Mis à jour le 20.05.2022
Les scientifiques éclairent l’impact délétère du changement climatique sur les forêts tropicales humides. Asséchés par un air plus chaud, les arbres meurent plus qu’avant. Et le rôle de puits de carbone atmosphérique joué jusqu’ici par ces écosystèmes pourrait être remis en cause.
Pas facile de suivre la démographie des arbres dans une forêt : ils sont lents à pousser et grandir, prennent des décennies ou des siècles à vieillir, avant de mourir naturellement … Pourtant, les scientifiques sont parvenus à établir que la mortalité des arbres de la forêt tropicale humide d’Australie s’était considérablement accrue depuis le milieu des années 1980. Pour découvrir cela, les spécialistes ont utilisé un outil unique : des sites forestiers et leurs arbres suivis depuis 50 ans, répartis dans le nord-est de l’île-continent.

L’augmentation du pouvoir asséchant de l’air, qui accompagne la montée de la température, soumet les arbres à un stress hydrique parfois fatal.
© Alexander Schenki
« Nous observons année après année le destin individuel de plus de 8300 arbres, appartenant à 81 espèces différentes, répartis sur 24 parcelles, dans une région abritant l’une des plus anciennes forêts tropicales humide au monde, indique David Bauman, biologiste-écologue, spécialiste de la forêt, post-doctorant à AMAP. Et le constat est sans appel, la mortalité moyenne des arbres a doublé durant les dernières décennies tandis que la longévité moyenne diminuait de moitié. »
Assèchement de l’air
La surmortalité des arbres s’observe à l’échelle de la forêt, mais aussi à celle des espèces, puisque 70 % d’entre elles sont affectées à des degrés divers.

Le suivi de la dynamique d’une forêt, dont les arbres sont lents à pousser et mettent longtemps à mourir, impose de suivre des parcelles boisées sur le très long terme.
© Alexander Schenki
Le phénomène est directement corrélé à l’augmentation locale de la température et d’un autre facteur déterminant pour le fonctionnement des plantes, le déficit de pression de vapeur (Vapor pressure deficit en anglais). Celui-ci correspond à la différence entre la quantité d’eau présente dans l’atmosphère et celle qu’il pourrait contenir à saturation (100 % d’humidité). Lorsqu’il est trop élevé, il augmente le pouvoir asséchant de l’air. Et les végétaux sont très sensibles à ce forçage, bien plus qu’à d’autres facteurs associés au réchauffement climatique comme les épisodes de sécheresse ou l’élévation des concentrations de dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique. Soumis à une évapotranspiration intense, ils succombent à un stress hydrique excessif.
Vulnérabilité en haut des niches
« Nous avons cherché à comprendre pourquoi certaines espèces succombent plus que d’autres - ou à l’inverse résistent mieux –, indique le spécialiste. L’idée est de voir si elles partagent des caractéristiques communes permettant de dégager un mécanisme global et ainsi pouvoir prédire quelles essences sont plus exposées aux effets du changement climatique. »

70 % des espèces composant la forêt tropicale humide australienne sont affectées par la surmortalité des arbres en lien avec le réchauffement du climat.
© Alexander Schenki
Pour cela, les scientifiques ont examiné les traits fonctionnels, les caractéristiques morphologiques, anatomiques, chimiques et physiologiques, comme la capacité maximale de photosynthèse, la densité du bois, la surface des feuilles ou la teneur de feuilles en azote… « Mais nous n’avons pas détecté le moindre lien que pourraient partager les arbres affectés, reconnait-il. En revanche, nous avons découvert que le risque de mortalité moyen des espèces variait en fonction du lieu où elles se trouvaient par rapport à leur aire naturelle de répartition : plus les individus approchent la limite supérieure de conditions de sécheresse atmosphérique de leur espèce, plus leur mortalité est élevée. » Et avec l’augmentation du pouvoir asséchant de l’air associée au réchauffement, les arbres menacés risquent d’être de plus en plus nombreux …
Budget carbone compromis
L’augmentation de la mortalité des arbres tropicaux pourrait avoir des conséquences sur le cycle du carbone atmosphérique. L’une des activités des forêts, et tout particulièrement des forêts tropicales humides qui sont très productives, est de faire de la photosynthèse et, ce faisant, d’absorber du dioxyde de carbone et de le stocker sur du long terme dans des tissus qui vivent longtemps comme les troncs et les racines…

Les forêts tropicales humides piègent actuellement 12 % du dioxyde de carbone lié à l’activité anthropique.
© Alexander Schenki
Elles piègent ainsi environ 12 % des émissions de dioxyde de carbone d'origine anthropique. « Mais un doublement durable de la mortalité pourrait impliquer que le carbone stocké dans les arbres retourne deux fois plus vite dans l'atmosphère », estime le chercheur. La décomposition des bois morts, par les microorganismes fongiques et bactériens, est en effet très émettrice de CO2, et seule une partie minoritaire de la biomasse intègre l’humus.
« Pour y voir clair et, comprendre si les forêts vont devenir des sources de carbone atmosphérique après avoir été des puits qui l’absorbait, nous allons explorer ce qui se passe dans les autres régions tropicales du monde, étudier les dynamiques de croissance et de mortalité des arbres en Afrique, Amérique et Asie », conclut David Bauman.

© Alexander Schenki
Le nord-est de l’Australie abrite une des plus anciennes forêts tropicales humides au monde.