Mis à jour le 08.04.2021
Les pays en développement paient un lourd tribut aux maladies infectieuses. Sous la direction de trois chercheurs de l’UMR MIVEGEC, un ouvrage fait la synthèse des recherches sur cette question. Au cœur de leur analyse, repenser l’interface entre recherche académique et santé publique est aujourd’hui la clef pour mieux répondre aux défis de demain. Entretien avec Benjamin Roche et Frédéric Simard.
Quel lien peut-on faire entre maladies infectieuses et niveau de développement d'un pays ?
Benjamin Roche : Il est bien démontré que les personnes en situation de grande pauvreté sont plus sujettes à certaines maladies infectieuses, du fait de comportement plus à risques ou de facteurs biologiques comme la malnutrition par exemple. Réciproquement, les personnes infectées par certains pathogènes, de par leurs symptômes plus ou moins incapacitants, voient leur productivité économique diminuer. Il existe donc des cercles vicieux entre maladies infectieuses et développement économique. Malgré ces liens, qui appellent à étudier ces deux compartiments simultanément, ils sont en règle générale appréhendés de manière séparée. Cela empêche de créer des stratégies intégratives susceptibles d’améliorer aussi bien la santé que le développement économique des populations.
La clef pour répondre à cet enjeu passe-t-elle par une meilleure articulation entre production de savoirs scientifiques et mise en œuvre des politiques de santé publique ?
B. R. : Aujourd’hui, les stratégies de santé publique sont pilotées par des professionnels du secteur qui ne viennent pas ou très rarement de la recherche académique. Il en résulte une déconnexion assez étonnante entre les savoirs fondamentaux les plus récents et la gestion des épidémies. Dans le même temps, il faut souligner que le monde académique ne fournit pas toujours les efforts nécessaires pour rendre accessibles ces connaissances aux acteurs de la santé publique. Cela provient de sa difficulté à adapter son langage ou à repenser le contexte des études parfois trop éloigné de la réalité. La recherche fondamentale doit se poursuivre, mais il y a, à l’interface avec la santé publique, un déficit flagrant d’études interventionnelles co-construites. Ceci est d’autant plus criant dans les pays du Sud, où la circulation de nombreux pathogènes représente une charge de travail démultipliée pour les personnels de santé qui ne peuvent se tenir au courant des dernières études fondamentales. Il est aujourd’hui essentiel, et possible, de combler ce vide par la mise en place de formations interdisciplinaires dispensées dès le niveau universitaire et tout au long de la vie professionnelle, par exemple. C’est une opportunité unique pour des recherches réellement intégratives et transdisciplinaires. Plus globalement, cette dynamique est l’une des réponses pour relever le défi des Objectifs de développement sur les questions de santé.

Benjamin Roche et Frédéric Simard, deux des trois éditeurs de l'ouvrage sur les maladies infectieuses dans les pays en développement
© D.R.
Au plan scientifique, vous insistez sur la place de l'écologie évolutive comme approche à favoriser désormais. Pourquoi ?
Frédéric Simard : La biologie évolutive qui englobe l’écologie évolutive est une discipline qui remonte à Darwin. Elle est donc relativement jeune par rapport à la médecine ou la santé publique où elle est encore peu enseignée. Mais, depuis une trentaine années, de plus en plus de groupes de recherche travaillent sur l’écologie et l’évolution des maladies infectieuses. Les connaissances acquises demeurent dans les ouvrages de spécialistes. Il est temps de faire sortir ces savoirs du monde académique ! De fait, la biologie évolutive, c’est l’étude de la vie.
Elle replace l’Homme dans son environnement pour mieux comprendre les contraintes auxquelles il est exposé et agir à dessein. Un stress, la peur, ou une inflammation ne sont pas évolutivement faits pour nous freiner. Tous les maux ne sont pas des fléaux ! Et ce n’est pas forcément par un traitement qui tue un microbe que l’on règle un problème. On peut le gérer mieux et parfois même en tirer bénéfice. Cette vision là, nous souhaitons l’implanter dans la santé publique. Cette dernière doit intégrer, au delà des médecins, les acteurs de l’urbanisme, de l’agriculture, etc, pour arriver à créer ensemble des conditions défavorables à la prolifération des pathogènes et à la manifestation des maladies. Résoudre la question du paludisme ne passera pas exclusivement par de nouveaux médicaments ou insecticides mais aussi et surtout par l’amélioration de l’environnement. La schistosomiase (bilharziose), une maladie tropicale négligée, est un bon exemple où l’approche évolutive a porté ses fruits dans un pays comme le Sénégal. Le parasite responsable de cette maladie a pour hôte intermédiaire un petit escargot qui a largement proliféré avec la construction de nombreux barrages. En développant une pisciculture axée sur de voraces crevettes prédatrices, il a été montré qu’il était possible de réduire fortement les populations d’escargots et ainsi de limiter la transmission de cette pathologie. Mieux, cette approche de lutte biologique pourrait conduire à relever le statut économique des populations locales, via les revenus dégagés par le commerce des crevettes.

Ecology and evolution of infectious diseases
© Editeurs : Benjamin Roche, Hélène Broutin et Frédéric Simard. Oxford University Press
Pour en savoir plus :
Ecology and evolution of infectious diseases
Pathogen control and public Health Management in low-Income Countries
Editeurs : Benjamin Roche, Hélène Broutin et Frédéric Simard.
Oxford University Press .