La fonction de devin, importante dans la société des Sèmè, est une affaire de destin scellée dès avant la naissance.

© IRD-Anne Fournier

La divination, une affaire de destin

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Mis à jour le 21.01.2020

Des recherches lèvent le voile sur les pratiques divinatoires chez les Sèmè du Burkina Faso. Elles révèlent notamment les modalités d’accès au statut de devin, les obligations qui l’accompagnent et la place de plantes dans et autour de l’activité de divination dans leur société.

On ne choisit pas de devenir devin chez les Sèmè, un peuple du Burkina Faso, et pas non plus d’épouser ses parents mystiques, comme on est obligé de le faire en pareil cas… En réalité, c’est la conséquence d’une promesse faite par certaines personnes avant même de voir le jour. « L’étude de la divination révèle comment les membres de groupes culturels se pensent en tant que personnes et ancrent leurs vies dans un territoire, explique l’ethnologue et écologue Anne Fournier. Les pratiques divinatoires sont très diverses et propres à chaque société. En Afrique, celles des Sèmè, analysées pour la première foisLes Sèmè se considèrent comme différents, notamment par la langue, des Toussian leurs voisins chez qui quelques études ont déjà été menées.1, illustrent la complexité de leurs croyances. »

 

Liens multiples avec l’invisible

Dans la maison de divination, l’autel du génie femelle est entouré de petits pots remplis d'eau car le génie qui vit sur place doit pouvoir se désaltérer.

© IRD - Anne Fournier

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Majoritaires dans quelques villages du département d’Orodara, dans l’ouest du Burkina Faso, et comptant un peu plus de 20 000 membres, les Sèmè sont des paysans appartenant aux groupes de l’aire voltaïqueEnsemble linguistique, aussi appelé gour, qui couvre le Burkina Faso, le nord du Togo, du Ghana et de Côte d’Ivoire et le sud-est du Mali. Leur religion traditionnelle est restée très vivace et elle est rarement totalement abandonnée par les convertis aux religions importéesSèmè chrétiens et musulmans intègrent plutôt leurs nouvelles croyances à un système de pensée préexistant.1. L’une de leurs croyances est que la terre est peuplée d’êtres invisibles, les génies. Véritables propriétaires du territoire - la brousse - et de ses ressources, ils ont autorisé les humains à s’y implanter dans des villages, et continuent d’interagir très fréquemment avec eux.

De plus, la vie de chaque individu est guidée et protégée par deux génies personnels, qui veillent sur lui dès avant sa naissance, et par diverses autres entités invisibles. Il leur doit en retour des prières et le sacrifice d’animauxL’égorgement rituel d’un poulet, par exemple.1. En cas de souci, d’inquiétude, de mauvais rêves, de malheur, et systématiquement dans tous les moments capitaux de son existence, chacun recourt aux devins pour identifier laquelle de ces entités est impliquée et comment remédier au problème.

Spécialiste au service de la communauté

La maisonnette abritant l’autel du génie femelle dans une cour familiale d’un devin sèmè à Orodara, couverte d’un toit de paille.

© IRD - Anne Fournier

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Le devin est donc un personnage-clé au service de sa communauté. « Loin d’être un mystificateur vénal, c’est un spécialiste dont la mission est de tenter de résoudre les difficultés rencontrées par ses semblables, indique la chercheuse. Il croit profondément à ce qu’il fait, y consacre beaucoup de temps et d’efforts, et ce, en échange de sommes modiques. D’ailleurs ce n’est pas une mission qu’il a choisie. Elle lui a été révélée et imposée. » En effet, quand les Sèmè à naitre passent devant Dieu avant d’être placés dans le ventre de leur mère, accompagnés de leurs deux génies personnels - mâle et femelle –, ils prononcent des paroles qui engagent leur destin. Certains d’entre eux déclarent alors vouloir devenir devin…
Une fois nés, ils n’en savent plus rien. Ce sont alors leurs génies protecteurs qui viennent le leur rappeler, en les accablant de problèmes, les conduisant à consulter un devin qui va leur faire cette révélation…  Commence alors un long parcours rituel, s’étendant sur des années. Le génie femelle, qui va devenir l’assistante du devin, exige d’être installée chez lui.

Épouser ses génies-parents

Deux autels de génies mâles, édifiés à l’extérieur du mur qui entoure cette cour familiale, témoignent que deux devins y habitent.

© IRD - Anne Fournier

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Par ailleurs, chez les Sèmè, tout le monde – humain comme génie – doit accomplir une initiationEnsemble de rites et d’enseignements, propres à chaque groupe ethnique, marquant la progression dans la connaissance de secrets mystiques. Le parcours féminin de l’initiation se confond avec celui du mariage. Dans le cursus initiatique et matrimonial des femmes Sèmè - et des génies femelles -, trois étapes successives contribuent à intégrer de plus en plus complètement l’épouse à la famille de son mari. Les deux premières sont systématiquement à l’initiative et à la charge financière de l’époux. Ce n’est pas toujours le cas de la troisième, qui peut être supportée par un autre homme en signe d’amitié et d’estime pour le couple. On dit alors que cet homme « épouse » ce couple. Un mariage qui exclut toute sexualité entre eux. On peut d’ailleurs « épouser » ses propres parents à l’occasion de la troisième étape de l’initiation de sa mère. Et c’est précisément ainsi, par ce type de mariage, que le devin Sèmè est uni à ses parents mystiques – son génie mâle et son génie femelle. Car pour évoquer le lien entre le devin et ses deux génies, les Sèmè passent par la métaphore d’un mariage mystique : celui unissant le devin à ses deux génies-parents.
« Le décryptage des rituels signant l’installation du génie femelle et cette union métaphorique nécessite l’aide des devins, qui seuls maîtrisent entièrement cette symbolique », indique la scientifique qui poursuit l’analyse des croyances Sèmè, et notamment les relations des femmes avec les génies. L’enjeu scientifique de ces recherches est de recueillir et de mettre en lumière ce patrimoine qui a une valeur à la fois pour les Sèmè eux-mêmes, mais aussi pour la connaissance des sociétés humaines en général.


 


     

    Usage des plantes pendant la séance de divination

    • A propos de la vidéo

      Les Sèmè, un groupe d'agriculteurs du Burkina Faso (Afrique de l'Ouest), pratiquent une méthode de divination très originale. Le devin (toujours masculin) traduit les mots de son génie de brousse à la personne qui le consulte et les lui interprète. Les mots du génie sont matérialisés par la position de 6 cauris sur une pierre noire plate et par les mouvements d'un bâton fourchu qui y est frotté. Plusieurs "fétiches" végétaux aident le devin à discerner la vérité. Les courtes séquences présentées sont extraites de quatre séances de divination menées par quatre devins différents dans la région d'Orodara entre 2012 et 2015.

      Auteure : Anne Fournier

       

      Une vidéo de la base de données audiovisuelles de l'IRD


     

    Ensemble de petits objets d’origine naturelle – et couleurs naturelles, ocre, brun, sombre – posés sur une pierre : du bois, des feuilles, une corne, des coquillages…

    © IRD - Anne Fournier

    Le matériel du devin sèmè, avec la pierre, la corne contenant des cauris, surmonté par la branchette fourchue qui rappelle l’autel du génie.

    Plantes symboliques, objets divinatoires

    L’installation du génie femelle dans l’habitation du devin sèmè – après la révélation de son destin singulier – s’accompagne de l’édification d’un autel en bois, dans une maisonnette de la cour familiale. Celui-ci est souvent constitué de Diospyros mespiliformis – une espèce fréquemment associée aux génies dans cette région d’Afrique-, d’Afzelia africana, de Pericopsis laxiflora ou de Zanthoxylum zanthoxyloides. Ces plantes instaurent un lien symbolique et permanent entre la colline sacrée d’où viennent les deux génies et la maison du devin où ont lieu ses consultations. D’autres plantes encore renvoient à la vie des génies en brousse : la gousse d’Afzelia africana figure la calebasse dans laquelle boivent les génies, la liane parasite Cassytha filiformis est la corde des génies avec laquelle on « capture » le génie, Phaseolus lunatus ou haricot de Lima – une espèce originaire d’Amérique du sud - sert à préparer le repas d’accueil du génie… Des objets en rônier, Borassus akeassii, font référence au culte initiatique principal des Sèmè et aident à « faire sortir la vérité ».
    Le bâton divinatoire en Dichrostachys cinerea, un bois dur, répond par ses mouvements aux questions du devin. Enfin, quand la divination se déroule hors de la maison du devin, une petite branche rappelle l’autel domestique par sa forme fourchue et crée un lien symbolique avec lui, où que se tienne la consultation.