De nombreux chercheurs français se questionnent sur les émissions de gaz à effet de serre qu’ils génèrent du fait de leur activité.

© IRD - Romain Peli

Labos 1.5 : quand la recherche diminue son empreinte carbone

Mis à jour le 15.09.2022

De plus en plus de chercheurs français interrogent leurs pratiques de travail qui génèreraient une empreinte carbone importante. Plus de 600 d’entre eux se sont réunis dans le collectif Labos 1.5 qui, après avoir mis à disposition un outil de calcul de l’empreinte carbone, souhaite déployer auprès de l’ensemble des unités de recherche française en 2023 des stratégies et des dispositifs pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. À l’IRD, plusieurs unités de recherche expérimentent déjà cette initiative.

Quel est l’impact des pratiques de la recherche française en matière d’émission de gaz à effet de serre (GES) ? Si l’empreinte totale du milieu académique n’a jamais été quantifiée, de nombreux chercheurs s’intéressent depuis plusieurs années de près au sujet et s’interrogent sur leurs façons de travailler. En 2018, Tamara Ben Ari de l’INRAe et Olivier Berné du CNRS, ainsi qu’une cinquantaine de scientifiques, se réunissent pour former le collectif Labos 1.5, avec pour objectif de mesurer leur empreinte carbone dans leur travail et la diminuer. Ils choisissent cette dénomination en référence à la limite de l’accroissement du réchauffement climatique de 1,5°C par rapport au niveau pré-industriel, à ne pas dépasser selon les rapports du GIEC.

Les deuxièmes journées du collectif Labos 1.5 ont réuni 180 personnes en présentiel et 300 en distanciel le 1er juin 2022 à Sorbonne Université.

© Labos 1.5

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Le 19 mars 2019, ils signent une tribune dans le quotidien Le Monde intitulée
« Face à l’urgence climatique, les scientifiques doivent réduire leur impact sur l’environnement » dans laquelle ils invitent les chercheurs français à rejoindre leur initiative. « Cette tribune a servi d’acte de naissance au collectif, explique le biogéochimiste marin à l’IRD Olivier Aumont, impliqué dans le dispositif. Elle a suscité une prise de conscience et l’effervescence d’une partie de la communauté académique française. Des discussions ont émergé par la suite au sein des laboratoires sur ce sujet. »


Phase pilote

Le collectif Labos 1.5 s’est structuré par la suite progressivement autour d’un groupement de recherche (GDR) dont l’objectif est de mesurer l'empreinte de la recherche publique en France en matière d'émission de gaz à effet de serre (GES), puis d’accompagner et de faciliter la réduction de ces émissions de GES au sein des laboratoires. Pour ce faire, une phase pilote est lancée courant 2019 intégrant une vingtaine d’unités de recherche : elles bénéficient d’outils de pilotage, de scénarisation et d’accompagnement à la transition mis à disposition par le collectif. Cette étape a permis de générer des données sur cette expérimentation et la façon dont elle a fait évoluer les comportements et les relations au sein des équipes.

Au sein de l’IRD, plusieurs UMR s’impliquent dans le processus, dont notamment l’unité LOCEAN, où travaille Olivier Aumont. Le scientifique fait aujourd’hui partie du comité de direction du GDR. « Notre unité était déjà mobilisée en amont de la création du collectif, souligne-t-il. Nous avons réalisé un bilan de nos émissions de GES en 2019 et nombre de mes collègues étaient surpris par les résultats, sidérés par l’importance de leurs émissions. » Même dynamique au sein de l’UMR LEMAR où une petite équipe de cinq scientifiques a calculé le bilan carbone de l’unité au début de l’année 2021. S’en est suivie une phase de sensibilisation à l’automne 2021, au cours de laquelle des animations et des jeux sérieux, tel que « Ma terre en 180 minutes » (voir encadré ci-dessous), ont été proposés aux agents. Le bilan des émissions de GES a ensuite été présenté à l’unité au début de l’année 2022 : celles-ci proviennent des déplacements entre le domicile et le lieu de travail, des missions, des campagnes en mer et des bâtiments (chauffage et électricité).

Sensibiliser et expérimenter

 

Le collectif Labos 1.5 met à disposition des laboratoires et des chercheurs des simulateurs d’émission de gaz à effet de serre sur son site.

© Labos 1.5

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Au sein des deux unités, des mesures ont été mises en place pour réduire de 50 % d’ici 2030 ces émissions de GES. Pour l’UMR LOCEAN, interdiction des vols en avion pour des trajets de moins de cinq heures, s’il est possible de les réaliser en train, et mise en place de quotas personnels d’émission de GES, qui seront diminués au fil des ans. « Un doctorant de la fédération de recherche Institut Pierre-Simon Laplace à laquelle appartient notre laboratoire a développé un calculateur individuel permettant de suivre ces quotas et de délivrer des fiches qui permettent d’autoriser les missions, ajoute le chercheur. Ces fiches ne sont émises que si le quota individuel est respecté. »

La mise en place de ce dispositif a cependant rencontré certaines difficultés, notamment au niveau administratif où les quotas n’entrent pas toujours en compte dans l’autorisation de missions. Par ailleurs, peu de missions ont été réalisées en 2021 du fait de la situation sanitaire liée au Covid-19, ce qui n’a pas permis d’établir un premier bilan de ces mesures. Malgré ces contraintes, l’unité continue à s’impliquer pour atteindre les objectifs fixés.

« De notre côté, en avril 2022, lors des « Journées du LEMAR », nous avons organisé des ateliers de réflexion pour que les agents proposent eux-mêmes des solutions pour limiter leur bilan carbone, raconte Marie Bonnin, chercheuse en droit de l’environnement marin au LEMAR, qui mobilise avec ses collègues impliqués dans le processus l’ensemble de l’unité. Cela implique de revoir notre fonctionnement, que ce soit la participation à une conférence à l’autre bout du monde, ou la fréquence et la durée de nos missions sur le terrain. » Ainsi, certaines mesures contraignantes prévoient de privilégier la visio-conférence, d’utiliser le train pour se rendre à Paris et d’effectuer un bilan annuel de GES et le réduire. D’autres sont personnalisées et adaptables selon les possibilités de chacun : utiliser des mobilités douces, organiser des événements zéro déchets ou calculer le bilan carbone d’une mission.

 

© IRD – Marie Bonnin

Des ateliers de réflexion ont été organisés au LEMAR pour élaborer des solutions de réduction des GES.

Après cette phase pilote à laquelle participent aussi les unités IGE, MERIT, MIO, LOPS et LEGOS, le collectif Labos 1.5 souhaite passer à une phase de déploiement à la fin de l’année 2022. L’ensemble des unités de recherche qui le souhaitent pourront ainsi être accompagnées par le collectif. Les premières études du GDR devraient également être publiées à ce moment-là, ce qui permettra de disposer de bases de données sur cette expérimentation et de réaliser un premier bilan des actions du collectif. 

Refaire le monde avec « Ma terre en 180 minutes »

Un outil participatif peut-il aider à changer les pratiques de recherche et limiter leur empreinte carbone ? Nicolas Gratiot, hydrologue à l’IGE, en est convaincu, tout comme les autres co-fondateurs de « Ma terre en 180 minutes ». Dans cet atelier développé en 2020, les participants sont d’abord sensibilisés à leur empreinte carbone personnelle mais aussi celle de leurs activités professionnelles. Ils doivent ensuite jouer un rôle au sein d’une équipe de recherche fictive dont l’objectif est de diminuer ses émissions de GES. « C’est le premier outil en France qui a été créé par et pour le monde académique, explique-t-il. Les participants se plongent dans un écosystème existant pour trouver des solutions : le collectif Labos 1.5 l’utilise d’ailleurs comme un moyen de médiation et d’élaboration de solution dans le groupe de travail Expé1.5. » Plus de 700 personnes ont déjà participé et 200 chercheurs ont été formés pour être animateurs. Un succès appuyé par une demande de projet ANR qui vise à faire de l’atelier un véritable outil programmatique pour les tutelles et leurs personnels. « Nous souhaitons que cet atelier devienne une méthode d’accompagnement des organismes vers des pratiques vertueuses et moins carbonées, souligne Nicolas Gratiot. Ainsi, "Ma Terre en 180 minutes" a été intégré dans le cadre du Contrat d'objectifs, de moyens et de performance 2021-2030 de l’IRD pour son Ambition 3 : renforcer l’attractivité de l’IRD au travers de sa responsabilité sociétale et environnementale (RSE). »  

 

atelier
Les ateliers « Ma terre en 180 minutes » se tiennent régulièrement. Les derniers ont eu lieu à l’Observatoire des sciences de l’Univers de Grenoble (OSUG) à Grenoble le 30 juin 2022. Crédit : OSUG – Pierre Jacquet