Des pois chiches variés pour s'adapter au changement climatique ?

© Rajeev K. Varshney

Les variations génétiques du pois chiches révélées

Mis à jour le 13.12.2021

Une équipe internationale de chercheurs a étudié le génome de 3 366 variétés de pois chiches, collectées dans différentes parties du monde. Un travail qui a permis de préciser l’histoire évolutive du pois chiche, les effets de la domestication sur son génome, mais aussi de mettre en évidence les variations génétiques d’intérêt, qui pourraient permettre de développer des variétés présentant un meilleur rendement et plus adaptées aux conditions climatiques futures. 

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Au Népal, en Inde et dans de nombreux pays de l’Asie du Sud, on le nomme chana. En Amérique du Sud, il est connu sous le nom de garbanzo. Dans le monde arabe, on l’appelle hummus. Et en France ? C’est tout simplement le pois chiche. La diversité de cette légumineuse n’est pas liée qu’à son nom : en 2019, une équipe internationale avait déjà révélé l’incroyable diversité génétique de cette graine. Cette année, cette même équipe, désormais composée de 57 chercheurs issus de 41 instituts de recherche (Inde, Australie, Chine, France, États-Unis, Mexique, Russie, Canada, Egypte et Maroc), s’est focalisée sur les variations génétiques de ce légume à gousses cultivé dans différentes régions arides de la planète. Le but ? Réaliser la première carte au monde présentant le pangénome du pois chiche, soit la gamme complète des gènes de cette espèce. 

Des graines en banque

« La révolution vertePolitique de développement agricole visant à renforcer la sécurité alimentaire via un ensemble d’innovations. a favorisé l’émergence de variétés améliorées au détriment d’autres dont l’intérêt était alors jugé moindre, explique Yves Vigouroux, directeur de l’unité Diversité, Adaptation, Développement des plantes (DIADE) à l’IRD. En réaction, une volonté de conserver cette biodiversité qui allait disparaître a entrainé la mise en place de centres internationaux dédiés à la conservation entre 1950 et 1970. C’est le cas de l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides (ICRISAT), basé en Inde, spécialistes du pois chiche et d’autres cultures tropicales, qui a mené cette étude multi-partenariale ».

Le génome de 3 366 accessions de pois chiche a été séquencé avec une grande profondeur.

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Dans ces « banques » de graines, pas moins de 80 000 accessions y figurent, soit des échantillons de semences distincts les uns des autres et représentatifs de la diversité mondiale du pois chiche cultivé mais aussi de ces apparentés sauvages. « Parmi cette immense collection, l’ICRISAT a choisi d’étudier 3 171 accessions de pois chiche cultivés et 195 sauvages, en privilégiant les variétés représentatives de différentes zones géographiques, les variétés d’élite d’un point de vue agronomique, ainsi que sur les variétés sauvages », poursuit le chercheur. 

Le pois chiche diffère en effet selon sa zone d’origine : le chana d’Asie du Sud, que les scientifiques nomment le type desi, est bien plus petit et moins farineux que le pois chiche français (ou type kabuli), tandis que le ceci neri, originaire d’Italie, se distingue par ses graines noires. Cette diversité phénotypique ne s’arrête pas à cette apparence physique et s’étend aussi aux qualités agricoles des différentes variétés, comme leur rendement, leur capacité à résister à la sécheresse, etc. C’était là le but des auteurs de ce nouveau travail : caractériser les différences génétiques qui sous-tendent ces différences phénotypiques entre variétés de pois chiche, afin de mieux comprendre les forces et les faiblesses de chacune d’entre elles. 


Domestication et pression de sélection

Pour caractériser le pangénome du pois chiche, les chercheurs ont recherché des variations génétiques parmi les données issues du séquençage entier du génome du pois chiche, traquant la présence ou l’absence de gènes entiers ainsi que les SNPs (single nucleotide polymorphism, en français « polymorphisme d’un seul nucléotide »), soit des variations d’une seule paire de bases entre deux individus de la même espèce. L’identification des différents SNPs, et leur présence ou non dans telle ou telle variété, a permis aux chercheurs de préciser le moment auquel Cicer arietinum, le pois chiche, et Cicer reticulatum, l’espèce la plus proche du pois chiche, ont divergé, il y aurait 12 600 ans. Les scientifiques ont également mis en évidence le « goulot d’étranglement génétique » dans lequel s’est retrouvé le pois chiche il y a 10 000 ans, suite à sa domestication, celle-ci impactant la diversité au sein de l’espèce domestique nouvellement créée. 

À force de sélection, le pois chiche domestique (ici, des gousses) a perdu en diversité.

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« Suite à la domestication, certaines zones chromosomiques présentent beaucoup moins de variations génétiques. Ceci s’explique par le fait que lorsque le pois chiche a été cultivé, les gènes impliqués dans l’expression de caractères intéressants, comme la taille des graines par exemple, ont été soumis à une pression de sélection : dans cet exemple, seuls les allèlesVersion variable d’un même gène. Un gène existe généralement sous plusieurs formes ou allèles, définissant ainsi la variabilité du génome. de ces gènes favorisant de gros grains ont été sélectionnés et transmis aux générations ultérieures. Les autres allèles, eux, ont été perdus au sein de l’espèce domestiquée. Mais les gènes directement impliqués dans les traits d’intérêt ne sont pas les seuls à être impactés : tout autour d’eux, le long des chromosomes, les séquences génétiques adjacentes sont elles aussi indirectement sélectionnées, par effet d’entrainement et on y trouve également moins de diversité, explique Anne-Céline Thuillet, spécialiste de l’évolution et de l’adaptation des plantes cultivées au sein de DIADE et qui a travaillé sur ces aspects avec ses collègues avec Yves Vigouroux et Philippe Cubry. Cette méthode permet de repérer quelles zones génétiques ont été importantes dans l’adaptation des plantes à leur environnement mais aussi à l’homme, et pourraient l’être pour les adaptations à venir ». Forts de toutes ces données phénotypiques et de séquençage, les scientifiques ont ainsi identifié des haplotypes supérieurs, qui sont des combinaisons spécifiques de gènes pouvant être utilisées pour développer de meilleures variétés. Les auteurs ont aussi proposé différentes approches de prédiction génomique et de sélection par contribution optimale, techniques permettant également de développer des variétés à haut rendement.  

Une légumineuse d’avenir  

Premier producteur mondial de pois chiche, l’Inde a augmenté sa production en étendant les cultures vers des régions tropicales chaudes, où le pois chiche est aujourd'hui cultivé en hiver.

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« Intégré au régime alimentaire dans plus de 50 pays, le pois chiche devrait également faire face à la fois à la croissance démographique et à une demande accrue de sources de protéines végétales afin de rendre la production de protéines respectueuse de l'environnement et de diminuer la dépendance à la viande. Le pois chiche est en effet riche en protéines et très nutritif lorsqu'il est consommé entier. En outre, c'est une légumineuse qui fixe l'azote dans le sol, ce qui réduit les besoins d'une exploitation en engrais azotés. Dans les pays du Sud, cela se traduit par de précieuses économies pour les petits exploitants agricoles et réduit les émissions de protoxyde d’azote et d'ammoniac, des gaz à effet de serre », rappelle Rajeev K. Varshney, directeur du programme de recherche « Amélioration accélérée des plantes » à l’ICRISAT, en Inde. La contribution de l'agriculture aux émissions mondiales est désormais bien connue et la transition vers une agriculture respectueuse de l'environnement est préconisée dans le monde entier. « Dans ce contexte, nous espérons que l'évolution de la pensée au niveau politique consiste également à faire en sorte que l'agriculture passe du rendement à la nutrition, c'est-à-dire à ne pas se contenter de produire suffisamment de nourriture, mais à produire des aliments nutritifs. Le pois chiche répond parfaitement à cette exigence et des études comme celles que nous venons de mener sont essentielles pour accompagner cette transition », conclut le spécialiste.

  • Une carte des variations génétiques du pois chiche basée sur le séquençage de 3 366 génomes
    Rajeev K. Varshney, Manish Roorkiwal, Shuai Sun, Prasad Bajaj, Annapurna Chitikineni, Mahendar Thudi, Narendra P. Singh, Xiao Du, Hari D. Upadhyaya, Aamir W. Khan, Yue Wang, Vanika Garg, Guangyi Fan, Wallace A. Cowling, José Crossa, Laurent Gentzbittel, Kai Peter Voss-Fels, Vinod Kumar Valluri, Pallavi Sinha, Vikas K. Singh, Cécile Ben, Abhishek Rathore, Ramu Punna, Muneendra K. Singh, Bunyamin Tar’an, Chellapilla Bharadwaj, Mohammad Yasin, Motisagar S. Pithia, Servejeet Singh, Khela Ram Soren, Himabindu Kudapa, Diego Jarquín, Philippe Cubry, Lee T. Hickey, Girish Prasad Dixit, Anne-Céline Thuillet, Aladdin Hamwieh, Shiv Kumar, Amit A. Deokar, Sushil K. Chaturvedi, Aleena Francis, Réka Howard, Debasis Chattopadhyay, David Edwards, Eric Lyons, Yves Vigouroux, Ben J. Hayes, Eric von Wettberg, Swapan K. Datta, Huanming Yang, Henry T. Nguyen, Jian Wang, Kadambot H. M. Siddique, Trilochan Mohapatra, Jeffrey L. Bennetzen, Xun Xu & Xin Liu, A chickpea genetic variation map based on the sequencing of 3,366 genomes, Nature, 10 novembre 2021 ; doi : https://doi.org/10.1038/s41586-021-04066-1
     

  • Alice Bomboy