Mis à jour le 08.07.2021
Les vents, le soleil, la rotation de la Terre, l’attraction de la Lune, les grands phénomènes climatiques contribuent à faire varier les courants océaniques. Mais au-delà de ces facteurs exogènes interviennent aussi des forces intrinsèques, guidées par les lois du chaos, responsables de la variabilité chaotique océanique.
À l’image de son dieu, l’ombrageux Poséidon qui selon la mythologie faillit engloutir l’antique Athènes sous des flots tempétueux, l’océan est un système très complexe et changeant… Si complexe même, que les scientifiques qui s’emploient à comprendre et anticiper les fluctuations de ses mouvements avouent qu’il y a parmi eux une part tout à fait imprévisible ! « Les courants varient dans le temps, explique Sophie Cravatte, océanographe au LEGOS : un courant peut très rapidement changer de sens et d’intensité, ou varier significativement d’une année sur l’autre, ce qui a des conséquences importantes sur le milieu, les écosystèmes, la vie et les activités des populations dépendantes des ressources marines ou vivant sous l’influence des événements océaniques. C’est pourquoi il est important de comprendre et prédire cette variabilité, pour en accompagner les effets. »
Facteurs externes et variabilité forcée

Les courants varient dans le temps et leurs fluctuations impactent l'existence des populations dépendantes des ressources marines ou vivant sous l’influence des événements océaniques.
© IRD - Alain Borgel
Dans cette dynamique qui fait fluctuer les mouvements de l’océan, le rôle de facteurs extérieurs à la masse océanique est aisé à comprendre : « Les vents à la surface de l’océan qui mettent en mouvement les masses d’eaux, le soleil qui chauffe plus à l’équateur qu’aux pôles, les flux d’eau douce associés aux précipitations et aux fleuves, la rotation de la Terre, essentielle, la marée engendrée par la présence de la Lune et du soleil sont autant de forces qui viennent animer et perturber le système océanique », explique Marine Hermann, également océanographe au LEGOS. Ces facteurs exogènes constituent la variable de forçage, que les scientifiques savent bien analyser : intensité des vents, des flux de chaleur et d’eau douce, suivant les conditions atmosphériques, qui varient au gré des saisons et déterminent l’exposition au soleil de l’océan, ou fluctuent en lien avec les phénomènes climatiques de grande échelle … Mais en plus de cette variabilité forcée, il existe une variabilité intrinsèque au système océanique, bien plus difficile à appréhender…
Turbulence à toutes les échelles

La variabilité des courants marins, qui peuvent changer de sens et d’intensité, ou varier significativement d’une année sur l’autre, a des conséquences significatives pour les écosystèmes marins et pour les sociétés vivant des ressources de l’océan.
© IRD - Marc Léopold
« Comme dans tout système fluctuant, il y a dans l’océan des mouvements liés au fait même que dès que ça bouge, de la turbulence se développe à une très petite échelle. De petites différences dans la position et la forme de petits tourbillons vont finalement se répercuter jusqu’à une grande échelle par un transfert d’énergie, indique la spécialiste. Cette composante de la dynamique océanique constitue la variabilité chaotique océanique ou variabilité intrinsèque. » Elle est dite chaotique car elle obéit à la théorie du chaos, c’est à dire qu’une infime différence dans l’état initial peut engendrer des évolutions partiellement différentes, des mois, années ou décennies plus tard. Cette variabilité intrinsèque constitue la composante chaotique de la variabilité totale, sa partie imprévisible ; alors que la variabilité forcée peut être prévue. Des travaux menés dans l’océan Pacifique Sud-Ouest illustrent bien cet aspect déroutant…
La part du chaos
Car pour rajouter de la complexité à la complexité, la part de la variabilité chaotique n’est pas partout la même… « C’est ce que nous avons découvert en nous focalisant sur la partie du Pacifique située entre l’Australie, la Nouvelle-Calédonie et l’Équateur, dans 50 simulations numériquesAlgorithmes reproduisant les interactions propres à un système développées par nos collègues de l'IGEInstitut des géosciences de l'environnement (IRD/CNRS/Université Grenoble-Alpes)1, révèle Sophie Cravatte. Elles représentent le fonctionnement de l’océan global et subissent les mêmes forçages exogènes depuis 1960. Et la façon dont la variabilité chaotique modifie les variations lentes des courants (d’une année sur l’autre) n’y est pas la même partout : sa signature est bien plus importante au sud du 15e parallèle sud qu’entre ce même parallèle et l’Équateur. »

L’immersion d’instruments, ici dans le Pacifique tropical depuis le navire océanographique Alis de l’IRD, permet de mesurer la température, la salinité, les courants, la quantité de CO2 dans l’eau et d’alimenter les modèles numériques de l’océan.
© IRD - Francis Gallois
Pourtant, dans cette région soumise au phénomène climatique El Niño, il paraitrait logique que les modifications des vents et de l’ensoleillement imposent les variations des courants lors de ses épisodes. Or, ce n’est pas le cas et, au contraire, la variabilité chaotique domine, même à ces échelles de temps longues. De ce fait, les prévisions d’une année à l’autre quant aux fluctuations des courants sont moins précises dans cette région où se situe la Nouvelle-Calédonie.
Indice de fiabilité
« Nos recherches avaient aussi montré que la variabilité océanique chaotique est importante dans d’autres régions du monde, complète Marine Hermann. Elle influence par exemple les propriétés des eaux et les écosystèmes au large du Vietnam en été d’une année à l’autre. »
Finalement, la part entre variabilité forcée et variabilité chaotique dans une région de l’océan constitue un indice de la fiabilité des prévisions, comme cela existe en météo. Plus la seconde est importante, moins les prédictions peuvent être fiables.
Pour en savoir plus :
Un article de l'université Toulouse 3 sur la même thématique :
Importance de la variabilité chaotique du niveau de la mer régional à l’échelle de plusieurs années