Mis à jour le 01.02.2022
Les scientifiques explorent la variabilité des teneurs en mercure du thon dans le Pacifique. Ils montrent que ces teneurs dépendent à la fois de phénomènes naturels, liés au fonctionnement biogéochimique de l’océan, et de sources anthropiques.

Carnassiers, situés dans les échelons supérieurs de la chaîne trophique, les thons accumulent le methylmercure consommé par leurs proies.
© IRD / Ifremer
En sushi, à la catalane, à l’escabèche, le thon est un poisson très apprécié des gourmets. Mais il est aussi bien utile aux scientifiques. « Ce prédateur permet d’explorer les variations spatiales d’accumulation du méthylmercure dans les réseaux trophiques marins, explique Anaïs Médieu, doctorante au LEMAR. Pour comprendre les processus à l’œuvre dans le Pacifique, nous avons mesuré et cartographié le mercure dans le thon listaoAussi appelée bonite à ventre rayé, c’est l’espèce de thon la plus pêchée.1 (Katsuwonus pelamis) provenant de six régions différentes de cet océanDans le cadre du programme ANR MERTOX1 ».
Du mercure au méthylmercure dans la chaine alimentaire

L'érosion éolienne et les éruptions volcanicique, comme celle-ci en Indonésie, constituent des sources naturelles de mercure.
© IRD - Jean-Luc Le Pennec
Le mercure est un métal naturellement présent dans l’environnement. Il est émis dans l’atmosphère par des sources naturelles, comme les éruptions volcaniques ou l’érosion éolienne, mais aussi par des émissions anthropiques qui sont aujourd’hui majoritaires, liées notamment à l’usage de combustibles fossiles pour la production d’électricité. Porté par la circulation atmosphérique ou drainé par les fleuves, le mercure gagne le milieu océanique où une fraction est transformée en méthylmercure, notamment sous l’action de bactéries. Cette forme organométallique, très encline à se fixer sur les protéines du vivant, est beaucoup plus toxique que la forme minérale. Sa concentration augmente au gré des échelons de la chaine trophique et de l’âge des organismes exposés. De fait, les prédateurs supérieurs comme les thons et particulièrement s’ils sont de grande taille – signe de leur âge –, accumulent une quantité importante de méthylmercure et témoignent potentiellement de sa concentration dans l’eau. L’étude de ces carnassiers abondamment pêchés peut ainsi mettre en lumière les variations de biodisponibilité du méthylmercure dans l’environnement marin.
Concentrations variées selon les régions

Pêché de façon industrielle et artisanale dans tout l'océan Pacifique, le thon est un marqueur pratique du mercure dans les différentes zones du bassin.
© IRD - Thibaud Vergoz
« Nous avons analysé plus de 600 échantillons provenant de pêcheries dans tout le Pacifique grâce à de nombreuses collaborationsAvec la Communauté du Pacifique (CPS), la Commission interaméricaine du thon tropical (IATTC), l’Université de Tokyo et l’Université de Windsor1, raconte Anne Lorrain, écologue des milieux marins au LEMAR. Nous avons alors appliqué des modèles mathématiques pour harmoniser la taille et le niveau trophiqPosition occupée par un organisme dans la chaine alimentaire à laquelle il appartientue des thons, qui influencent fortement les concentrations en méthylmercure, afin d’obtenir des données que l’on puisse comparer entre régions ». Ce faisant, les scientifiques révèlent que les concentrations sont 1,5 à 2 fois plus élevées dans le nord-ouest Pacifique que dans les régions du centre, du nord et de l’est, et 4 à 5 fois plus élevées que dans les régions du sud, de l'ouest et du centre-ouest. Les thons sont donc sensiblement plus chargés en méthylmercure – sans pour autant dépasser les seuils recommandés par les autorités sanitaires – dans le nord-ouest et l’est du Pacifique.
Dégradation de la matière organique et émissions anthropiques

Distribution spatiale des concentrations en mercure (mg/kg, poids sec) dans le listao, pour une taille standard de 60 cm. Les points noirs indiquent la position de capture des thons analysés.
© IRD - Anaïs Médieu
« Nos travaux de modélisation suggèrent également que des facteurs biogéochimiques associés au fonctionnement naturel des océans, tels que des conditions pauvres en oxygène et des processus bactériens peu profonds qui dégradent la matière organique, pourraient faciliter la biodisponibilité du méthylmercure à la base des réseaux alimentaires marins », indique David Point, chimiste de l’environnement au GET. Ces conditions particulières, présentes au nord-ouest et qui sont très étendues à l’est du Pacifique expliquent les concentrations de méthylmercure plus élevées dans les thons de ces régions.

Le thon listao est la première espèce de thonidé et la troisème espèce de poisson la plus pêchée.
© David Itano
Mais l’exception de la zone nord-ouest Pacifique, où les concentrations sont les plus élevées, trouve aussi son explication dans la proximité aux sources d’émissions anthropiques: elle pourrait résulter des apports en mercure dans l’atmosphère associés à l’usage intensif des combustibles fossiles dans les centrales asiatiques pour la production d’électricité, venant s’ajouter aux facteurs biogéochimiques naturels favorables à la biodisponibilité du méthylmercure dans les réseaux trophiques.
« L’objectif est maintenant d’éclaircir l’éventuel impact du changement climatique sur les processus naturels de transformation du mercure en méthylmercure dans les océans », conclut David Point.