habitation effondrée, on distingue ce qui devait être une chambre

Enserrée entre plusieurs plaques tectoniques en mouvement, Haïti subit des séismes dévastateurs.

© IRD - Georges de Noni

Haïti : la « sismologie citoyenne » aide à décrypter un séisme majeur

Sommaire

J'aime

1

Mis à jour le 11.03.2022

Le 14 août 2021, onze ans après le dévastateur séisme de 2010, un nouveau tremblement de terre a frappé le sud d’Haïti. Malgré un système de surveillance sismologique national inopérant, les chercheurs ont pu rapidement caractériser ce séisme. Et ce, notamment grâce à un réseau de « sismomètres citoyens », co-financé par l’IRD et le CNRS. Une première mondiale.

Bloc de texte

C’est un dispositif unique au monde : en Haïti, depuis 2019, les chercheurs chargés de détecter et de mesurer les tremblements de terre, sont aidés dans cette mission, par un réseau de sismomètres… hébergés par des particuliers volontaires !

M. Mezile (à d.), hôte d'un sismomètre RaspberryShake à Jérémie, avec le Dr Symithe (à g.), chercheur à l'Université d'État d'Haïti Le sismomètre – la petite boîte grise au sol dans le coin de la pièce – est connecté à l’électricité et à Internet.

© E. Calais (ENS-PSL/IRD/CNRS/OCA)

Bloc de texte

C’est le réseau « ayiti-seismes ». « Comme le montrent nos récents travaux, ce dispositif a été crucial pour caractériser le séisme du 14 août 2021 et évaluer le risque de futures répliques. Dans un contexte où malheureusement le réseau sismologique national a beaucoup de mal à être maintenu à cause des difficultés économiques et politiques du pays, et n’était pas opérationnel lors du séisme, le réseau sismo-citoyen a fait la différence », souligne Éric Calais, co-directeur du Laboratoire Mixte International CARIBACTLMI CARIBACT : partenariat entre le laboratoire URGéo de l’Université d’État d’Haïti et le laboratoire français Géoazur (Université Côte d’Azur/Observatoire de la Côte d’Azur/CNRS/IRD), implanté en Haïti et financé par l’IRD.1

Un réseau de stations citoyennes et scientifiques

À ce jour, ayiti-seismes comprend 15 stations citoyennes réparties uniformément sur tout le territoire. « Ces stations reposent sur de nouveaux sismomètres commercialisés depuis 2019, appelés “Raspberry Shake”. Simples et compacts (environ 10x10x5 cm), et 20 fois moins onéreux que les systèmes utilisés par les sismologues (environ 900 € l’unité, contre jusqu’à 18 000 €), ces appareils permettent de densifier le réseau sismologique en Haïti. Connectés à Internet, ils produisent des données publiées en temps quasi réel sur un site internet ouvert à tous », détaille Steeve Symithe, géophysicien au laboratoire URGéo, à Haïti.

 

État des lieux du réseau sismologique encadrant le séisme du 14/08/21. En rouge les stations du réseau citoyen « ayiti-séismes », en bleu les stations temporaires installées par les chercheurs de l’URGéo dans le cadre de la réponse scientifique d’urgence.

© IRD - Eric Calais

Bloc de texte

Combinés aux données obtenues par 12 stations scientifiques temporaires déployées rapidement par les chercheurs de URGéo, les enregistrements de ce dispositif inédit ont contribué à obtenir plusieurs résultats importants. Notamment, il est ressorti que l’épicentre du séisme du 14 août 2021 était situé à environ 15-20 km de profondeur, et à quelques kilomètres au nord d’une faille sismique dite d’Enriquillo, connue pour être la plus active de la région. La magnitude du séisme était de 7,2 (contre 7,0 pour celui de 2010). De plus, la cartographie des répliques a permis de conclure que la faille responsable de ce séisme n’est pas en continuité avec avec celle de 2010. Enfin le réseau sismo-citoyen a contribué à enregistrer et à localiser plus de 1000 répliques dans les trois semaines qui ont suivi le choc principal.

Bloc de texte

Aide à la réponse d’urgence

Le suivi de ces répliques a aidé les autorités locales à organisé une réponse d’urgence adaptée au séisme. Notamment, « le fait de pouvoir déterminer où, quand et pendant combien de temps de nouvelles répliques pouvaient survenir, a permis à la Protection civile d’identifier les zones où la réoccupation des locaux fragilisés par le séisme principal devait être interdite », explique Éric Calais.  
À plus long terme, les données du réseau sismo-citoyen devraient aider à recalculer l’aléa sismique, à savoir le risque, pour un site donné, d'être exposé à de nouvelles secousses ; et à adapter le code de construction, qui fixe les règles à respecter en matière de bâti. 
Mais outre sa contribution à la caractérisation du séisme du 14 août 2021 et de ses répliques, « l’effort sismo-citoyen qui s’est manifesté lors de ce tremblement de terre, a aussi permis de confirmer pour la première fois la validité d’un tel système de détection pour étudier un fort séisme », note Éric Calais.
À l’avenir, l’équipe de CARIBACT espère densifier ayiti-seismes, en augmentant le nombre de ses stations « de 15 à une centaine », précise Steeve Symithe. De quoi démultiplier la capacité de ce système de détection unique, possible grâce aux citoyens hébergeurs. 

 

  • La sismologie citoyenne aide à décrypter le tremblement de terre d'Haïti de 2021 
    Éric Calais, Steeve Symithe, Tony Monfret, Bertrand Delouis, Anthony Lomax, Françoise Courboulex, Jean-Paul Ampuero, Pablo Espinoza Lara, Quentin Bletery, Jérôme Chèze, Fabrice Peix, Anne Deschamps, Bernard Mercier de Lépinay, Bryan Raimbault, Romain Jolivet, Sylvert. Paul, Sadrac St Fleur, Dominique Boisson, Yo Fukushima, Zacharie Duputel, L. Xu and Lingsen Meng, Citizen seismology helps decipher the 2021 Haiti Earthquake, Science, 10 mars 2022 ; doi : 10.1126/science.abn1045

    Une expérience de socio-séismologie en Haïti
    Éric Calais, Dominique Boisson, Steeve Symithe, Claude Prépetit, Bétonus Pierre, Sophia Ulyse, Laennec Hurbon, Alain Gilles, Jean-Marie Théodat, Tony Monfret, Anne Deschamps, Françoise Courboulex, Jérôme Chèze, Fabrice Peix, Etienne Bertrand, Jean-Paul Ampuero, Bernard Mercier de Lépinay, Julien Balestra, Jean-Luc Berenguer, Remy Bossu, Laure Fallou and Valérie Clouard, A Socio-Seismology Experiment in Haiti, Frontiers in Earth Sciences, 25 septembre 2020 ; doi: 10.3389/feart.2020.542654
     

  • Kheira Bettayeb