Le Pr Kamgno et d’autres membres de l’équipe de recherche en giets de sauventage au bord d’une rivière.

Les recherches de terrain sur l’onchocercose se font souvent sur les rivières, dont les rives constituent le gite larvaire favori des simulies – ou mouches tsé-tsé, vecteur du parasite.

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Joseph Kamgno : vaincre l’onchocercose en Afrique centrale

Mis à jour le 30.11.2022

Distingué en 2022 par le prestigieux prix Christophe-Mérieux pour ses travaux sur la lutte contre l’onchocercose, le professeur Joseph Kamgno est bien plus qu’un scientifique acharné. Il occupe de nombreuses responsabilités dans les instances de santé, d’enseignement supérieur et de recherche de son paysProfesseur titulaire et chef de Département de Santé publique à la faculté de Médecine et de sciences biomédicales de l'université de Yaoundé I, directeur du Centre de recherche sur les filarioses et autres maladies tropicales (CRFilMT) et membre de l'Académie des sciences du Cameroun1 et sur le continent africainMembre de l’Académie africaine des sciences1. Mais il est aussi, et surtout, le chef de file et l’animateur d’une communauté scientifique camerounaise en plein développement, jeune, enthousiaste et bien décidée à faire disparaitre les maladies parasitaires d’Afrique centrale.

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Il s’en est fallu de peu, un but du footballeur camerounais Roger Milla lors de la coupe du monde de 1982, pour que Joseph Kamgno ne devienne géomètre-topographe… Mais l’enthousiasme communicatif des villageois, qui suivaient le match Cameroun-Italie sur leurs transistors, provoque l’abandon de tous les candidats au concours d’entrée au lycée technique, auquel on le destinait. Tant pis pour la topographie, Joseph Kamgno rejoint le lycée classique de Bafoussam, le chef-lieu de sa province natale, et intègre un cursus général orienté vers les sciences. « En classe de terminale, se souvient-il, j’ai reçu le premier prix de science naturelle, un petit livre intitulé Recherche médicale, carrière d’avenir, qui m’a beaucoup impressionné. Il faisait écho à mon enfance au village où la maladie omniprésente frappait indistinctement toutes les familles. Mon père avait lui-même succombé un an plus tôt  » Sa décision est prise, il luttera contre les affections qui minent les populations rurales, et particulièrement les plus démunies.


À la recherche des causes de cécité

L’onchocercose est l’une des premières causes de cécité en Afrique.

© IRD- Michel Boussinesq

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Il tente une première fois le concours d’entrée en médecine et le rate. « La compétition était rude, reconnait-il. On ne prenait alors que 75 élus sur les 5 000 ou 6 000 candidats ! » Il patiente un an à la faculté de sciences avant de réussir à la session suivante. S’en suit un cursus classique au Centre universitaire des sciences de la santé - actuelle faculté de médecine et des sciences biomédicales de l’université de Yaoundé I. En cinquième année, le directeur lui propose de prêter main-forte à une équipe de recherche française qui a besoin de deux étudiants pour faire du terrain. Le programme porte sur la cécité et ses causes en zone forestière. 

Le Pr Joseph Kamgno explore des gites larvaires de simulie, en inspectant des feuillages de bord de rivière.

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« C’est le début d’un long compagnonnage avec les scientifiques de l’IRD et de l’Institut Pasteur », raconte-t-il. Dans le cadre de sa thèse de médecine, et avec une de ses condisciples, il part sur le terrain réaliser des tests d’acuité visuelle et palper les patients à la recherche de nodules caractéristiques de l’onchocercose. Cette maladie, une filariose, est responsable d’atteintes dermatologiques et ophtalmologiques graves, pouvant mener à la cécité. Elle est transmise par les simulies, des petits diptères se reproduisant au bord des rivières. 

Cibler les filarioses

Son précieux diplôme en poche, et en attendant son affectation dans un hôpital, il consacre son temps libre au service des scientifiques avec qui il a déjà travaillé, en réalisant notamment une revue de littérature sur la schistosomiase. « Je rejoins alors l’équipe de Jean-Philippe ChippauxMédecin spécialiste de santé publique à l’IRD1 de l’IRD au Centre Pasteur, pour faire le suivi des patients lors d’un essai clinique évaluant le traitement de la loase – une autre filariose, responsable d’atteintes dermatologiques inconfortables mais bénignes, transmise par un taon – par l’ivermectine à Mbalmayo, à 50 km au sud de Yaoundé », explique-t-il. Puis il enchaine sur un vaste essai, testant cette même molécule contre les vers adultes de l’onchocercose, dirigé cette fois par Michel BoussinesqMédecin parasitologiste à l’IRD1. Sa rigueur scientifique et l’urgence des enjeux sanitaires liés à ces affections parasitaires poussent ses deux mentors à demander au ministre de la Santé son détachement au sein de leur équipe. La démarche, tout à fait exceptionnelle dans ce pays où les médecins sont si peu nombreux, finit par aboutir.

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Effets indésirables mystérieux

« Mais au cours de cette étude, qui prouve l’efficacité de l’ivermectine contre les vers macrofilaires de l’onchocercose, apparaissent au CamerounDans d’autres foyers où les traitements à l’ivermectine sont administrés1 des effets indésirables rares mais tragiques, rapporte-t-il. C’est un coup de tonnerre dans la lutte contre la cécité des rivières. » La « molécule miracle », qui devait permettre de vaincre cette maladie, peut – dans de très rares cas – entrainer des encéphalopathies parfois mortelles… 

L’équipe de recherche sur l’onchocercose au Cameroun en réunion sur le terrain, autour de Joseph Kamgno et Michel Boussinesq

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« Nous avons établiLors d’un essai clinique dirigé par Michel Boussinesq1 que les complications affectent les patients dont le sang est massivement infesté par des microfilairesLarves des vers adultes, les macrofilaires de loase. Paralysés par le produit administré contre l’onchocercose, les parasites obstruent les capillaires, privant les organes et les tissus d’oxygénation », explique-t-il.  Engagé par le Programme de donation MectizanProgramme international visant à éliminer l’onchocercose et la filariose lymphatique, principalement financé par MSD, avec un soutien de GSK Dans le cadre d’un programme d’assistance au ministère de la Santé publique du Cameroun1 , du nom commercial de l’ivermectine, le scientifique assure la surveillance des effets secondaires graves de la molécule au Cameroun, conduit des travaux de recherche sur la physiopathologie, la prise en charge et la prévention de ces accidents thérapeutiques. Il forme des équipes de soin au diagnostic et au traitement de ces complications au Cameroun, en Angola, en République démocratique du Congo, au Sud Soudan. 
Pour étoffer sa formation, il part étudier l’épidémiologie des maladies transmissibles à l’Institut Pasteur de Paris et à l’École vétérinaire de Maisons-Alfort, suit en même temps des études de statistiques médicales, et complète le tout par une thèse de sciences en santé publique à l’université Paris VI.


Test & treat

De retour au Cameroun, il fonde le Centre de recherche sur les filarioses et autres maladies tropicales (CRFilMT). Au début, seul avec un technicien et un chauffeur, ils arpentent les pistes et visitent les villages pour poursuivre les recherches sur la loase, l’onchocercose et les effets indésirables de l’ivermectine. 
 

La nouvelle stratégie de lutte contre l’onchocercose, qui s’appuie sur un dépistage de la loase, une sélection des sujets à traiter et l’administration de l’ivermectine au village, repose sur des liens étroits entre équipe médicale et responsables village

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Mais progressivement les partenariats et les soutiens se multiplient, puis les effectifs s’étoffent. Aujourd’hui le CRFilMT est installé dans ses propres locaux, emploie plus de 30 chercheurs et étend ses compétences à d’autres pathologies. Joseph Kamgno entend d’ailleurs consacrer la prime associée au prix Christophe Mérieux à l’équipement de nouveaux laboratoires dédiés à la biologie moléculaire, l’immunologie, un centre d’essai clinique de phases I et II, une unité de laboratoire P2, etc. 

La mise au point d’un test rapide pour évaluer l’infestation aux microfilaires de loase, facile à réaliser au village, permet d’évincer du traitement de l’onchocercose avec l’ivermectine les sujets à risque d’effets secondaires graves.

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Sur le front de l’onchocercose, il développe avec ses partenaires un test rapide pour sécuriser l’administration du traitement à l’ivermectine en permettant d’évaluer la densité de l’infestation aux microfilaires de la loase. Sur cette base est lancé un important programme, appelé Test & treat, visant à traiter massivement l’onchocercose à l’ivermectine, après avoir testé tout le monde à la loase et soustrait les sujets à risque d’effets secondaires graves. La stratégie se révèle très efficace. Elle est encore améliorée en formant les villageois à faire les tests, les interpréter et administrer le traitement à bon escient. L’élimination de l’onchocercose d’Afrique centrale, son rêve de jeune étudiant, est maintenant à portée de main !

Le prix Christophe-Mérieux


Décerné chaque année depuis 2007 à l'Institut de France, le prix Christophe-Mérieux récompense des chercheurs travaillant sur les maladies infectieuses dans les pays en développement. Distinguant un scientifique ou une équipe, et doté de 500 000 €, il favorise une recherche locale de haut niveau et contribue à enraciner les chercheurs dans leur pays d’origine. Dans de précédentes éditions, ce prix a récompensé des travaux sur le COVID-19, la tuberculose, les maladies infectieuses en Amérique latine et Afrique de l’Ouest et centrale, la fièvre Ebola, sur la dengue, la grippe aviaire et les fièvres tropicales au Cambodge… 


 

 

 

Découvrez le discours de Joseph Kamgno


 

    • Joseph Kamgno, CRFilMT & Faculté de médecine et des sciences biomédicales de l’Université de Yaoundé I

    • Cédric Chesnais, Sébastien Pion, Charlote Boullé, Jacques Gardon, Nathalie Gardon-Wendel, Joël Fokom-Domgue , Joseph Kamgno, Michel Boussinesq, Individual risk of post-ivermectin serious adverse events in subjects infected with Loa loa,  EClinicalMedecine, 28 novembre 2020 ; https://doi.org/10.1016/j.eclinm.2020.100582

      Jérémy T. Campillo, Cédric B. Chesnais, Sébastien D. S. Pion, Jacques Gardon, Joseph Kamgno & Michel Boussinesq, Individuals living in an onchocerciasis focus and treated three-monthly with ivermectin develop fewer new onchocercal nodules than individuals treated annually, Parasites & Vectors, 15 mai 2020 ; https://doi.org/ 10.1186/s13071-020-04126-x
       

    • Olivier Blot