidence de ces vents liés aux conditions météorologiques et climatiques sur les océans Indien et Pacifique est absolument imprévisible, reconnaît le spécialiste. Le hasard se rappelle à notre bon souvenir dans la prédiction des événements El Niño ».