Mis à jour le 24.01.2024
En combinant observations in situ et données spatiales, les spécialistes de l’IRD et leurs partenaires allemands et congolais sont parvenus à déterminer le stock d’eau drainable du bassin du fleuve Congo. Cette partie de l’eau d’un sol qui peut être facilement évacuée est une donnée déterminante pour comprendre les processus hydroclimatiques autour de ce système fluvial majeur, et pour mieux gérer les ressources en eau de la région dans le contexte du changement climatique.
Véritable « aqua incognita », l’hydrologie du fleuve Congo était jusqu’ici presque totalement inexplorée. Mais l’ingéniosité des scientifiques combinée aux techniques spatiales high-tech vient de lever le voile sur le stock total d’eau drainable du gigantesque bassin. « Cette information est essentielle pour comprendre l’hydroclimatologie de ce jumeau africain de l’Amazone, pour modéliser son fonctionnement, pour prévoir ses fluctuations et leur impact sur l’environnement et les activités humaines », explique Fabrice Papa, hydrologue IRD, spécialiste de télédétection spatiale au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS).
Avec ses partenaires de l’université de Stuttgart (Allemagne) et du Centre de recherche en ressources en eau du bassin du Congo de l’université de Kinshasa (République démocratique du Congo), ils sont parvenus à surmonter les obstacles géographique et historique qui entravent l’observation dans cette région.
Stations virtuelles
Difficile d’accès faute de voies de communication et de stabilité politique, le bassin du fleuve Congo connait un fort déficit d’observation in situ. « Jusqu’aux années 1960, il comptait quelques centaines de stations de mesure hydrologique, mais il n’en reste qu’une vingtaine fonctionnelle aujourd’hui, ce qui est tout à fait insuffisant pour le deuxième bassin fluvial du monde », indique le spécialiste.
Pour pallier ce déficit d’instrumentation au sol, les scientifiques ont utilisé les informations d’altimétrie satellitairenote rollover : Mesure de l’élévation des niveaux d’eau des rivières, des réservoirs, des lacs et des zones humides, obtenue par les radars embarqués sur des satellites comme Topex-Poseidon, ERS, Envisat, Jason ou Sentinel 3 afin d'estimer les niveaux d’eau et le débit à des points de mesure du bassin, appelés stations virtuelles.
En s’appuyant sur les satellites GRACEDe la Nasa et l’agence spatiale allemande, qui croisent à 495 km d’altitude.1, capables de détecter l’évolution locale de la gravité terrestre, ils évaluent aussi les variations temporelles et spatiales de la quantité totale d’eau présente à un moment donné sur l’ensemble du bassin. En mettant ainsi en relation la variation du stock d’eau et le débit du fleuve, ils sont parvenus à déterminer pour la première fois le stock d’eau drainable – c’est-à-dire l’ensemble de l’eau douce de surface, dans les sols et les aquifères qui peut participer au débit du fleuve.
Rôle majeur à l’échelle globale
« Grâce à cette méthode innovante, nous avons établi que le bassin pouvait drainer un stock d’eau de l’ordre de 480 km3 Entre 476 km3 et 502 km3, soit six fois le volume du lac Léman1, soit le quart de celui de l’Amazone, et qu’il faut environ cinq mois pour que ce dernier s’écoule entièrement. Mais il existe de fortes variations géographiques, les sous-bassins du sud stockant relativement plus d’eau que ceux du nord », indique Raphaël Tshimanga, hydrologue à l’université de Kinshasa en République démocratique du Congo. Ces estimations constituent une avancée essentielle pour la compréhension des grands enjeux scientifique contemporains. Car ce système fluvial de taille hors normes, qui abrite une forêt tropicale et une tourbière gigantesques, joue un rôle majeur dans la biodiversité et dans les cycles de l’eau et du carbone à l’échelle globale.
Ces connaissances sont également indispensables à l’échelle régionale pour gérer les immenses besoins en eau d’une population de 120 millions d’habitants. Il s’agit à la fois de développer l’hydroélectricité, la navigation fluviale, l’irrigation des cultures, tout en préservant les écosystèmes de forêts et de tourbières qui jouent un rôle déterminant dans le stockage du carbone atmosphérique. « Le bassin fait déjà face à des effets du changement climatique, qui se traduisent par des inondations très meurtrières – comme en connait actuellement l’Est de la RDC – mais aussi par des sécheresses hydrologiques, comme celle qui réduit à quatre mois par an la navigation des marchandises sur l’Oubangui – un affluent majeur du fleuve Congo – , alors qu’elle était de neuf mois jusqu'au milieu des années 1990. Et les demandes de la société en matière de prévision de tels événements sont très pressantes », conclut le scientifique congolais.