Mis à jour le 21.06.2021
Au sein du groupe de recherche TrypanoGEN, Bruno Bucheton de l’UMR Intertryp a participé à des travaux démontrant la forte diversité génétique des populations africaines. L’occasion de prouver que l’étude d’une maladie tropicale négligée - la maladie du sommeil – peut engendrer des résultats dans un champ bien plus large.
IRD le Mag’ : Des travaux sur la diversité génétique en Afrique auxquels vous avez participé viennent d’être publiés dans la revue Nature. Quel est leur contexte ?
Bruno Bucheton : Avant tout, il faut rappeler que le continent africain est considéré comme le berceau de la femme et de l'homme modernes. Il en découle que les génomes africains contiennent plus de variations génétiques que ceux de tout autre continent. Mais seule une fraction de la diversité génétique des Africaines et Africains a été étudiée. Le consortium Human Heredity and Health in AfricaThe Human Heredity and Health in Africa (H3Africa) est un partenariat entre les National Institutes of Health (NIH) , the African Society of Human Genetics et le Wellcome Trust 1 (H3A) a lancé une quarantaine de projets ayant pour but d’identifier les variations génétiques impliquées dans des maladies sévissant en Afrique. C’est dans ce cadre, et afin d’explorer l’étendue de cette diversité, que nous avons séquencé le génome entier de 426 individus de 13 pays. Le groupe de recherche TrypanoGEN, qui étudie les déterminants génétiques de deux maladies tropicales négligées, la trypanosomiase humaine africaine (THA ou maladie du sommeil) et la schistosomiaseMaladie parasitaire due à un ver hématophage, le schistosome (ou bilharziose) – dont je fais partie – a d’ailleurs fourni 45 % de ces génomes séquencés !
IRD le Mag’ : Quelles ont été les spécificités de ces séquençages ?
B. B. : Pour la première fois, nous disposons de données de génome entier sur un grand nombre de populations à l’échelle du continent. À titre de comparaison, jusqu’alors ce type de données n’était disponible que pour cinq populations africaines (projet 1000 Genomes). D’autres études génétiques ont porté sur un plus grand nombre de populations mais en se concentrant sur un plus petit nombre de variants génétiques déterminés grâce à des puces à ADNSupport de quelques centimètres carrés sur lequel de courtes séquences d’ADN ont été déposées. Elles permettent de repérer des gènes ou séquences d’intérêt définis dans le génome testé.. Dans cet article, l’analyse porte sur les génomes entiers d’individus appartenant à près de 50 groupes ethnolinguistiques échantillonnés dans 13 pays différents et inclut un grand nombre de populations qui étaient peu ou pas représentées dans les banques de données. Pour 314 individus de cette étude un séquençage en profondeur a été réalisé ce qui permet une meilleure estimation de la fréquence des variants génétiques mais aussi l’identification de variants rares.
IRD le Mag’ : De quoi s’agit-il ?
B. B. : Pour chaque gène, ou plus généralement pour chaque séquence du génome, il existe en réalité des variations d’un individu à l’autre. C’est ce qui détermine la diversité génétique de l’espèce humaine. Certaines variations n’entraînent aucune conséquence particulière, d’autres participent à une apparence différente, comme la couleur des cheveux, la pigmentation de la peau… D’autres encore offrent des avantages face à une maladie ou à l’inverse déterminent une susceptibilité augmentée de la développer.
ADN, génome et séquençage : le B.A.-BA
Le génome, c’est l’ensemble de l’information génétique d’un organisme contenu dans chacune de ses cellules sous la forme de chromosomes, composés d’une longue molécule d’ADN. Les nucléotides sont les éléments constitutifs de l’ADN. Il en existe quatre types différents, notés A, T, G et C (pour Adénine, Thymine, Guanine et Cytosine). La succession des bases le long d’un brin d’ADN constitue sa séquence. Le séquençage d’un génome consiste ainsi en la détermination de la séquence nucléotidique de l’ADN présent dans chaque cellule d’un organisme donné. En 2003, le génome humain a été séquencé en entier à partir de celui de plusieurs individus.
IRD le Mag’ : Quels sont les résultats principaux de cette étude internationale ?

Les Himbas sont un peuple bantou établi au nord de la Namibie, principalement dans le Kaokoveld.
© IRD - Jean-Yves Meunier
B. B. : Ils sont de deux ordres principaux. Premièrement, l’analyse de la distribution des variants génétiques entre les différents groupes ethno-linguistiques donne des informations sur l’histoire du peuplement de l’Afrique ces 5 000 dernières années. En effet, c’est à cette époque que les populations proto-bantoues, qui maîtrisent alors l’agriculture et l’élevage commencent à diffuser hors de leur zone d’origine (le Cameroun actuel) pour atteindre quelques millénaires plus tard le sud et l’est de l’Afrique Sub-saharienne. Les données archéologiques sur ces temps anciens sont rares et plusieurs hypothèses ont été émises sur les principales routes migratoires de l’expansion Bantoue. Le long de ces routes migratoires, ces populations bantoues originelles se sont mélangées ou ont assimilé les populations autochtones de chasseurs-cueilleurs : cela a laissé une trace génétique dans le génome des populations actuelles qui permet de retracer leur histoire démographique dans l’espace et dans le temps. Si nos résultats sont en accord avec l’hypothèse d’une première vague de migration à travers la forêt équatoriale vers l’actuel Angola, le fait que les populations de langue bantoue de Zambie soient à la fois plus proches génétiquement des populations de langue bantoue du sud et de l’est de l’Afrique suggèrent que la Zambie a été un site intermédiaire important dans la civilisation bantoue à partir duquel les migrations se sont ensuite poursuivies vers l’est et le sud.

© Choudhury A. et al. Nature. 2020 Oct;586(7831):741-748.
Mouvement proposé pendant la migration bantoue
- La ligne bleue montre les modèles de migration déduits des estimations de la distance génétique, la Zambie (BSZ) étant une étape intermédiaire pour les migrations ultérieures vers l'est et le sud.
- La ligne noire pointillée montre l'itinéraire proposé précédemment fondé sur une séparation plus tardive.
- La ligne en pointillé bleu-vert à travers la République démocratique du Congo (DRC) présente un modèle alternatif de migration.
Un deuxième point très important de cette étude est qu’elle a permis de mettre en évidence plus de trois millions de nouveaux variants ! Et cela, en séquençant uniquement le génome de 426 personnes : cela donne des arguments pour continuer à explorer l’énorme diversité des populations africaines en séquençant encore plus sur un panel encore plus large de populations. L’analyse des signatures de sélection a par ailleurs permis d’identifier 107 gènes – dont 62 nouvellement identifiés dans cette étude – ayant subi dans l’histoire récente de fortes pressions de sélection.
IRD le Mag’ : Pouvez-vous préciser cela ?
B. B. : Cela signifie que des variants de ces gènes ont été sélectionnés car ils conféraient une meilleure adaptation des individus à leur environnement. On retrouve ici des gènes du métabolisme qui ont certainement contribué à l’adaptation des populations humaines aux nouveaux environnements écologiques et climatiques rencontrés sur les routes de migration mais aussi de nombreux gènes impliqués dans la réponse aux infections et notamment aux infections virales. Une information intéressante à mettre en relation avec l’épidémie de Covid-19 qui semble globalement moins sévère dans les pays africains. On retrouve aussi des gènes comme APOL1, dont certains variants sont associés à une résistance accrue à la maladie du sommeil. Les variants « protecteurs » sont particulièrement fréquents dans les populations d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale où le parasite Trypanosoma brucei gambiense est endémique. Chez les Afro-Américains, ces mutations ont été associées à un risque élevé de développer des maladies rénales. Cela laisse craindre que ces maladies chroniques, très difficiles à traiter, deviennent un problème de santé publique encore plus important dans les années à venir dans ces régions de l’Afrique où l’occidentalisation du mode de vie en cours prédispose également au développement de ces maladies.
IRD le Mag’ : Qu’est-ce que ces résultats ont entraîné ?

Puce à ADN devant le résultat d'analyse à l'écran au laboratoire du département "Métabolisme et obésité" de l'unité Inserm 858, CHU Rangueil, Toulouse.
© Inserm - Patrice Latron
Une retombée importante de l’identification de ces nouveaux variants génétiques spécifiques aux populations africaines a été de permettre la mise au point d’une puce ADN panafricaine qui permet d’accéder très rapidement et à moindre coût au génotype d’un individu pour plus de 2 millions de variants. Ce nouvel outil est bien mieux adapté que les puces développées sur des génomes « Euro-Asiatiques » qui ne sont pas représentatives de la diversité génétique observée en Afrique. Nous disposons donc aujourd’hui d’un outil beaucoup plus puissant qui devrait permettre de « booster » les études de génétique humaine en Afrique destinées à identifier les facteurs de risque et/ou de résistance aux maladies qui affectent le contiennent.
Surtout, cela souligne l’importance de nos recherches sur la THA : l’étude des maladies tropicales négligées dépasse ce seul champ et apporte de précieuses informations en génétique des populations humaines. Cela illustre également comment la recherche sur une maladie tropicale négligée peut finalement avoir un impact beaucoup plus large pour la communauté scientifique en contribuant non seulement à l’amélioration des outils pour les études de génétique humaine en Afrique mais aussi en donnant un éclairage nouveau sur le lien complexe qui existe entre maladies infectieuses et maladies chroniques dans le contexte de ce que l’on appelle aujourd’hui la transition épidémiologique.
Paludisme et diversité génétique
En 2017, d’autres travaux de l’IRD, sur le paludisme, avaient contribué à la description de la diversité génétique des populations africaines. « Avec Achille Massougbodji, parasitologue et partenaire historique de MERIT au Bénin, notre apport avait consisté dans l'enrichissement des données sur les populations bantoues étudiées, avec trois nouvelles populations du Bénin, distinctes de celles considérées dans la publication de Nature à laquelle Bruno Bucheton a participé, explique Florence Migot-Nabias, immunologiste dans l’UMR MERIT et co-auteure de ces travaux parus dans Science, auxquels Alain Froment, anthropologue biologiste dans l’UMR PALOC, était également associé. Il est intéressant de relever que dans les deux cas, nos travaux menés à l'IRD au plus proche des populations d'Afrique subsaharienne, en partenariat avec elles, et au cœur de leurs préoccupations sanitaires les plus cruciales, participent à la construction d'une connaissance de fond, sur l'histoire des peuplements, leur fondement génétique : ce sont là autant de clefs pour mieux comprendre certaines différences de réponse immunitaire aux pathogènes. »