Mis à jour le 01.09.2023
À quoi sont dus les incendies qui défrayent la chronique d’été en été ? Sont-ils plus violents qu’avant ? Comment peut-on les éviter ? Florent Mouillot, chercheur IRD sur les écosystèmes terrestres au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive apporte son éclairage.
Maui, Tenerife, Canada... Cet été encore, les feux font les gros titres à travers tout le globe. Y a t-il une réelle augmentation de la fréquence et de l'intensité des incendies dans le monde ?
Florent Mouillot : La réponse ne tient pas en un mot, car il ne faut pas confondre des événements exceptionnels, ponctuels et locaux avec une tendance globale à long terme.
J’aimerais d’abord rappeler une donnée importante : l’antériorité des données sur les surfaces brûlées n’est pas très grande. C’est seulement depuis le lancement du satellite Modis (NASA) qu’on dispose d’un historique exhaustif, systématique, et homogène des surfaces brûlées à travers le monde. Or, il n’a été mis en orbite qu’en 2000, soit seulement 22 ans de recul. De même le système EFFIS (pour European Forest Fire Information System, système d’information européen sur les feux de forêt), qui fait référence en Europe pour une information en quasi temps réel et alimente les médias n’est en service que depuis 2006, soit 16 ans de recul. Donc lorsqu’on entend « c’est le plus grand incendie qu’a connu tel ou tel territoire », il faudrait bien préciser depuis quand. Donner des tendances ou extraire des extrêmes sur 10 ou 20 ans est donc très critiquable.

Paysages méditerranéens incendiés à l'interface habitat/forêt
© IRD - Florent Mouillot
Ces précautions prises, on peut cependant dire qu’au niveau global, la surface brulée annuelle diminue depuis 2000, mais elle est pilotée par la baisse des surfaces brulées en savane qui constitue 80 % des surfaces brulées totales. Les surfaces brulées en forêt ont tendance à augmenter sur cette période.
La communication basée uniquement sur les surfaces incendiées peut aussi être trompeuse. Les nouveaux projets en cours (Fireurisk, un programme H2020) visent à revisiter cette approche en incluant les notions de vulnérabilité des écosystèmes affectés. Entre deux départs de feu en un lieu considéré, il peut s’écouler plusieurs années. Selon le type de végétation concernée, ce temps de retour a plus ou moins d’impact. Ainsi, les pins mettent près de 15 ans pour produire des graines : si deux incendies interviennent dans un laps de temps plus court, cela pose problème pour la régénération de la forêt car l’écosystème reste bloqué à l’état de maquis. Pour le cas de Rhodes par exemple qui a marqué les esprits cet été 2023, des surfaces impressionnantes ont marqué les dernières décennies. Mais en regardant dans le détail à l’aide de la télédétection, ce n’est jamais au même endroit, laissant ainsi le temps à la végétation de se régénérer. De même, en Australie, un an après les grands incendies de 2020 qui ont dévasté l’île-continent, les recherches démontraient que les forêts d’eucalyptus, espèce très résiliente au feu, se portent bien.
Quant à l’intensité, tout dépend ce que l’on considère. L’énergie émise par le feu ? L’impact sur la végétation et le taux de destruction ? La vulnérabilité des espèces ? D’un point de vue du bilan de carbone par exemple, la biomasse affectée et sa capacité de reconstruction contribuent presque d’avantage au bilan que la surface elle-même. Ainsi, 1000 hectares d’herbacées brûlées vont revenir à leur état initial en un ou deux ans. Alors que 1000 hectares de forêt ancienne, ou sur sol de tourbière, mettront 500 à 1000 ans à recouvrer leur stock de carbone.
D’autres critères pourraient être spécifiés pour compléter l’impact d’un incendie : la valeur économique (habitations, routes détruites…), l’impact sur la santé…
Les incendies sont-ils tous dus aux mêmes phénomènes ?
Florent Mouillot : Les vagues de chaleur qui font la une des médias en cet été 2023 n’ont d’impact que lorsque la végétation est sèche. Par exemple, notre site expérimental sur les incendies en Tunisie cette année a mesuré une température record de 47,6°C à l’ombre pendant la vague de chaleur méditerranéenne en juillet – celles au cours de laquelle ont eu lieu les incendies de Rhodes, en Grèce. Or, en Tunisie pendant cette période, un seul incendie majeur a été observé et d’une surface bien loin des records enregistrés dans les dernières années. C’est certainement dû au mois de juin humide qui a laissé une végétation herbacée verte (vivante) pendant cette période de canicule.
Pendant une sécheresse par contre, les vagues de chaleur demeurent un facteur important. Le vent est bien sur un facteur supplémentaire qui rend les interventions moins efficaces et contribue à ce que les feux deviennent « hors de contrôle » en un temps très court, souvent inférieur au temps nécessaire à l’intervention.
Enfin au niveau global et en Méditerranée en particulier sur la dernière décennie marquée par les printemps arabes, notons l’importance des troubles socio-politiques dans les incendies. La Tunisie a vu ses surfaces brulées multipliées par 6 après la révolution de 2011, la Syrie, multipliée par 10 après 2013…En cause, des départs de feu plus nombreux d’origine volontaire dans certains cas, manifestation de la colère des populations, ou encore l’intervention des militaires.
Comment la recherche peut-elle aider à prévenir les incendies ?
Florent Mouillot : Il s’agit d’abord de comprendre les conditions climatiques de crise permettant la préparation et le déploiement anticipé des moyens de lutte, et la prévention auprès des populations. Ainsi, en Tunisie, nous avons montré que le phénomène de sirocco – vent saharien sec et chaud en provenance du sud– était fortement relié à l’occurrence des plus grands feux de forêt. Un phénomène de sirocco associe une augmentation rapide des températures de plus de 5°C en quelques jours à un taux d’humidité de l’air particulièrement bas. Grâce à la télédétection nous avons aussi pu établir une cartographie précise des surfaces brûlées dans le pays, une information cruciale malheureusement pas encore systématique inventoriée. Cela a permis aux autorités tunisiennes de distribuer précisément les 50 camions de pompiers fournis par l’aide au développement afin qu’ils soient les plus efficaces.

Une chambre a pression permett de mesurer le potentiel hydrique des plantes et ainsi leur capacité à s'enflammer et brûler.
© IRD - Damien Longepierre
Nos recherches se concentrent aussi sur la physiologie des plantes, afin de connaître leur état hydrique qui permet d’avoir une indication sur leur capacité à s’enflammer (ignitabilité) et à brûler (combustibilité) plus fine que les indicateurs génériques purement climatiques.
À plus large échelle, un levier d’action majeur et qui devrait concentrer nos prises de décisions futures dans un contexte de changement climatique auquel nous ne pouvons pas lutter, est de fragmenter le paysage, en y installant des systèmes cultivés moins combustibles. Limiter les grandes zones de végétation naturelle sans discontinuité, permettraient d’éviter la propagation des feux géants. Les outils de modélisation permettent ainsi de tester différents scénarios d’agencement de paysage et d’espèce dans les zones les plus à risque.