Palmier à ivoire

© IRD / Jean-Christophe Pintaud

La mystérieuse chaleur du palmier à ivoire

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Mis à jour le 03.11.2020

Une équipe de scientifiques équatoriens et français lève un pan du voile sur les mécanismes de production de chaleur des bourgeons du palmier à ivoire. Cette thermogénèse pourrait être expliquée par son lien avec la pollinisation.

Le palmier à ivoire, communément appelé tagua, est une espèce endémique de la région côtière de l’Equateur. Les agriculteurs qui exploitent cette ressource - premier produit d’exportation du pays au 19e siècle - ont remarqué depuis longtemps qu’une partie de sa fleur générait de la chaleur. « Les paysans la sentent dans leurs mains mais ils ignorent comment elle est produite, raconte le biologiste Rommel Montùfar de l’université PUCE de Quito. La littérature scientifique évoque également cette particularité mais sans donner plus de détails. »

Cette capacité à produire de la chaleur, appelée la thermogénèse, est rare chez les plantes. Elle a été étudiée en Europe et en Amérique du Nord chez les fleurs de l’arum dont une large membrane blanche ou colorée enveloppe une longue inflorescence. Les fleurs mâles puis femelles chauffent consécutivement afin d’attirer les insectes pollinisateurs.

Le palmier ivoire génère quant à lui de la chaleur avant la floraison ! Une particularité dont les scientifiques viennent de rendre compte dans une récente publication. En février et juin 2015, Rommel Montùfar, Erika Paez, étudiante à l’université PUCE de Quito, l’écologue Olivier Dangles et Sylvain Pincebourde, spécialiste de l’écologie thermique au CNRS, parcourent la forêt équatorienne à la recherche de ces palmiers.

Photographies (à gauche) et images thermiques (à droite) de bourgeons de palmier à ivoire

© Sylvain Pincebourde

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Durant cinq jours, les mouchards de température posés dans les bourgeons mettent en évidence une température constante de 37°, tant que ceux-ci restent fermés. « Nous n’avons identifié ni les causes ni le mécanisme de cette production de chaleur, explique Olivier Dangles. Toutefois, la thermogénèse pourrait attirer les insectes avant que le bourgeon n’éclose.La fleur se déploie rapidement en 8 à 9 heures et souvent pendant la nuit,  période où les insectes sont peu présents. Ce signalement thermique en amont permettrait une colonisation très rapide par les pollinisateurs. »

Afin de mieux comprendre ce processus, les chercheurs souhaitent comparer les implications écologiques sous-jacentes à la thermogenèse du palmier à ivoire et de l'arum. « Il sera important d’évaluer la façon dont le bourgeon se thermorégule, estime Sylvain Pincebourde. Nous allons positionner des lampes infrarouges à proximité afin de déterminer si la plante va produire plus ou moins de chaleur pour rester à une température relativement constante.»

Si l’arum et le palmier à ivoire sont différents en termes d’écologie, leur thermorégulation est relativement similaire. Fleurs et bourgeons cherchent à atteindre des températures analogues alors que les deux plantes vivent dans des climats radicalement différents. Aborder la thermorégulation à travers cette comparaison permettra de déterminer les facteurs de sélection de la thermogénèse chez les plantes, en particulier en lien avec la pollinisation.

Un enjeu essentiel pour la préservation du palmier à ivoire aujourd'hui menacé par la méconnaissance de son mécanisme de floraison.  Les pieds mâles sont en effet davantage coupés au profit des pieds femelles producteurs de graines qui sont commercialisées sous différentes formes. « Le fait de savoir si la production de chaleur est liée à la pollinisation permettra de développer une stratégie de conservation et d’améliorer les pratiques culturales », conclut Rommel Montùfar.