Mis à jour le 09.06.2020
Impliquer les citoyens et constituer de nouvelles bases de données : tel est l’enjeu des recherches participatives fréquemment mises en œuvre dans les pays développés mais peu courantes dans les pays du Sud. En Argentine, un consortium de scientifiques et d’acteurs publics a invité des apiculteurs à rendre compte de la santé de leurs abeilles. Ce programme, associant sondages en ligne et rencontres sur le terrain, pourrait servir de modèle à de futurs projets participatifs dans les pays en développement.
Comment appréhender au mieux le risque de mortalité des colonies d'abeilles ? En collectant l’information auprès des premiers concernés… les apiculteurs. En Argentine, les données sur le suivi des pollinisateurs sont lacunaires. Pour étudier un possible déclin de ces insectes dans le pays, Fabrice Requier, en stage postdoctoral au Centre national de la recherche argentin (Conicet) en 2017 et aujourd’hui écologue dans l'UMR Évolution, Génomes, Comportement, Écologie (EGCE), décide de mettre en place un programme de science participative.
Contraintes logistiques
« Avec des associations d’apiculteurs, des agences gouvernementales et des chercheurs argentins, nous avons créé un consortium de coordinateurs locaux – the National Beekeeping Consortium – dont l’objectif est de représenter les intérêts des apiculteurs argentins, explique-t-il. Son envergure nationale a permis de bénéficier d’un large réseau d’apiculteurs au sein duquel nous avons diffusé notre enquête standardisée sur les pertes de colonies d'abeilles mellifères (Apis mellifera). Nous avons mis en place deux stratégies de recrutement complémentaires. D’une part, nous avons envoyé des mails aux apiculteurs du réseau pour qu’ils remplissent des questionnaires en ligne. Questionnaires qui ont également été diffusés à travers des médias universitaires ou spécialisés dans l’apiculture. Et par ailleurs, nous avons conduit des entretiens traditionnels en face-à-face pour remédier à l’accès limité à Internet de certains apiculteurs. »
Au final, 104 d’entre eux ont répondu à la sollicitation des scientifiques, soit une participation de seulement 8,7 % du réseau national. Un taux relativement faible en comparaison avec des enquêtes similaires menées aux États-Unis ou en Europe. Mais une participation équivalente à celles relevées dans d’autres pays du Sud comme l’Afrique du Sud, la Chine ou l’Uruguay. En cause ? Un intérêt plus faible des citoyens de pays en développement pour ce type d’enquête du fait d’un manque de ressources ou de temps. Mais aussi, des contraintes logistiques importantes liées à des infrastructures médiocres, notamment des connexions à Internet déficientes.
Le biais d’internet
Dans cette enquête, les réponses provenaient de manière équitable des sondages en ligne et des entretiens face-à-face. « Ces deux stratégies de recrutement atteignent des profils de contributeurs et des espaces géographiques différents. Les questionnaires en ligne permettent d’obtenir des données plus largement étalées à l’échelle nationale mais tendent à surestimer les taux de pertes de colonies, ajoute Fabrice Requier. En effet, les apiculteurs qui ont subi des surmortalités peuvent être davantage motivés à répondre aux enquêtes sur ce risque. Et sont alors plus enclin à rechercher sur Internet de tels programmes de science participative. » Pour remédier à ce biais d’Internet, il est donc préférable de combiner l’utilisation des deux stratégies de recrutement, en ligne et en face-à-face.
De l’Argentine à l’Amérique latine
Après une première enquête nationale, Fabrice Requier et ses collaborateurs ont étendu en 2018 le programme à l’Amérique latine, en élargissant le consortium à l’international. Cette expansion a bénéficié de la création de Solatina, une plateforme de recherche dédiée à la santé des abeilles dans la région. Les questionnaires et les protocoles, identiques au programme argentin, ont été distribués dans 13 pays. Plus de 1 000 apiculteurs ont participé en 2018, puis en 2019, à cette enquête latino-américaine. Malgré des difficultés de participation persistantes, le nombre d’apiculteurs impliqués dans l’enquête en Argentine s’est accru au fil des ans. « En 2018, nous avons obtenu 130 réponses à nos questionnaires argentins, puis, en 2019, 150, poursuit le chercheur. Cette augmentation résulte d’un travail important de restitution des résultats et d’échanges avec les participants, une étape cruciale pour pérenniser un programme de science participative. Dans l’ensemble, ces résultats nous confortent dans l’idée que ce type de projet, combinant un consortium et deux méthodes de recrutement – en ligne et sur le terrain – peut constituer un exemple pour de futurs travaux de recherche participative dans les pays en développement.»