Les satellites de la série Sentinel, de l’Agence spatiale européenne, dédiés à l’observation de la Terre et des océans, évoluent selon une orbite héliosynchrone à 786 km d’altitude et transmettent leurs données par laser à des satellites géostationnaires.

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Hydrologie spatiale : l’eau sous l’œil des satellites

Mis à jour le 17.12.2021

La télédétection satellitaire a révolutionné en quelques décennies la compréhension du cycle de l’eau sur les continents. Pourquoi et comment cette hydrologie spatiale, et les modèles numériques qu’elle alimente, permettent aujourd’hui de développer des applications précieuses pour la gestion de la ressource et la préservation des milieux aquatiques ?

Vue du ciel, l’eau n’est pas plus bleue. Mais depuis l’espace, il est possible de distinguer nombres d’informations sur le fonctionnement des fleuves qui échappaient jusqu’ici aux spécialistes. « L’arrivée des satellites d’observation de la Terre a considérablement amélioré notre appréhension du cycle de l’eau sur les continents, affirme Fabrice Papa, hydrologue, spécialiste de télédétection spatiale au LEGOS. Ils permettent d’étendre à la fois dans le temps et dans l’espace les observations pour obtenir une vue bien plus complète des phénomènes à l’œuvre. » 

 

Observation in situ

Initialement, la collecte des données hydrologiques repose sur des réseaux d’observation déployés dans les bassins versant et le long des fleuves.

© IRD- Thibaud Vergoz

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Depuis ses débuts, la discipline scientifique qui étudie les fleuves, les bassins versants et le cycle de l’eau collecte les variables hydrologiques sur le terrain, grâce à des réseaux d’observation. Quand les conditions le permettent, les scientifiques se rendent sur place pour mesurer les niveaux d’eau des fleuves et rivières, et en déduire leur débit. Ils relèvent d’autres paramètres liés à celui-ci, comme la bathymétrieMesure de la profondeur du cours d’eau, la vitesse de l’eau, la pente des fleuves, la section du cours d’eau (sa largeur qui peut bien sûr varier), la qualité de l’eau … Plus récemment, ils ont installé des instruments automatisés, capables de télétransmettre certaines de ces données recueillies en continu.


S’affranchir des contraintes du terrain

Les observations hydrologiques in situ se heurtent à des difficultés logistiques et techniques, particulièrement dans les zones tropicales où les infrastructures restent rares.

© IRD - Alain Laraque

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Mais cette approche in situ connait des limites. D’une part il est assez compliqué et coûteux en matière de logistique d’aller faire ces mesures, notamment dans les régions tropicales où coulent les grands fleuves que sont l’Amazone, le Congo, le Grange-Brahmapoutre ou le Mékong. Le maintien et l’entretien des stations automatisées est même une gageure dans ces zones souvent très difficiles d’accès une bonne partie de l’année.

 

Les grands bassins tropicaux, comme celui du fleuve Congo - où évolue un pousseur de barges consacré ici au transport de passagers -, si vastes et inaccessibles une partie de l’année, ne peuvent être efficacement suivis par les seules observations au sol.

© IRD - Alain Laraque

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Mais en plus, les données enregistrées sur le terrain sont très ponctuelles, circonscrites aux seuls points établis du réseau d’observation et au moment où ont lieu les mesures : elles sont limitées dans leur représentativité spatiale. Enfin, leur disponibilité pour les scientifiques se heurte parfois à des obstacles administratifs ou politiques, quand ces données représentent – à tort ou à raison – un enjeu de souveraineté nationale. De fait, certains phénomènes, comme l’étendue des immenses inondations qui peuvent se produire dans les bassins tropicaux, sont quasi impossibles à apprécier in situ avec un point de mesure.

 

Passager clandestin

Les images satellites permettent de recueillir des informations, sur les cours d’eau, les volumes, les débits, l’étendue des crues, qu’il est quasiment impossible de recueillir sur le terrain.

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Au tournant des années 1990, le développement des satellites dédiés à l’étude de l’océan et de l’atmosphère donne des idées aux spécialistes des eaux continentales. En véritable passager clandestin, l’hydrologie spatiale va utiliser les missions et les instruments mis au point pour explorer l’immensité océanique, afin d’étudier les fleuves et leurs bassins. Convenablement interprétées, les données de satellites altimétriques chargés de surveiller l’évolution du niveau de la mer peuvent par exemple permettre de mesurer le niveau des fleuves. « Des informations impossibles à déterminer à grande échelle depuis le sol deviennent accessibles, comme les stocks totaux d’eaux, ou des variables très importantes comme les précipitations, l’évapotranspirationÉmission de vapeur d’eau depuis le sol vers l’atmosphère, issue de l’évaporation et de la transpiration des plantes ou la qualité des eaux », indique Rodrigo Cauduro Dias de Paiva, hydrologue, spécialiste des modèles hydrologiques.

 

Plus de données, plus souvent

Les satellites de la famille GRACE (Gravity Recovery And Climate Experiment) détectent les anomalies de la gravité terrestre et permettent ce faisant d’évaluer les masses d’eau accumulées sur une région du globe.

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Mais surtout la couverture des zones d’intérêt devient large et régulière : les satellites balayent toute la surface continentale, et repassent fréquemment au-dessus des bassins étudiés. Beaucoup plus de données sont ainsi acquises et beaucoup plus souvent. Grâce à des méthodologies spécifiques d’analyse, les hydrologues exploitent désormais les données acquises par de nombreux satellites. Toutes sortes de techniques et de capteurs sont impliqués : des satellites orbitaux croisant à quelques centaines ou milliers de kilomètres d’altitude, des satellites géostationnaires accompagnant la rotation de la Terre à 36 500 kilomètres de sa surface, des techniques d’observation couvrant le spectre électromagnétique, de l’optique aux micro-ondes, mais aussi des capteurs passifs qui enregistrent les signaux émis pas la Terre et des instruments actifs qui émettent un signal vers notre planète et enregistrent sa réflexion. Pour autant, l’utilisation des satellites ne disqualifie en rien l’observation in situ et doit donc être considérée comme complémentaire : les variables relevées sur le terrain restent indispensables pour valider et calibrer les données spatiales.

 

Jason, Palsar, Aqua et les autres  

S’étendant dans le spectre électromagnétique de l’optique aux micro-ondes, les données acquises par les satellites, ici sur le fleuve Niger, offrent une vision bien plus complète, dans le temps et l’espace, que les observations in situ.

© IRD

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Concrètement, en croisant les données allant du micro-onde à l’infrarouge, issues de nombreux satellites, actifs ou passifs, les scientifiques parviennent à estimer les précipitations presque en temps réel. Avec les informations fournies par des instruments embarqués capables de déceler une évolution locale de la gravité terrestre – satellites jumeaux Grace et Grace-FOGrace et Grace FO : Satellites de la Nasa et de l'Agence spatiale allemande, qui effectuent des mesures détaillées de la gravité terrestre1, croisant à 480 km d’altitude –, ils savent évaluer les variations temporelles et spatiales de la quantité totale d’eau présente à un moment donnéLes variations de gravité sur le continent sont dues au mouvement des masses d’eau.1 dans un bassin aussi vaste que celui de l’Amazone. S’agissant de l’altimétrie, le traitement des données de Topex-PoseidonTopex-Poseidon : Satellite d'océanographie développé par la NASA et le CNES1, ERS1/2ERS 1/2 : Satellites d'observation de la Terre développée par l'Agence spatiale européenne. Ils embarquent une série d'instruments collectant différentes données sur la surface des océans, des terres émergées et l'atmosphère de la Terre (altimètre radar, radiomètres, spectromètres…)1, EnvisatEnvisat : satellite d'observation de la Terre de l'Agence spatiale européenne lancé en 2002 dont l'objectif est de mesurer de manière continue à différentes échelles les principaux paramètres environnementaux de la Terre relatifs à l'atmosphère, l'océan, les terres émergées et les glaces1, Jason 1/2/3/CSJason 1/2/3/CS : Famille de satellites d'altimétrie satellitaire développés conjointement par la NASA et le CNES pour étudier la circulation océanique et les interactions entre les océans et l'atmosphère.1, Sentinel 3-A/BSentinel 3-A/B : Satellite de l’Agence spatiale européenne dédiée à l’océanographie1, permet désormais de déterminer l’élévation des niveaux d’eau des rivières, des réservoirs, des lacs et des zones humides de dimensions toujours plus petites.

 

Après l’avènement de l'hydrologie spatiale, les variables relevées sur le terrain restent indispensables pour valider et calibrer les données acquises par les satellites.

© IRD - Alain Laraque

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L’étendue d’eau est estimée souvent à l’aide des émissions passives et actives de micro-ondes (radiomètresInstruments de mesure du rayonnement électromagnétique appelés SSM/I et AMSR-E1 des satellites DMSPDMSP : Satellites météorologiques militaires américains1, AquaAqua : Satellite d’observation des précipitations et des processus d'évaporation, aussi appelé EOS PM-1 1) et de la réception des ondes infrarouges et visibles (capteurs MODISRadiomètre spectral pour imagerie de moyenne résolution, instruments embarqués sur les satellites américains Aqua et Terra1 et satellites LandSatLandsat : Famille de sept satellites d'observation de la Terre développés par l'agence spatiale américaine, la NASA à l'instigation de l'Institut des études géologiques américain (USGS) et du département de l'agriculture1 et Sentinel-2Sentinel-2 : Série de satellites d’observation de la Terre développés par l’Agence spatiale européenne1). 
Les spécialistes travaillent désormais au développement de satellites spécifiquement dédiés à l’hydrologie de surface, comme le franco-américain SWOT (Surface Water and Ocean Topography), dont le lancement est prévu en 2022.

 

Modélisation et applications

Les milliers de téraoctets de données hydrologiques, acquis et traités chaque jour à partir des satellites et des réseaux in situ, sont exploités via des programmes numériques de simulation du cycle de l’eau.

Les spécialistes d’hydrologie collaborent au développement des satellites franco-américains SWOT spécifiquement dédiés à l’étude des eaux continentales.

© JPL - Nasa

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Ces modèles informatiques, progressivement mis au point depuis quelques décennies grâce à de nouvelles techniques, à l’explosion des capacités de calcul et l’émergence de la télédétection spatiale, visent à reproduire les processus hydrologiques naturels. « En les alimentant avec les variables relevées sur le bassin – précipitations, évapotranspiration, niveaux et stock total d’eau dans la région… –, nous parvenons à prédire les événements à venir comme les crues ou les sécheresses, avec une bonne précision spatiale et temporelle », indique Rodrigo Cauduro Dias de Paiva.

 

La prévision des événements hydrologiques d’importance, permise par l’hydrologie spatiale et la modélisation du cycle de l’eau, est précieuse pour les nombreux usagers de la ressource, comme ici des opérateurs de transport fluvial au Brésil.

© IRD - Michel Jégu

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Au-delà de leur intérêt scientifique, les prévisions établies par les hydrologues ont de précieuses applications pour la société et l’environnement : optimisation des prélèvements d’eau, des lâchers de barrages, de la pêche, de la navigation fluviale pour les utilisateurs et les gestionnaires de la ressource, planification des aménagements pour les décideurs et, plus globalement, préservation des milieux naturels et du climat. 


 

 Vue aérienne de l’Amazone, avec au premier plan la plaine inondable immense et au fond l’eau du fleuve s’étendant à perte de vue.

© IRD - Bernard de Mérona

Gigantesque et exposé à des phénomènes climatiques majeurs, le bassin de l’Amazone connait des signaux hydrologiques très marqués. Il constitue ainsi un laboratoire naturel idéal pour développer et éprouver les nouvelles techniques d’étude spatiale.

L’Amazone, laboratoire idéal


Débit gigantesque, étendue immense, cours d’eau majeurs, phénomènes naturels d’ampleur inégalée, le géant des fleuves et son vaste bassin constituent un laboratoire sans pareil pour le développement des techniques d’hydrologie spatiale et de modélisation du cycle de l’eau. « Le bassin de l’Amazone est le siège de signaux hydrologiques très marqués, et il connait à la fois des variations saisonnières et des variations interannuelles car il est soumis à de grands phénomènes climatiques comme les circulations atmosphériques (cellules de Hadley ou Walker) ou El Niño et les changements de températures de surface de l’Atlantique, explique Alice Fassoni, post-doctorante au LEGOSLauréate du prix de la meilleure thèse de doctorat dans le domaine de l'ingénierie en 2020 de la Coordination pour le perfectionnement du personnel de l’enseignement supérieur (Coordenação de aperfeiçoamento de pessoal de nível superior - CAPES), agence qui dépend du Ministère de l’éducation du Brésil.1. Mais en plus, du fait de son importance à l’échelle globale, il bénéficie d’un réseau d’observation in situ assez dense et assurant des relevés sur le long terme. »  De fait, l’IRD et ses partenaires scientifiques du Brésil et des pays limitrophes collaborent depuis plus de trente ans sur le sujet et ont largement contribué à la mise au point de l’hydrologie numérique et spatiale.