Mis à jour le 05.04.2022
Mise à mal par les changements climatiques, la production du café pourrait fondre comme neige au soleil. Pour lutter contre ce fléau, des équipes internationales, dont celle de Valérie Poncet de l’IRD, sont parties en quête de caféiers sauvages de type robusta dans les forêts de l’Ouganda. Ils ont ainsi identifié des profils génétiques jusque-là inconnus et potentiellement résistants à la sécheresse, qui pourraient sauver des milliers de producteurs d’une fin annoncée.
Le café robusta (Coffea canephora) produit en Ouganda représente 7 % de la production mondiale et fait vivre près de 8 millions d’Ougandais, soit presque 19 % de la population. Or « des études sur les changements climatiques indiquent que la production mondiale d’arabica et de robusta pourrait chuter de 50 % », explique Valérie Poncet, chercheuse IRD, spécialiste des impacts environnementaux sur les espèces végétales tropicales, notamment les caféiers, de l’unité Diversité - Adaptation - Développement des plantes (DIADE) à Montpellier. Mais face à ce sombre avenir, un espoir se profile : la découverte de caféiers sauvages potentiellement résilients aux changements climatiques faite par Catherine Kiwuka, chercheuse au National agricultural research organization (NARO) d’Ouganda.
Collection ex-situ de Kituza, avec les caféiers au premier plan
© IRD - Valérie Poncet
Dans le cadre de sa thèse, la chercheuse a analysé les génomes de caféiers sauvages prélevés dans sept forêts ougandaises et celui de variétés cultivées issues de la collection du NARO. « Cinq groupes génétiques distincts ont ainsi été identifiés. Quatre se situent dans le nord-ouest de l'Ouganda, dans les forêts de Zoka, Budongo, Itwara et Kibale, décrit-elle. Le cinquième profil génétique est commun aux caféiers sauvages des forêts de Mabira, Malabigambo et Kalangala, et à ceux cultivés qui sont conservés dans les stations de Kawanda et Kituza, tous situés au centre et au sud du pays. »
Un matériel génétique unique
En outre, la très grande majorité des caféiers du nord-ouest sont uniques et n’existent qu’en Ouganda. En revanche, ceux du sud et du centre sont un « mélange » des types sauvages et cultivés, certains renfermant du matériel génétique similaire à celui retrouvé en République Démocratique du Congo (RDC). « Cela peut s’expliquer par l’importation de caféiers cultivés originaires de la RDC voisine et par la forte présence de plantations juste à côté des forêts », précise Valérie Poncet.
Catherine Kiwuka dans la forêt de Kalangala
© Jan Vos
Catherine Kiwuka a ensuite étudié les conditions climatiques et géographiques dans lesquelles poussent ces différents caféiers. « Nos résultats montrent que la forêt de Zoka est la plus aride. Le matériel génétique unique qu’elle abrite pourrait donc être utile pour la reproduction et le développement de caféiers tolérants à la sécheresse, relate-t-elle. Mais ce n’est pas l’unique intérêt du matériel génétique découvert car il pourrait contenir d’autres caractéristiques importantes pour la filière du café : la qualité à la tasse (c’est-à-dire ses qualités gustatives) , la résistance aux ravageurs et aux maladies. Par exemple, le robusta de la forêt d'Itwara est celui qui pousse à la plus haute altitude connue à ce jour, à environ 1 500 mètres .» Un record mondial potentiellement très intéressant car plus le robusta est cultivé en altitude, meilleur il est. De fait, « même si le robusta est qualifié de moins fin que l’arabica, celui de l’Ouganda qui est cultivé autour de 1 000 mètres d’altitude serait d’une qualité quasi équivalente », souligne Valérie Poncet.
Des forêts à protéger
Suite de la découverte de ces caféiers au vaste potentiel, les équipes impliquées dans le projet ont mené diverses expériences pour étudier tout d’abord leur réponse à la sécheresse.

À la station de Kawanda, les plantes collectées en forêt ont été bouturées et conservées en pot. Valérie Poncet et N. Dorcus, une étudiante, prélèvent des feuilles pour étudier leur matériel génétique.
© IRD /Alexandre de Kochko
Les résultats sont attendus sous peu. Mais le travail ne sera pas terminé pour autant. « Il faudra aussi vérifier les qualités promises par les premières explorations et leur rendement, puis effectuer les sélections adéquates. Autrement dit, il reste au moins dix ans de travaux », souligne Catherine Kiwuka. Or l’enjeu est de taille. « En effet, pour affronter les changements climatiques, les producteurs de café vont avoir besoin de remplacer leurs caféiers actuels par des variétés mieux adaptées », complète Valérie Poncet. Enfin, un deuxième défi doit être relevé : la protection des forêts qui abritent les caféiers sauvages car, comme vient de le montrer cette étude, elles ont un potentiel d’adaptation naturelle à des milieux très contrastés. Elles pourraient donc fournir encore longtemps de nouveaux caféiers.