Photo satellite en couleur du delta de l'Amazone

Le delta de l’Amazone, photographié ici depuis le satellite Terra de la NASA, déverse ses eaux douces dans l'Atlantique en formant un panache de 3000 km de long.

© Jeff Schmaltz, MODIS Land Rapid Response Team, NASA GSFC

Le panache de l’Amazone retrouve ses marées

Mis à jour le 08.04.2020

Les scientifiques ont mis au point un nouveau modèle numérique de l’Atlantique tropical, intégrant pour la première fois le rôle significatif des marées sur le panache de l’Amazone. Il va permettre de mieux comprendre les impacts des perturbations hydrologiques amazoniennes sur le fonctionnement océanique et le climat.

Tous les marins le savent, il ne faut pas sous-estimer les effets de la marée ! En s’inspirant de cette ancestrale sagesse des gens de mer, et en s’affranchissant d’ardues complexités mathématiques, des scientifiques ont mis au point un nouveau modèle du panache de l’Amazone… « Notre outil permettra de mieux comprendre l’impact du changement global ou de perturbations anthropiques régionales sur le fonctionnement de l’océan Atlantique et du système climatique », estime Fabien Durand, océanographe-physicien au LEGOS. La décharge du grand fleuve dans l’Atlantique contribue en effet aux équilibres du climat de la planète et aux mécanismes biologiques et physiques dans tout le bassin atlantique.

 

Fleuve géant, l’Amazone draine vers l’Atlantique une immense quantité de nutriments, venue de tout son bassin, qui contribue à fertiliser la vie marine dans la partie tropicale pauvre de l’océan.

© IRD - William Santini

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Langue douce et chaude

À la mesure de son gigantisme, le plus grand fleuve du monde déverse une quantité considérable d’eau douce dans l’Atlantique. Avec un débit de 200 000 m3 par secondeL’équivalent d’un litre toute les 30 secondes pour chaque habitant de la planète !1, il pourvoit à 50 % de l’ensemble des apports fluviaux dans cet océan et forme un panache qui s’étend jusqu’à 3 000 km au large de l’embouchure. Cette longue langue d’eau douce et chaude, arrivant en surface sur le bord ouest du bassin océanique, s’insère dans le « tapis roulant océanique »L’eau chaude plus légère circule en surface vers les hautes latitudes et l’eau froide plus lourde plonge aux hautes latitudes et revient vers les tropiques en suivant le fond.1, le système de courants marins par lequel la chaleur des tropiques est transportée vers les pôles. De même, en réchauffant la surface de l’océan tropical, le panache pourrait participer à l’intensification des cyclones tropicaux en leur fournissant de l’énergieLe panache fournit de la chaleur alimentant le mécanisme atmosphérique du cyclone et l’isole des couches océaniques de subsurface froides susceptibles de leur faire perdre de la puissance.1. Enfin, il fertilise l’ouest de l’Atlantique tropical, une région qui serait particulièrement peu productive sans ces apports nutritifs venus du continent, et il favorise la dispersion des polluants issus du bassin amazonien. Bien que cela soit encore à démontrer, il pourrait ainsi participer à la prolifération saisonnière des sargasses qui viennent envahir les littoraux caribéens depuis plusieurs années. Mais, malgré son importance, ce panache n’était jusqu’à présent pas bien représenté en modélisation numérique. Et de ce fait, son étude, comme celle des perturbations qu’il peut subir, restait incomplète…

Le MN Colibri, navire transportant d’Europe en Guyane les éléments d'Ariane 5, est équipé d’instruments de mesure des conditions océaniques, qui servent notamment à l’étude in situ du panache de l’Amazone.

© Centre Spatial Guyanais du CNES

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Avec vents et marées

« Les modèles numériques du panache de l’Amazone n’intégraient jusqu’ici que la courantologie et l’action des vents », explique le chercheur. Certes, ces forçages sont importants dans la région, où il existe une circulation côtière soutenue vers le nord-ouest, et où soufflent de puissants alizés d’est en ouest. Mais ils ne suffisent pas à représenter la situation in situ, puisque ces modèles suggèrent que le panache se dirige vers le nord-ouest le long des côtes d'Amérique du Sud, alors que l’observation montre en réalité qu’il s'écoule vers le nord dans l'océan du large, puis opère durant une partie de l’année une rétroflexion plein-est en direction des côtes africaines. Manifestement, la composante marée manquait à l’appel pour décrire convenablement les mécanismes océaniques à l’œuvre sur le panache du grand fleuve. « Le flux et le reflux liés à la gravité de la Lune et du Soleil contribuent généralement à brasser les eaux fluviales venues du continent avec celles de l’océan, indique Julien Jouanno, également océanographe-physicien au LEGOS. Dans cette région où les marées sont de forte amplitude en raison de la géographie du bassin, leur influence pouvait être significative et nous nous sommes employés à les intégrer dans un nouveau modèle. » De fait, une fois résolues les complexités numériques à associer les variations à fine échelle temporelle et spatiale des marées – quelques minutes et quelques kilomètres – avec celles plus longues des courants de la circulation générale océanique, des vents et de la variabilité interannuelle de l’océan, le nouveau modèle s’est révélé très performant. Il fournit une représentation numérique conforme aux observations faites par les satellites, les campagnes à la mer et les navires de commerce équipés d’instruments d’enregistrement des conditions océaniques circulant dans la zone.  
« Ce nouveau modèle pourra notamment servir à évaluer l’impact sur l’océan et le climat des changements hydrologiques en cours sur le bassin Amazonien, et en particulier ceux associés aux 400 barrages sur l’Amazone qui sont en cours de construction ou en projet », conclut Fabien Durand.