Une équipe médicale réalise des examens de la THA dans un foyer de la maladie du sommeil.

© IRD - Bruno Bucheton

Le trypano dans la peau

Mis à jour le 27.08.2020

Le trypanosome, parasite responsable de la maladie du sommeil et transmis par la mouche tsé-tsé, est parfois indétectable chez certains individus. Une nouvelle étude menée en République de Guinée auprès de malades et de porteurs sains montre qu’il pourrait se cacher dans la peau. Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles possibilités de diagnostic et d’élimination de la maladie. 

En Afrique subsaharienne, la trypanosomiase humaine africaine (THA), plus communément appelée maladie du sommeil, est en nette régression depuis des années : seul un millier de cas a été recensé en 2019 dans la région. Pourtant, des poches de maladie subsistent. En cause, l’impossibilité de détecter de manière sûre le parasite responsable de la pathologie, le trypanosome. Le diagnostic est réalisé en effet en deux étapes : un dépistage sérologiqueRecherche d’anticorps dirigés contre un pathogène., puis la détection de parasites vivants dans le sang, dans les ganglions ou le liquide céphalo-rachidien. Chez certaines personnes, cette deuxième étape n’aboutit pas : les parasites ne sont pas détectés.  Ils pourraient se cacher ailleurs… c’est-à-dire, dans la peau. 
 

Des porteurs sains non soignés

Les biopsies sont réalisées au niveau du dos, là où les patients se plaignent le plus de démangeaisons.

© IRD - Jean-Mathieu Bart

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« Nous avions constaté depuis plusieurs années que 90 % des malades et des suspects présentaient des symptômes cutanés comme des pruritsSensation de démangeaison de la peau , précise Mariame Camara, médecin, responsable de la prise en charge des malades au sein du Programme national de lutte contre la trypanosomose humaine africaine de Guinée. Nous avons donc lancé le programme de recherche TrypaDerm, en lien avec l’IRD et l’Institut Pasteur, avec pour objectif de rechercher la présence de trypanosomes cutanés. Nous avons ainsi réalisé des biopsies lors de prospections médicales dans des villages en Guinée : le parasite était effectivement présent dans la peau chez tous les cas confirmés mais aussi chez les individus seulement séropositifs. »

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Cette information est essentielle : ces porteurs sains – ou du moins avec seulement des manifestations cutanées – constituent un réservoir de la maladie. En effet, comme ils ne présentent pas de symptômes neurologiques, ils ne se font pas soigner. En les piquant, et en prélevant au passage le parasite qu’ils hébergent, la mouche tsé-tsé continue à propager la trypanosomiase autour d’eux. Mieux connaître la maladie à travers ces symptômes cutanés offre ainsi de nouvelles possibilités de diagnostic et donc d’élimination définitive de la maladie.

De nouveaux traitements simplifiés

Pour autant, le traitement des personnes asymptomatiques et la généralisation des biopsies cutanées ne sont pas pour l’instant à l’ordre du jour. En effet, les traitements actuels sont lourds, toxiques et nécessitent une hospitalisation d’une dizaine de jours dans des centres de traitement spécialisés souvent éloignés de l’habitation des malades. C’est la raison pour laquelle l’OMS recommande actuellement que seuls les individus dont le statut sérologique et parasitologique est confirmé soient soignés.
 

© IRD - Patrick Landmann, Vectopôle

Les mouches tsé-tsé ou glossines sont un genre de mouches hématophages africaines vectrices de trypanosomiases humaines.

Chercheurs et médecins préfèrent s’appuyer en parallèle sur de nouveaux traitements, moins pénibles et qui pourraient être administrés à tous les individus suspectés d’être touchés, tel le fexinidazole. Homologuée en 2019, cette molécule prise oralement pendant dix jours conduit à la formation de deux métabolites actifsComposé stable, issu de la transformation biochimique d'une molécule initiale, par le métabolisme, le fexinidazole sulfoxyde et le fexinidazole sulfone, qui détruisent les parasites. Se diffusant jusqu’au cerveau, le médicament traite ainsi la THA sur ses phases précoce et avancée, c’est-à-dire avant et après que les parasites envahissent le système nerveux central. 

« Un autre traitement actuellement à l’étude, l’acoziborole, s’administre en une seule prise par voie orale, explique Bruno Bucheton, parasitologue à l’IRD. Si les recherches en cours confirment l’absence d’effets secondaires importants, un individu présentant des symptômes dermatologiques pourrait en bénéficier directement, sans attendre la réalisation des tests parasitologiques. Ces derniers nécessitent en effet une expertise et du matériel spécifique généralement peu disponibles dans les centres de santé ruraux. Dans ce cas, le schéma de diagnostic et de soins serait amplement simplifié, permettant une meilleure intégration du diagnostic et de la prise en charge des personnes infectées par le système de santé périphérique
 

  • Bruno Bucheton, UMR INTERTRYP (IRD, CIRAD)
    Mariame Camara, PNLTHA (Programme national de lutte contre la THA)
    Brice Rotureau, Institut Pasteur 
     

  • Trypanosomes dermiques extravasculaires dans des cas suspectés et confirmés de la trypanosomiase humaine africaine causée par letrypanosoma brucei gambiense.

    Mariame Camara, Alseny M’mah Soumah,  Hamidou Ilbouldo,  Christelle Travaillé, Caroline Clucas,  Anneli Cooper,  Nono-Raymond Kuispond Swar,  Oumou Camara, Ibrahim Sadissou,  Estefania Calvo Alvarez,  Aline Crouzols,  Jean-Mathieu Bart, Vincent Jamonneau,  Mamadou Camara,  Annette MacLeod,  Bruno Bucheton, Brice Rotureau. Extravascular dermal trypanosomes in suspected and confirmed cases of gambiense Human African Trypanosomiasis, Clinical Infectious Disease, 8 juillet 2020.

  • Carole Filiu Mouhali