Une équipe de chercheurs de DIAL et du Centre for Analysis and Forecasting reconstitue de façon participative les réseaux des entrepreneurs lors d'une enquête sur l'usage des réseaux sociaux dans le secteur informel.

© IRD - François Carlet-Soulages

Les sciences participatives, une démarche incontournable

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Le sujet

Recherche interventionnelle, recherche-action, science citoyenne ou boutique des sciences… Les sciences participatives répondent à plusieurs noms, reflets des différents niveaux d’implication des citoyens et des chercheurs. Mais elles ont un objectif commun : aider à une application concrète de la science à travers la participation des citoyens. Trois chercheurs témoignent de leurs expériences, de l’intérêt et des difficultés d’une telle démarche.

Les intervenants

  • Emmanuel Bonnet est géographe à l'UMI Résiliences

    © IRD - Emmanuel Bonnet

    '' La recherche-action est un moyen efficace pour que la science soit profitable à la société ''

    Emmanuel Bonnet

    Géographe à l’UMI Résiliences

  • Annabel Desgrées du Loû est démographe au Centre Population et Développement

    © IRD - Annabel Desgrées du Loû

    '' Changer nos habitudes de chercheurs pour inventer des interventions innovantes avec les acteurs de terrain ''

    Annabel Desgrées du Loû

    Démographe au Centre Population et Développement

  • Diéyi Diouf, créatrice de la Boutique des Sciences de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)

    © Diéyi Diouf

    '' L’absence de collaboration entre chercheurs et citoyens fait échouer de nombreux projets de développement ''

    Diéyi Diouf

    cheffe du Département du 2nd cycle et de la formation à distance à l’École de Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes (EBAD) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)

La réponse de Emmanuel Bonnet

Mon dernier projet de recherche portait sur les accidents de la route et leur impact sur la santé au Bénin. J’ai donc travaillé en étroite relation avec ceux qui interviennent en premier sur ce terrain : les forces de la police républicaine. Pour rendre-compte d’un accident, les policiers remplissaient auparavant un procès-verbal sur papier. La nature même de ce support rendait ces documents inutilisables pour établir des statistiques fiables. Aussi, l’archivage n’était pas correctement réalisé.

L’État, mais également les chercheurs, ne pouvaient pas les utiliser pour rendre compte du fardeau des accidents sur la santé et proposer des solutions pour le réduire, un des enjeux de l’ODD 3Cible 6 : d’ici à 2020, diminuer de moitié à l’échelle mondiale le nombre de décès et de blessures dus à des accidents de la route. Nous avons ainsi élaboré avec les chercheurs locaux et les institutions concernéesInstitut Régional de Santé Publique de Ouidah, Organisation du Corridor Abidjan Lagos, Centre National de la Sécurité Routière un projet de recherche-action comme nous l’avions déjà fait en 2015 avec les policiers burkinabè(1). Les membres des forces républicaines du Bénin de la ville de Cotonou ont été dotés d’un smartphone avec lequel ils établissent des procès-verbaux numériques. Les données qui en découlent servent à l’élaboration d’une carte des accidents de la route. Nous espérons que comme au Burkina Faso en 2015, la police pourra renforcer ses équipes sur les zones accidentogènes. La précédente étude réalisée à Ouagadougou et les statistiques produites(2) ont mis aussi en lumière la nécessité de réaménager l’espace public en fonction des nouveaux usages de la route, avec, entre autres, la multiplication des deux roues. En termes de santé, la collecte des données débutera en juin dans différents hôpitaux de Cotonou. Un registre numérique sera mis en place et permettra d’estimer la mortalité et la morbidité routière.

Le recours à ce type de recherche-action est rare en Afrique mais l’ensemble des intervenants se sont montrés enthousiastes et y trouvent leur intérêt : les autorités sont séduites par une telle base de données, les chercheurs locaux participent à l’élaboration du partenariat avec les forces de l’ordre et peuvent ensuite utiliser ces informations pour leurs recherches. Quant aux policiers, ils sont doublement valorisés, par l’utilité donnée à leur travail, puis par la suite, lorsqu’ils forment eux-mêmes leurs collègues à la collecte de données. 

Dans ce cadre, la recherche-action constitue le moyen le plus efficace pour que la recherche soit profitable à la société. Mais nous sommes tributaires de la situation sécuritaire de ces pays. Dans des contextes difficiles, les États se concentrent davantage sur la lutte contre le terrorisme et délaissent la sécurité routière. De fait, le projet que nous avions mené au Burkina Faso n’a malheureusement pas été pérennisé. »


Notes : 

  1. Emmanuel Bonnet, Aude Nikiéma, Zoumana Traoré, Salifou Sidbega & Valéry Ridde, Technological solutions for an effective health surveillance system for road traffic crashes in Burkina FasoGlobal Health Action, 2017. 
     
  2. E. Bonnet, A. Fillol, A. Nikiema, L. Lechat, M . Ouedraogo, M. Tall, C. Da, V. Ridde, Un système de surveillance pour comprendre les inégalités de santé des traumatisés de la route au Burkina FasoSanté Publique, 2018.

La réponse de Annabel Desgrées du Loû

Je travaille avec deux associations, Afrique AvenirAssociation ayant pour vocation d’être un espace d’échanges et d’actions en faveur des populations d’origine africaine en France et en Europe et ArcatAssociation historique de lutte contre le VIH, sur Makasi, un projet de recherche interventionnelle. Notre objectif commun est de sensibiliser les immigrés, notamment d’Afrique subsaharienne, vivant en Ile-de-France aux risques liés au VIH et de les aider à mieux prendre en charge leur santé sexuelle. En tant que chercheurs, nous agissons à deux niveaux auprès de ces associations. 

Dans un premier temps, nous avons construit une intervention basée sur la notion d’ "empowerment" Processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d'agir.,» imparfaitement traduite en français par « autonomisation ». Afrique Avenir propose depuis plusieurs années des dépistages rapides du VIH sur les marchés de la région. Depuis huit mois, en accompagnement de ce dépistage, nous avons mis en place avec les deux associations des entretiens d’appui réalisés par des travailleurs sociaux pour les personnes en situation de précarité. Les travailleurs sociaux écoutent les besoins exprimés par leurs interlocuteurs et les aident à utiliser les ressources disponibles (dispositif d’accès au logement, Aide Médicale d’Etat, entre autres) afin qu’ils améliorent leur situation sociale et sanitaire. 

Dans un deuxième temps, nous évaluons les effets de cette intervention sur la réduction des risques sexuels et l’amélioration de la santé mentale de ces personnes. Cet état des lieux débute actuellement à travers le suivi pendant un an de 1 200 personnes qui bénéficieront de l’intervention. 

Ce travail conjoint associations-chercheurs est nécessaire mais n’est pas toujours facile. Les associations apportent leur connaissance du terrain et facilitent la participation des communautés concernées. Ce sont également elles qui mettent en œuvre l’action. Les chercheurs procurent le cadre théorique, inspiré de la littérature scientifique, et évaluent les mécanismes et les résultats de l’intervention. Ils doivent cependant s’adapter aux impératifs des associations, très différents de ceux de la recherche : agir concrètement, dans des temps courts, avec les moyens mis à disposition. 

Parallèlement, les acteurs associatifs doivent comprendre l’utilité du dispositif d’évaluation, parfois contraignant.  Nous avons ainsi impliqué les membres d’Afrique Avenir et d’Arcat tout au long du processus de recherche :  deux d’entre eux ont participé par exemple à des conférences scientifiques pour présenter leurs actions. Les associations, habituées au plaidoyer, s’approprient les résultats et les portent au sein des communautés concernées et en direction des décideurs. 

Au final, nous changeons certaines de nos habitudes de chercheurs pour nous adapter aux contraintes des acteurs et faire en sorte que notre savoir soit mis en pratique. 


Note : 

A. Gosselin, C. Taeron, R. Mbiribindi, N. Derche, A. Desgrées du Loû. Empowering Sub-Saharan immigrants in sexual health in Paris greater area: results from the Makasi ProjectEuropean Journal of Public Health, 17 avril 2018.

La réponse de Diéyi Diouf

Au Sénégal, deux sciences se côtoient : celle pratiquée dans l’enseignement et la recherche, qualifiée de conventionnelle et celle transmise oralement par les sages dans chaque ethnie. Si dans le domaine de la santé, les chercheurs s’intéressent à ce savoir traditionnel local, les scientifiques d’autres disciplines négligent encore la réalité du terrain. Cette ignorance des savoirs locaux a fait échouer de nombreux projets de développement conceptualisés dans des laboratoires sans prise en compte de l’avis des communautés. Un exemple parmi tant d’autres : des chercheurs et des décideurs voulaient réaliser un forage dans un village reculé à la recherche d’une source d’eau. Ils n’y avaient pas associé la population. C’est ainsi que les scientifiques ont fait jaillir de l’eau salée d’une nappe que les villageois, eux, connaissaient bien… 

Pour favoriser l’interaction entre les chercheurs et la société civile, nous avons créé une boutique des sciences (BdS) en 2015 avec une équipe de trois bibliothécaires, anciens étudiants de l’EBAD. Plus qu’un lieu, il s’agit d’un cadre de médiation entre les universitaires et la population pour travailler et développer conjointement des projets. Le slogan, en wolof, de la BdS, « Xam-Xamu niep ngir niep » se traduit en français par « Savoirs de tous au profit de tous ».

La Boutique des sciences a mené de nombreuses activités en collaboration avec l’IRD et l’AUFAgence Universitaire de la Francophonie, notamment au sein du projet PARFAOPromouvoir l’Agroécologie par la Recherche et la Formation en Afrique de l’OuestL’objectif est d’accompagner des chercheurs locaux et des acteurs agricoles et économiques (pêcheurs, agriculteurs écologiques…) dans l’élaboration de projets. Lors d’ateliers conjoints, ces citoyens ont pu apporter des réponses aux questions posées par les chercheurs, portant par exemple sur l’utilisation des engrais chimiques ou écologiques, le reboisement de la mangrove ou la fermeture de la saison de pêche dans certaines zones. Ces questions étaient traduites en dialecte local par les membres de la BdS pour permettre aux participants non scolarisés de mieux comprendre les questionnements des scientifiques. Nous avons également mis en scène des sketchs en langue locale pour faire passer le message des chercheurs autour de l’intérêt d’utiliser des produits écologiques dans l’agriculture. 

Ce projet constitue une réussite : les scientifiques ont travaillé conjointement avec les membres de la société civile, grâce à la médiation de l’équipe de la Boutique des sciences. Ils ont co-construit des projets qui sont, depuis, portés par des associations.

Aujourd’hui, ce concept essaime dans d’autres universités sénégalaises et intéresse une dizaine de pays africains.


Note :

Diéyi Diouf, The University Cheikh Anta Diop of Dakar (UCAD) Science Shop “Xam-Xamu Niep Ngir Niep” (Knowledge of All for All)Expanding Perspectives on Open Science: Communities, Cultures and Diversity in Concepts and Practices, juin 2017.