Poissons, crustacés et mollusques (rapport de taille non respecté) repérés avec les sonars. Mésopélagiques, ils habitent la zone intermédiaire de la colonne d'eau, entre 200 et 1000 mètres.

© CPS/FEMA/Élodie Vourey

Le réchauffement menace la faune marine, la preuve par les sonars

Mis à jour le 06.10.2022

Les risques de déclin que fait peser le réchauffement climatique sur la faune marine étaient jusqu’à ce jour prédits par des simulations de l'écosystème marin. Pour la première fois, une étude corrobore et affine ces projections à l’aide d’outils informatiques mais également des observations de faune marine à l’échelle mondiale.

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Une méthodologie innovante fondée sur le recours aux sonars vient confirmer les projections des précédents travaux sur l’impact du réchauffement climatique sur les océans. L’étude menée par des chercheurs de plusieurs laboratoires affiliés à l’IRD (Marbec, Entropie, Lemar) évalue une diminution de la biomasse de la faune pélagique, c’est-à-dire les animaux de pleine mer, de 3 à 22 % d’ici 2100. Cette tendance n’est pas une surprise pour le monde scientifique. Cependant, la méthodologie de cette étude est une première mondiale : elle valide et affine des résultats antérieurs en s’appuyant sur une masse de données jamais utilisées auparavant. 

Les sonars pour évaluer l’abondance des animaux

Les données acoustiques sont apportées par des sondeurs tels les WBAT, ici mis à l'eau lors de la campagne Warmalis 2.

© Wamarlis2

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« Jusqu’à ce jour, les projections de la diminution de cette composante de la faune marine se fondaient seulement sur des simulations d'écosystème pélagique, indique Alejandro Ariza, premier auteur de l’étude et spécialiste des écosystèmes pélagiques du laboratoire Marbec. Ici, nous avons rassemblé et exploité la plus importante base de données d’observations réalisées à partir de sonars immergés lors d’études régionales précédentes. Avec ces données acoustiques, qui permettent de détecter les animaux, grâce à la différence de la densité de leur corps avec celle de l’eau, nous avons évalué la distribution et l’abondance des animaux dans les colonnes d'eau. Cela n’avait jamais été fait à cette échelle, c’est-à-dire à travers 350 000 km sur l’ensemble des océans, hors cercles polaires ». Cette base recense les animaux situés au milieu de la chaîne alimentaire, d’une taille comprise entre 2 et 20 cm (poissons, crustacés, organismes gélatineux tels les méduses…). Ils étaient les plus mal étudiés en raison de la difficulté à les capturer avec les filets utilisés habituellement pour le plancton et les programmes de recherche halieutique. Ces données d’observation ont permis aux scientifiques de créer un modèle statistique pour projeter la distribution mondiale des animaux, actuelle et future, en fonction des variables climatiques de l'océan.

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Les eaux tropicales les plus touchées


Grâce à ces informations et ces outils, les chercheurs ont utilisé vingt projections du climat établies par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) pour estimer l’évolution de cette faune à l’horizon de 2100.

Migration verticale de la faune marine visible sur échogramme. Le signal acoustique est représenté en fonction de la profondeur (axe vertical) et du temps (axe horizontal). La couleur blanche sous la surface signifie qu'il n'y a pas d'animaux.

© IRD - Alejandro Ariza

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« Cette approche qui combine des observations, un modèle statistique et des modélisations numériques nous a permis de valider les précédentes études en apportant des précisions et des informations nouvelles », relève Arnaud Bertrand, spécialiste de l’écologie marine à Marbec et qui a dirigé l’étude. Et les nouvelles pour ces écosystèmes ne sont toujours pas bonnes. À la fin de ce siècle, la biomasse animale devrait décroître de 3 à 22 %, selon les scénarii, en raison de la réduction des zones les plus productives. Parmi elles, celles des eaux tropicales, les plus favorables au développement de la faune, seraient les plus sévèrement affectées par le réchauffement climatique. « Le pire des scénarii est celui où aucun effort n’est fait pour endiguer le réchauffement climatique. Cela engendrerait une élévation des températures moyennes de 5°C », note Alejandro Ariza.

  • La biomasse animale devrait décroître de

    3 à 22 %

    à la fin de ce siècle

La biomasse animale devrait décroître de

3 à 22 %

à la fin de ce siècle

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La pompe océanique du carbone atteinte


Cette importante diminution de la faune pélagique aurait des conséquences allant bien au-delà des écosystèmes marins. « Outre son rôle dans la structuration des populations via les relations proies-prédateurs, la faune pélagique intermédiaire joue un rôle majeur dans la régulation du climat par transfert actif du carbone », relève Arnaud Bertrand.

Le poisson-vipère, ici échantillonné lors de la campagne Amazomix, migre chaque jour entre la surface et les couches profondes de l’océan. Le jour, il se cache des prédateurs dans les profondeurs ; la nuit il s’alimente près de la surface.

© Amazomix

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Et Alejandro Ariza de préciser : « Beaucoup de ces organismes sont impliqués dans la migration verticale du carbone, appelée aussi pompe océanique du carbone. C’est même la plus grande migration sur Terre. Ces animaux vivent dans les profondeurs. Ils remontent la nuit pour se nourrir du phytoplancton et d’autres organismes qui ont capté du carbone et du dioxyde de carbone (CO2). Le jour, ils redescendent dans les fonds marins et y libèrent le carbone atmosphérique [par leur respiration, leur défécation et le fait qu’ils sont aussi de la nourriture pour d’autres animaux des profondeurs, NDLR]. » Ainsi, le déclin de cette faune réduirait la séquestration du CO2 atmosphérique dans les océans ce qui engendrerait une accélération du réchauffement climatique. Un cercle vicieux se mettrait alors en place, exacerbé par la pollution et l’exploitation de cette biomasse. De plus, cette diminution de la séquestration du CO2 entraînerait celle des espèces consommées par les êtres humains.
Ce scénario pourrait cependant être un peu moins sombre, comme le démontre également cette étude. « Si la hausse des températures globales est contenue à +2°C, l’impact sur la faune pélagique serait inférieur de moins de la moitié », estime Alejandro Ariza. Une information qui vient une nouvelle fois renforcer l’urgence d’agir contre les causes du dérèglement climatique.

    • Déclin global de la faune pélagique dans un océan plus chaud
      Alejandro Ariza, Matthieu Lengaigne, Christophe Menkes, Anne Lebourges-Dhaussy, Aurore Receveur, Thomas Gorgues, Jérémie Habasque, Mariano Gutiérrez, Olivier Maury, and Arnaud Bertrand, Global decline of pelagic fauna in a warmer ocean, Nature Climate Change, 29 septembre 2022, DOI : 10.1038/s41558-022-01479-2
       
    • Les projections d'ensemble mondiales révèlent une amplification trophique du déclin de la biomasse océanique avec le changement climatique
      Heike K. Lotze, Derek P. Tittensor, Andrea Bryndum-Buchholz, Tyler D. Eddy, William W. L. Cheung, Eric D. Galbraith, Manuel Barange, Nicolas Barrier, Daniele Bianchi, Julia L. Blanchard, Laurent Bopp, Matthias Büchner, Catherine M. Bulman, David A. Carozza, Villy Christensen, Marta Coll, John P. Dunne, Elizabeth A. Fulton, Simon Jennings, Miranda C. Jones, Steve Mackinson, Olivier Maury, Susa Niiranen, Ricardo Oliveros-Ramos, Tilla Roy, José A. Fernandes, Jacob Schewe, Yunne-Jai Shin, Tiago A. M. Silva, Jeroen Steenbeek, Charles A. Stock, Philippe Verley, Jan Volkholz, Nicola D. Walker and Boris Worm, Global ensemble projections reveal trophic amplification of ocean biomass declines with climate change, PNAS ,11 juin 2019 ; https://doi.org/10.1073/pnas.1900194116
       
    • Les projections d'ensemble de nouvelle génération révèlent des risques climatiques plus élevés pour les écosystèmes marins
      Derek P. Tittensor, Camilla Novaglio, Cheryl S. Harrison, Ryan F. Heneghan, Nicolas Barrier, Daniele Bianchi, Laurent Bopp, Andrea Bryndum-Buchholz, Gregory L. Britten, Matthias Büchner, William W. L. Cheung, Villy Christensen, Marta Coll, John P. Dunne, Tyler D. Eddy, Jason D. Everett, Jose A. Fernandes-Salvador, Elizabeth A. Fulton, Eric D. Galbraith, Didier Gascuel, Jerome Guiet, Jasmin G. John, Jason S. Link, Heike K. Lotze, Olivier Maury, Kelly Ortega-Cisneros, Juliano Palacios-Abrantes, Colleen M. Petrik, Hubert du Pontavice, Jonathan Rault, Anthony J. Richardson, Lynne Shannon, Yunne-Jai Shin, Jeroen Steenbeek, Charles A. Stock & Julia L. Blanchard, Next-generation ensemble projections reveal higher climate risks for marine ecosystems, Nature Climate Change, 21 octobre 2021 ; https://doi.org/10.1038/s41558-021-01173-9
  • Pascal Nguyên