Mis à jour le 08.01.2021
Élaborer et soutenir une agriculture tropicale durable, préservant les ressources naturelles, la biodiversité, la sécurité alimentaire et le climat, suppose de connaitre les propriétés physiques des sols, leur composition, leur écologie et l’histoire des sédiments. Regroupant tous les équipements nécessaires à de telles analyses, la plateforme technologique Alysés et le plateau technique des unités IEES-Paris et LOCEAN, sur le site de l’IRD Île-de-France à Bondy, constituent un outil unique en la matière. Visite commentée avec les scientifiques qui mettent en œuvre ces instruments ultrasophistiqués.
Le reportage a été réalisé dans le respect des mesures sanitaires et des recommandations pour l'audiovisuel. Les personnes photographiées n'ont enlevé leurs masques qu'au moment précis du cliché.

Les qualités physiques des sols - leur capacité à retenir l’eau utile aux plantes - sont liées à leur composition et notamment à la proportion en sable et en argiles.
© IRD - Carole Filiu-Mouhali
Combien d’eau utile pour les plantes ?
« La quantité d’eau dont les plantes peuvent disposer dans un sol est une donnée fondamentale concernant ses qualités agro-écologiques. Les analyses visant à évaluer cette réserve utile en eau consistent à déterminer la quantité d’eau retenue à la matrice solide du sol par une force de liaison inférieure à la force de succion des racines. Seule cette portion modérément liée de l’eau du sol peut profiter aux plantes », explique le pédologue Henri Robain, responsable du pôle Sols dans la zone critique de l’UMR IEES-Paris.

Selon la hauteur à laquelle est placé le réservoir d’eau (au-dessus ou en dessous du sommet de l’échantillon), la table à succion permet de saturer l’échantillon saturer l’échantillon ou de vidanger une partie de l’eau qu’il retient.
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Si tous les sols sont constitués de vides et d’agrégatsDes ensembles cohésifs imbriqués les uns dans les autres, dont la taille varie du décimètre, pour les mottes, au centimètre, au millimètre et jusqu’au micron pour les plus petits assemblages entre particules argileuses et matière organique.1, ils n’ont en effet pas les mêmes caractéristiques physiques. Selon la taille des particules et des différents agrégats emboités les uns dans les autres et celle des vides qui les séparent, ils retiennent l’eau de façon plus ou moins énergique.
Pour déterminer la réserve utile en eau, l’échantillon est saturé en eau, afin de remplir tous les vides. Puis, l’eau est progressivement extraite par l’application de pressions correspondant à la gravité naturelle puis à la force de succion des racines. À chaque étape, l’échantillon est pesé pour déterminer la quantité d’eau perdue.

Monter ou descendre le réservoir alimentant la colonne d’eau de la table à succion, au-dessus ou au-dessous du niveau de la face supérieure des échantillons, permet de les saturer ou de les déshydrater.
© IRD - Carole Filiu-Mouhali
Concrètement, les échantillons de sols, préparés dans des petits cylindres métalliques, sont pesés avec précision et placés sur une table à succion. Cet instrument simple permet de les saturer en eau par capillarité avec un lit de sable fin alimenté par une colonne d’eau, puis d’en extraire le liquide en abaissant le niveau du réservoir de la colonne.
Pour appliquer des pressions plus élevées, les échantillons de sols sont placés dans des presses pneumatiques, dites presses de Richards, pour élever progressivement la pression jusqu’à 16 bars : au-delà de ce qu’on appelle le point de flétrissement permanent, correspondant au seuil où les plantes ne sont plus capables d’extraire l’eau du sol.
Pour autant, la quantité d’eau résiduelle est mesurée - en déshydratant et pesant l’échantillon sec – car elle reste utile pour les microorganismes et autres ingénieurs naturels présents dans le sol. Cette eau fortement liée joue aussi un rôle important pour les réactions physico-chimiques qui s’opèrent dans le sol.

© IRD - Carole Filiu-Mouhali
Échantillons de sols mélangeant sable et différentes argiles - en blanc de la kaolinite et en ocre la montmorillonite - dans des proportions variées

Les échantillons de sols, conditionnés dans des cylindres métalliques de 100 cm3, sont placés sur le plateau rotatif du rétractomètre, qui les présentera tour à tour aux instruments de mesure.
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L’évolution du contenu en eau du sol au cours de sa dessiccation peut également être mesurée en continu. Les échantillons sont alors placés dans un rétractomètre, un automate inventé et breveté par des scientifiques de l’IRDErik Braudeau et Gérard Bélier1 et maintenant commercialisé par une entreprise spécialisée dans le matériel de mesure des propriétés physiques du sol.
Constitué d’une étuve régulée, l’appareil provoque une dessiccation contrôlée des échantillons de sol, les pèse, détermine leur rétractation avec des capteurs laser et mesure l’énergie de liaison de l’eau avec le sol grâce à une bougie poreuse insérée dans chaque échantillon.

Cahier de labo, véritable livre de bord où sont consignées toutes les manipulations et analyses réalisées dans le laboratoire.
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Que contiennent les sols ?
Composants solides - organiques, minéraux ou amorphes -, isotopes, éléments nutritifs, polluants… déterminer la composition d’un sol, d’un sédiment ou de tout autre matériel organique ou minéral est indispensable pour en connaitre le rôle, l’histoire et le fonctionnement. Il existe pour cela différentes approches et autant de techniques, en fonction de la nature des échantillons, de la précision et des informations recherchées.
Certaines techniques, comme la spectrométrie infrarouge et la spectrométrie de fluorescence des rayons X, permettent de préserver l’intégrité des échantillons.

Préparation de plaque d’échantillons de sol, réduits en poudre, pour la mesure du spectre infrarouge - dans un spectrophotomètre IR par Henri Robain
© IRD - Carole Filiu-Mouhali
La spectrométrie infrarouge permet d’identifier rapidement – et pour un faible coût comparé aux techniques géochimiques - les composants organiques et inorganiques d’un échantillon. Soumis à un rayon infrarouge incident, ceux-ci le reflètent de façon spécifique, créant un spectre dont l’interprétation permet de connaitre la nature des éléments présents. Cette méthode est donc très efficace pour l’analyse de grandes séries d’échantillons, comme les matières en suspension transportées par les multiples crues que l’on échantillonne au cours d’une année pour les observatoires de l’environnement, ou comme les multiples couches de dépôts sédimentaires accumulées dans les environnements lacustres.

Tête d’émission et de réception des rayons X du spectromètre XRF, positionnée au-dessus d’un échantillon d’une cinquantaine de centimètres de long prélevé au cœur d’une carotte sédimentaire.
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La spectrométrie de fluorescence des rayons X (dite XRF pour x-ray fluorescence) consiste à soumettre l’échantillon à un rayonnement X puis à analyser sa fluorescence, c’est-à-dire la réémission des rayons X par la matière. Le spectre de cette émission secondaire est caractéristique de la composition de l'échantillon, des éléments présents et de leur concentration.

Mise en place d’une section prélevée dans une carotte sédimentaire dans le spectromètre XRF par Hugues Boucher
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« Ici, nous l’utilisons essentiellement pour caractériser de façon très précise les composants minéraux des carottes sédimentaires prélevées au fond des lacs et des océans, explique Hugues Boucher, spécialiste de cette technique. L’analyse sur toute la longueur de ces échantillons d’une taille conséquente permet de reconstituer l’histoire du climat passé sur plusieurs décennies voire plusieurs siècles. »
À l’inverse de ces techniques d’analyse utilisant les propriétés physiques de la matière, les techniques géochimiques détruisent les échantillons…

Tube de quartz à usage unique, résistant à des températures élevées, dans lequel s’effectuent la combustion des échantillons lors des analyses géochimiques des éléments et de la spectrométrie en phase gazeuse.
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L’analyse géochimique élémentaire sert à déterminer la teneur en carbone et en azote contenue dans un échantillon avec un analyseur élémentaire. À une échelle plus fine, en utilisant la spectrométrie de masse, elle permet également de déterminer la composition isotopiqueProportion des différentes formes d’un même élément, dont la masse varie en fonction du nombre de neutrons supplémentaires dans le noyau, comme le 13C (lire « carbone 13 »), plus lourds que le 12C qui est le plus courant.
Ces informations sont précieuses car elles témoignent de processus naturels, comme la variation climatique ou le passage du temps, et de leurs effets sur l’environnement.

Mise en place du carrousel portant les échantillons liquides sur le passeur du chromatographe en phase gazeuse
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« Concrètement, les échantillons conditionnés dans une capsule d’étain vont être chauffés à 1 000 degrés dans un tube en quartz, indique le chimiste Magloire Mandeng Yogo. La différence du temps d’échappement des gaz, caractéristique de chaque élément, va nous permettre de les identifier et d’en déterminer la teneur isotopique. »
La chromatographie en phase gazeuse fonctionne sur le même principe que la spectrométrie de masse, mais avec des échantillons liquides. Elle vise à analyser la teneur et la composition isotopique de molécules – et non plus d’éléments - présentes dans les matériaux examinés.

Pesée des échantillons avant analyse ICP-MS par Mercedes Mendez
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La spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (dite ICP-MS pour Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry) permet de détecter la présence et la teneur d’éléments même à de très faibles concentrations. Il s’agit de tous les métaux et non-métaux du tableau périodiqueTableau qui représente tous les éléments chimiques existants classés par ordre croissant de poids atomique. hormis ceux des deux premières lignes.

Le spectromètre ICP-MS utilise une torche à plasma chauffant les échantillons à 6 000° C.
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Les échantillons, préalablement rendus liquides par des acides, sont soumis à une torche à plasma fonctionnant à plus de 6 000° C. L’analyse du plasma résultant par spectrométrie de masse permet de séparer, caractériser et quantifier les éléments.
Préparer des échantillons de A à Z

Les écrans de contrôle du microscope montrant, à gauche, l’intérieur de l’instrument et, à droite, l’image acquise.
© IRD - Carole Filiu-Mouhali
Voir l’invisible en gros plan
Au-delà de l’analyse physique ou chimique, l’observation morphologique des objets à très haute résolution s’avère précieuse dans de nombreux domaines allant de la biologie à la science des matériaux en passant par les sciences de la terre. En ce sens, la microscopie électronique à balayage permet de réaliser des images de la surface d’objets en trois dimensions à des grandissements allant de 20 à 50 000 fois, permettant l’observation de détails inférieurs à 1 µm1 millième de millimètre.

Le microscope électronique à balayage au premier plan, la console de pilotage et d’observation derrière.
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Pour ce faire, la surface de l’échantillon examiné est balayée par un faisceau d’électrons, après que celui-ci a été rendu conducteur par la pulvérisation d’une fine couche d’or ou de carbone (étape de métallisation). En mode classique, l’instrument fonctionne sous vide pour étudier les échantillons secs. Cependant, les matériaux humides, comme les insectes, ou poreux, peuvent également être observés sans métallisation préalable (sous vide dégradé ou après injection de vapeur d’eau).

© IRD - S. Caquineau & G. Cabioch
Corail fossile des îles Marquises en Polynésie Française, vu au microscope électronique à balayage

Des échantillons de coraux recouverts d’une fine pellicule d’or avant d’entrer dans le microscope
© IRD - Carole Filiu-Mouhali
Le microscope électronique à balayage est également équipé d’un spectromètre à dispersion d’énergie qui fournit des informations sur la composition chimique élémentaire des échantillons. « Au LOCEAN, nous utilisons notamment ce microscope pour l’observation des biocarbonates modernes et fossilesLa structure solide des coraux et des coquilles de mollusque, étudiés pour leur capacité à enregistrer les variations de certains paramètres environnementaux qui serviront ensuite aux reconstructions paléo-climatiques », explique Sandrine Caquineau, la responsable de cet équipement.

Seule la quantité d’échantillons nécessaire aux analyses prévues est broyée avant d’être extraite de la salle de confinement des sols tropicaux.
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Des sols tropicaux sous haute sécurité

Après utilisation les instruments utilisés pour préaparer les échantillons de sols tropicaux sont passés en étuve pour détruire les microorganismes exotiques qui ne doivent pas contaminier l'environnement local.
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L’importation d’échantillons de sols tropicaux pour la recherche scientifique constitue un danger potentiel de contamination des écosystèmes tempérés. Ils peuvent en effet contenir des microorganismes exotiques, susceptibles de se révéler invasifs s’ils venaient à se répandre à l’extérieur dans l’environnement. Pour éviter ce risque, la réglementation impose des conditions très strictes de stockage, de suivi, de neutralisation des échantillons après utilisation, de formation et d’agrément des personnels de recherche habilités par les autorités administratives.

© IRD - Carole Filiu-Mouhali
Échantillons conservés dans la salle de confinement des sols tropicaux.

Les prélèvements de sols sont finement broyés avec un pilon et un mortier en agate. Seule la quantité d’échantillon nécessaire à l’analyse est sortie de la salle de confinement des sols tropicaux.
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La détention de ces sols tropicaux est ainsi organisée dans une salle de confinement biologique, maintenue en dépression pour éviter la sortie inopinée de poussières et de microorganisme en suspension dans l’air. Son accès est contrôlé et soumis à des précautions sanitaires spécifiques. La quantité d’échantillon nécessaire aux analyses est prélevée dans le stock et préparée dans l’enceinte sécurisée avant d’être sortie. Elle est dûment consignée, au milligramme près, et les échantillons non détruits par les analyses sont rapportés pour être neutralisés en autoclave par chauffage à haute température et haute pression avant d’être évacués lorsqu’ils ne sont plus utiles pour les recherches menées. « Plusieurs centaines de kilogrammes de terre, provenant d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique, sont stockés ici. Nous en connaissons la quantité au milligramme près », explique Hanane Aroui, responsable du laboratoire de physique du sol et référente de prévention pour les laboratoires de IEES-Paris à Bondy.

Retrait du film plastique protégeant une demi-carotte de sédiment avant prélèvement d’un échantillon pour analyse en spectrométrie XRF.
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Délicate conservation des sédiments

Pour l’analyse, les carottes sont coupées en deux dans le sens de la longueur et les tronçons correspondants à des périodes sont prélevés.
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Véritables archives du temps passé, d’évènements naturels et du climat, les carottes de sédiments sont conservées précieusement et durablement dans une « carottothèque » réfrigérée. Il s’agit de préserver ces prélèvements provenant des fonds lacustres et marins tropicaux du développement de microorganismes qui pourraient les altérer.
Ces échantillons de taille imposante – les plus grands font quatre à cinq mètres de long – sont précieux pour recomposer l’histoire du climat et ses manifestations. Ainsi, certains proviennent de forages profonds, opérés sur le plancher océanique au large du Pérou, dans le cadre de l’étude des phénomènes El Niño et La Niña.

© IRD - Carole Filiu-Mouhali
La « carottothèque » contient des échantillons venant des fonds lacustres et marins d’Afrique, d’Asie et d’Amérique.

Déballage d'une carotte de sédiments coupée dans la longueur, au centre de laquelle a été prélevée une lame d'échantillon appelée "U-chanel" pour l'analyse par spectrométrie XRF.
© IRD - Carole Filiu-Mouhali
« Les lamines sédimentaires correspondent à des dépôts, explique Henri Robain. Ces dépôts sont généralement noirs en saison pluvieuse, et blancs en saison sèche. La matière sombre est riche en matière organique, ce qui correspond à une forte mortalité des organismes planctoniques dans la colonne d’eau, et quand ils sont bien vivants ne se déposent que des particules minérales qui sont claires. » Leur analyse, par spectrométrie XRF notamment, permet ainsi de recomposer l’histoire paléo-climatique.
« Les équipements, les instruments et les compétences pour les mettre en œuvre réunis sur la plateforme de Bondy ne sont pas seulement dédiés à la recherche courante des unités partenaires. Ils servent aussi à la formation des chercheurs de demain. Ainsi, de nombreux scientifiques, venant des pays du Sud ou traitant de thématiques tropicales, sont accueillis ici pour apprendre à utiliser les techniques les plus innovantes en analysant leurs propres échantillons », conclut Henri Robain.