Mis à jour le 11.05.2022
D’ici 2050, les conditions climatiques des forêts tropicales africaines vont changer et bouleverser l’habitat des espèces les occupant. Une étude révèle que certaines populations sauvages de caféiers robusta, espèce endémique de ces zones et véritable indicatrice pour la forêt tropicale humide, pourrait présenter des difficultés à s’adapter à ces changements et de manière plus accentuée dans les territoires en marge de sa distribution actuelle.
Le dernier rapport du GIEC prédit une hausse des températures moyennes de 3°C en 2100 si l’on suit la trajectoire actuelle. Ce réchauffement aura des impacts sur les écosystèmes et donc sur la biodiversité. Quelle est la vulnérabilité des espèces à ces changements climatiques ? Autrement dit, quelle est leur capacité de réaction ? Une étude menée au sein de l’IRD, en collaboration avec des équipes françaises et internationales, sur la distribution présente et à venir des caféiers robusta sauvages (Coffea canephora) dans les forêts pluviales de basse altitude de l’Afrique tropicale apporte des éléments de réponse. Porteuse du projet, Valérie Poncet est généticienne à l’IRD dans l’unité Diversité - Adaptation - Développement des plantes (DIADE) à Montpellier. Intéressée par les impacts environnementaux sur les espèces végétales tropicales, notamment les caféiers, elle déclare : « Cette espèce à la distribution très large nous sert de témoin sur ce qui peut se passer dans ces forêts tropicales. Le robusta est originaire de cette région – même s’il n’y est pas forcément cultivé. C’est un réservoir sauvage qui permet d’évaluer la vulnérabilité de l’espèce à ces variations qui sont amplifiées sous les tropiques. » De fait, les résultats de l’étude sont inquiétants. Ils indiquent de grandes pertes pour les ressources génétiques de robusta. Et la scientifique d’ajouter : « Et comme C. canephora est un indicateur, cela reflète des bouleversements à venir au niveau de la forêt tropicale africaine dans son ensemble. »
Perte d’habitat favorable…
Pour cette étude, l’équipe s’est appuyée sur un ensemble de données réunies des plus complets sur l’espèce concernant sa présence, sa distribution, ses exigences climatiques… Grâce à ces données, elle a pu évaluer la vulnérabilité écologique, c’est-à-dire l’évolution de la présence de la plante sur les territoires entre aujourd’hui et 2050. « La superficie de l’habitat favorable à C. canephora devrait diminuer de 38 à 52 % d’ici 2050, assène Valérie Poncet. Même si l’espèce n’est pas en danger de disparition immédiat, cela génèrera de grandes pertes pour une grande partie de sa diversité. » Des chiffres presqu’optimistes puisque les calculs réalisés se basent sur de précédents scénarios du GIEC qui estimaient la hausse des températures à +2,7°C en 2100 et à +1,5°C entre 2021 et 2040. Or, le GIEC annonce désormais +3°C. Face à ces changements climatiques rapides, l’espèce est-elle en capacité de s’adapter à ces futures conditions climatiques ? C’est la seconde question à laquelle les scientifiques ont apporté des réponses.

© R.Tournebize et al. Adaptation IRD - Laurent Corsini
Les différentes étapes du calcul des indices de vulnérabilités écologique et génomique.
… et vulnérabilité génomique
« C’est nouveau. En plus de la vulnérabilité écologique, nous nous sommes attachés à étudier la vulnérabilité génomique de C. canephora, c’est-à-dire les variations génétiques nécessaires à l’adaptation de l’espèce dans le futur, en l’occurrence 2050 », annonce Rémi Tournebize, ancien doctorant à l’IRD et actuellement postdoctorant à l’Instituto Gulbenkian de Ciência (Portugal). En d’autres termes, quelles sont les populations de l’espèce qui réagiront au mieux pour s’adapter aux différents changements climatiques. Est-ce que les plantes les mieux « pré-adaptées » sont dans les régions qui seront les plus impactées par les changements climatiques ? Est-ce que les plantes les plus vulnérables sont dans les zones les plus stables ? Pour répondre à ces questions, les scientifiques ont identifié les séquences génétiques potentiellement impliquées dans l’adaptation de la plante aux conditions climatiques qui prévaudront en 2050. « La plus grande vulnérabilité génomique a été observée dans les franges occidentales et orientales de la distribution, dévoile Valérie Poncet. Et la vulnérabilité génomique est 23% plus élevée dans les populations pour lesquelles on prédit une réduction de l’habitat favorable d’ici 2050. »

© R.Tournebize et al. Adaptation IRD - Laurent Corsini
Résumé graphique : perte de l'habitat favorable et index combiné des vulnérabilités écologique et génomique.
Aide à la conservation
« Ces résultats servent d’alerte pour la protection de ces plantes in situ et plus largement pour celle des forêts tropicales. Cela peut également servir à définir des politiques de conservation afin d’identifier les populations à préserver dans des collections ainsi qu’à développer des variétés plus tolérantes pour les cultures », ajoute Rémi Tournebize qui a précédemment co-signé une autre publication portant sur la vulnérabilité génomique de C. canephora. Cette étude portait plus précisément sur l’adaptation aux changements climatiques des espèces présentes dans les forêts en Ouganda, pays dont près de 19 % de la population vit grâce à la production du café robusta.
Le dernier constat de cette étude sur les populations sauvages de C. canephora est qu’aucune corrélation n’a été établie entre la vulnérabilité écologique et la vulnérabilité génomique. « L'approche qui consiste à évaluer l’évolution des habitats favorables pour une espèce n'est donc pas suffisante pour en prédire l'avenir. Il faut tenir compte de sa vulnérabilité génomique, c'est à dire de ses capacités d’adaptation », conclut Valérie Poncet.

Fruits de Coffea heterocalyx
© IRD - Emmanuel Couturon
Découvrir le centre de ressources biologiques (CRB) Coffea qui préserve plus de 700 génotypes de 35 espèces de caféiers au travers d'une cryobanque de semences hébergée par l’IRD à Montpellier et une collection au champ dans le sud de l’île de la Réunion cogérée par l'IRD et le Cirad.