Mis à jour le 18.08.2022
Selon une récente étude impliquant l’IRD, les éponges de mer tropicales pourraient résister aux effets de l’acidification des océans et devenir prédominantes dans les récifs coralliens, au détriment des coraux. Les scientifiques émettent également une intéressante hypothèse pour expliquer cette surprenante résistance.
Le gaz carbonique, intensément émis par les activités humaines, ne contribue pas qu’au réchauffement climatique… En se dissolvant dans les océans, il augmente progressivement l’acidité de l’eau.
Plusieurs études ont montré que cette acidification des océans pourrait gravement nuire à certains organismes marins, notamment aux coraux, qui risquent de disparaître totalement. Mais quid des impacts sur les éponges de mer ? Ces invertébrés marins ancestraux qui filtrent l’eau et transforment la matière organique en suspension dans l’eau en composés consommables par d’autres organismes, sont indispensables au bon fonctionnement des récifs coralliens. Pour le savoir, une équipe internationale de biologistes, dont Riccardo Rodolfo-Metalpa du laboratoire d’écologie marine tropicale des océans Pacifique et Indien (ENTROPIE) en Nouvelle-Calédonie, s’est intéressée à des éponges vivant dans un site sous-marin exceptionnel de la baie de Tutum, en Papouasie-Nouvelle-GuinéeExploré depuis 2016 dans le cadre du projet CARiOCA (Acclimatation des coraux à l’acidification des océans autour de résurgences sous-marines de CO2) de l’IRD, financé entre 2016 et 2019 par l'Agence nationale de la recherche.1.
Laboratoire naturel
« Situé entre cinq et six mètres de profondeur dans une zone volcanique active, le site est caractérisé par la présence de résurgences sous-marines, des sortes de jacuzzi naturels qui expulsent des eaux chaudes chargées de dioxyde de carbone (CO2). De ce fait, le taux d’acidité de l’eau y atteint des valeurs élevées, proches de celles attendues pour la fin du siècle sur l’ensemble des océans. C’est donc un véritable laboratoire à ciel ouvert qui permet l’étude des effets de l’acidification des océans dans un milieu naturel », explique le chercheur.

© Thomas Shlessinger
Localisé dans une zone volcanique active, le site d’étude des spongiaires présente une acidité de l’eau - associée à des geysers d’eau chaude chargée en CO2 - proche des conditions que pourrait engendrer le changement climatique à l’échelle globale.
Les scientifiques se sont focalisés sur une espèce particulière d’éponge, Lamellodysidea herbacea, très répandue dans l’Indopacifique. Elle présente la particularité de produire sa propre matière organique à partir de minéraux, de CO2 et de la lumière du soleil par photosynthèse. De plus, elle abrite des cyanobactériesbactéries photosynthétiques comptant plus de 7500 espèces., qui vivent en symbioseAssociation biologique durable entre deux organismes vivants, réciproquement profitable aux deux. avec elle, et sont également douées d’une capacité de photosynthèse.

Les scientifiques utilisent des cloches en plexiglas pour mesurer l'activité métabolique des éponges dans les conditions d’acidité élevée propres aux résurgences de CO2 de l'île de Ambitle.
© IRD - Jean-Michel Boré
Lors d’une mission réalisée en septembre 2019 à bord du navire océanographique Alis de la Flotte océanographique française, les biologistes ont évalué l’abondance des éponges vivantes au niveau du site de résurgences sous-marines, et d’un autre emplacement témoin exempt de telles résurgences.
Acidité profitable
Premier résultat important : l’examen des données récoltées a révélé que L. herbacea est trois fois plus abondante au niveau des résurgences de CO2 que dans le site contrôle. « Cela suggère que les éponges sont susceptibles de tolérer, voire même de profiter de l’acidification des océans, explique Riccardo Rodolfo-Metalpa. D’ailleurs, les éponges sont désormais considérées comme de possibles futures "gagnantes" de l’acidification des océans, à qui ce phénomène pourrait profiter plutôt que nuire, en favorisant leur croissance au détriment d’autres organismes, comme les coraux. »
Le résultat vraiment novateur de cette étude vient surtout des différentes expériences réalisées sur les fragments de L. herbacea recueillis. « Nous avons notamment analysé l'efficacité photosynthétique des éponges et des cyanobactéries qu’elles hébergent, et la composition de la communauté microbienne formée par ces dernières », précise Riccardo Rodolfo-Metalpa.

Pour étudier l’impact de l’acidification de la mer sur différentes espèces de coraux, des échantillons sont transplantés sur le site aux eaux acides des résurgences de CO2 de l'île de Ambitle.
© IRD - Jean-Michel Boré
Microbiome plus diversifié
« Et nos données suggèrent que si à l’avenir, les éponges résistent à l’acidification des océans, ce ne sera pas lié à une augmentation de leur capacité de photosynthèse associée à une grande quantité de CO2 dans l’océan, comme le pensaient beaucoup de chercheurs jusqu’ici, estime le spécialiste. Cela tiendra plus probablement à un microbiome plus important et plus diversifié, qui pourrait leur donner un avantage métabolique – non encore défini – pour faire face à un niveau d’acidité plus important », explique le chercheur.
Mais, prévient-il, « le fait que le microbiome puisse aider les éponges à résister à l'acidification des océans ne doit pas faire oublier que la meilleure solution reste de réduire nos émissions de CO2 ».
À noter : deux autres études publiées cette année, menées sur le même site ont permis d’en savoir plus sur les effets de l’acidification des océans sur deux autres organismes susceptibles d’être fortement impactés par l’acidification, les coraux et les poissons.