Les gorilles sont particulièrement infectés par les vers Oesophagostomum et Necator.

© IRD – Nil Rahola

Humains et singes : des vers intestinaux en partage

Mis à jour le 21.07.2021

Au Cameroun et au Gabon, une étude vient de mettre en lumière la présence importante d'helminthes, des vers intestinaux, dans les fèces de plus de 300 gorilles, chimpanzés et petits singes. Les primates non humains pourraient constituer ainsi un réservoir de ces vers qui provoquent des helminthiases, des maladies chroniques touchant principalement les enfants et causant 135 000 décès par an dans le monde.

Les ascaris (Ascaris sp.), les trichures (Trichuris sp.), les ankylostomes (Necator sp. et Ancylostoma sp.) et, de façon plus ponctuelle, les vers nodulaires (Oesophagostomum sp.), infectent 1,5 milliard de personnes dans les régions les plus pauvres de la planète. Ils causent des helminthiases, des pathologies chroniques à l’origine d’anémie et de retards de croissance et intellectuels, principalement chez les enfants. Ces maladies sont traitées par l’administration annuelle aux enfants de médicaments tels que l’albendazole ou le mébendazole. Dans certaines régions rurales d’Afrique équatoriale, la prévalenceProportion de malades dans une population, à un moment précis, indépendamment de l’ancienneté de la maladie.  peut en effet dépasser 50 % de la population. La présence de ces géohelminthesDont la forme infectante, œufs ou larves, est présente dans le sol chez les primates non humains – gorilles, chimpanzés et petits singes – qui vient d'être mise en lumière pour la première fois dans des forêts du Gabon et du Cameroun, pourrait constituer un frein à la baisse des infections chez l’être humain.

Des vers massivement présents

 

Les ankylostomes adultes s’accrochent à la paroi intestinale de leurs hôtes.

© Wikimédia - Peabody Museum of Natural History

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« Nous avons étudié la prévalence et la diversité génétique de ces parasites dans 315 échantillons fécaux, explique Sabrina Locatelli, biologiste au sein de l’UMR Mivegec. Quasiment tous les gorilles 51 sur 65  étaient infectés par des Oesophagostomum, et 35 d’entre eux l’étaient également par des Necator. En ce qui concerne les 222 chimpanzés, plus de la moitié étaient infectés par des Oesophagostomum et 100 par des Necator. Les petits singes étaient aussi contaminés par ces deux vers. A contrario, les ascaris étaient absents et les trichures étaient très rares. »

Comment expliquer une telle prévalence ? Les œufs des vers intestinaux sont éliminés dans les selles de l’hôte puis se dispersent dans l’environnement. Un nouvel hôte s’infecte en ingérant ces œufs, notamment lorsqu’ils sont présents sur des feuilles ou des fruits. Pour les ankylostomes, les larves issues des œufs pénètrent directement à travers la peau.

 

Enfants courant après une chèvre dans un village du Gabon
La proximité avec des animaux domestiques, réservoirs d’helminthes, peut également être source de réinfections comme ici dans le village de Ntolo au Gabon. Crédit : IRD - Pierre Becquart

 

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Risques de réinfection

Or, les primates voient leur territoire diminué et fragmenté par leurs voisins humains : déforestation, développement des terres agricoles, chasse, isolement des aires protégées… La proximité entre humains et grands singes accentue les risques de contamination entre eux. « Les œufs et les larves de vers intestinaux perdurent dans le sol, ajoute Michel Boussinesq, médecin parasitologue à l’UMR TransVHIMI. Des enfants peuvent être réinfectés constamment et les traitements de masse organisés par les autorités doivent donc être répétés chaque année. Porter des chaussures permettrait de se prémunir des infections par ankylostomes mais les enfants de certains villages marchent souvent pieds-nus. Des mesures d’hygiène et d’assainissement, tel l’usage de latrines, sont indispensables pour éliminer ces infections mais elles sont difficiles à mettre en œuvre dans les villages isolés, notamment ceux situés en lisière de forêts. »


La présence d’un réservoir d’helminthes à proximité des lieux de vie de ces populations pourrait retarder l’élimination de ces maladies. Les scientifiques souhaitent maintenant identifier les espèces parasitaires les plus aptes à circuler entre les êtres humains et les primates.

 

Les chimpanzés voient leurs territoires fragmentés par la présence humaine.

© IRD – Sabrina Locatelli

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Réponse globale

« Une approche One HealthApproche intégrée de la santé publique, animale et environnementale qui vise à mieux affronter les maladies émergentes. est nécessaire pour lutter efficacement contre les géohelminthiases, poursuit Sabrina Locatelli. En utilisant des techniques de séquençage à haut débit, nous pourrons mieux détecter les co-infections ou des infections rares et mieux connaître l’ensemble des communautés parasitaires qui infectent à la fois les primates et les êtres humains. Une connaissance plus fine de leur diversité génétique et une meilleure compréhension des possibilités de transmission zoonotiquede l’animal à l’homme, et inversement pourrait contribuer à limiter ces infections. »