Des analyses ADN réalisées en laboratoire permettent d’identifier des espèces à partir d’un échantillon de leur environnement.

© IRD - Quentin Struelens

L’ADN environnemental, traqueur de biodiversité

Mis à jour le 07.07.2022

Avec l’ADN environnemental, les scientifiques peuvent aujourd’hui détecter des espèces peu visibles ou méconnues. Une technique révolutionnaire qui offre de nouvelles façons d’appréhender la biodiversité.

Pister les animaux à la manière de la police… grâce à l’ADN ! Ce n’est pas un scénario de série télévisée mais bien une nouvelle technique scientifique. Car tous les êtres vivants laissent des traces de leur ADN dans l’environnement à travers des lambeaux de peau, de l’urine ou du sang. Un exemple parmi d'autres de l'utilisation de cette technologie ? Laurent Vigliola, écologue à l’IRD en Nouvelle-Calédonie, part en quête de ces fragments en filtrant de l’eau dans l’océan pour débusquer les requins : « Auparavant, pour compter les poissons, nous devions plonger à plusieurs reprises dans un périmètre donné et pendant un temps restreint, explique-t-il. Pendant plusieurs années, nous avons ainsi plongé plus de 3 000 fois et nous avons immergé 400 stations de stéréo-caméras appâtéesDispositif de deux caméras auquel est attaché un appât dont l’odeur attire les animaux dans les eaux de Nouvelle-Calédonie. Pourtant, nous n’avons répertorié que 9 espèces de requins alors que 26 d’entre elles sont observables par les plongeurs et des caméras déployés dans les eaux peu profonde de cet archipel. Avec la méthode de l’ADN environnemental (ADNe), nous avons collecté en quelques jours, entre septembre et novembre 2015, 22 échantillons d’eau à Nouméa, au Grand Lagon Nord, ainsi que dans les atolls de Chesterfield et d’Entrecasteaux dans le Parc naturel de la mer de Corail. Nous avons pu identifier 13 espèces de requins. »

© IRD - Laurent Vigliola

Les scientifiques utilisent des stéréo-caméras appâtées pour pouvoir observer les requins.

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Un code-barres génétique

Comment fonctionne cette technique ? Dans un premier temps, les scientifiques élaborent des bases de données génétiques standardisées : des sortes de bibliothèques numériques dans lesquelles sont enregistrées les séquences d’ADN caractéristiques des spécimens référencés par des taxonomistes.  

Dans un second temps, les chercheurs recueillent dans l’environnement des petits fragments issus de la faune en filtrant de l’eau de mer. Ils extraient ensuite l’ADN des filtres et l’amplifient par PCRTechnique de duplication permettant d’obtenir, à partir d’un échantillon complexe et peu abondant, d’importantes quantités d’un fragment d’ADN (pour Polymerase Chain Reaction, ou « Réaction en chaîne par polymérase »). Des amorces sont utilisées durant cette procédure : ces séquences oligonucléotidiquesPetit segment d'ADN comptant quelques dizaines de nucléotides, les éléments de base de l’ADN définissent, en la bornant, la séquence caractéristique à amplifier, une sorte de code-barres de l’espèce. Il s’agit du barcoding. Elles peuvent lui être spécifiques ou au contraire peuvent être définies de manière à étudier un large spectre d’espèces. Dans ce cas, on parle de metabarcoding

Après cette procédure, chaque échantillon comprend un mélange des codes-barres ADN amplifiés de plusieurs espèces. Ces derniers sont ensuite séquencés pour déterminer l'ordre d'enchaînement des nucléotides pour chaque fragment d’ADN. Cette étape permet alors de relier un code-barres à une espèce par comparaison avec des séquences de référence.

 

L’ADN environnemental permet de mettre en lumière des espèces de poissons qui fuient les activités humaines.

© IRD – Laurent Vigliola

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Mesurer la biodiversité sombre

« L’enjeu est de créer une base de référence contenant les séquences ADN d’un très grand nombre d’espèces, et non pas uniquement les requins, afin de pouvoir mesurer la biodiversité le plus largement possible, continue Laurent Vigliola. Car nous pouvons prélever des échantillons sur des zones très larges et à des profondeurs importantes, à plus de 1 000 mètres par exemple. L’ADNe permet de mettre en lumière une biodiversité sombre, c’est-à-dire des espèces que l’on ne voyait plus mais qui sont néanmoins présentes. C’est le cas par exemple de certains poissons devenus très rares, furtifs ou qui se sont réfugiés dans des eaux plus profondes à cause de la présence humaine. » 

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Qu’en est-il des techniques traditionnelles de mesure de la biodiversité ? Même si elles sont plus coûteuses et parfois invasives – telles que la pêche – elles ne seront pour l’instant pas abandonnées : l’ADNe ne permet pas en effet d’apprécier la taille des animaux. Les écologues marins continueront à immerger des stéréo-caméras appâtées et à plonger pour compléter les données apportées par la génétique. « Aujourd’hui, la question que nous nous posons est : l’ADNe peut-il donner des indices d’abondance ? Nos travaux portent actuellement sur ce sujet. Ils pourront être utilisés ensuite par des scientifiques travaillant dans d'autres domaines de recherche », conclut Laurent Vigliola.

 

Vidéo - L'ADN environnemental, révélateur de biodiversité